Citations sur Les Guérillères (35)
« Elles disent, tu es domestiquée, gavée, comme les oies dans la cour du fermier qui les engraisse. Elles disent, tu te pavanes, tu n’as d’autre souci que de jouir des biens que te dispensent des maîtres, soucieux de ton bien-être tant qu’ils y sont intéressés. Elles disent, il n’y a pas plus spectacle affligeant que celui des esclaves qui se complaisent dans leur état de servitude. Elles disent, tu es loin d’avoir la fierté des oiselles sauvages qui lorsqu’on les a emprisonnées refusent de couver leurs œufs. Elles disent, prends exemple sur les oiselles sauvages qui, si elles s’accouplent avec les mâles pour tromper leur ennui, refusent de se reproduire tant qu’elles ne sont pas en liberté. »
« Elles disent, malédiction, c’est par la ruse qu’il t’a chassée du paradis de la terre, en rampant il s’est insinué auprès de toi, il t’a dérobé la passion de connaître dont il est écrit qu’elle a les ailes de l’aigle les yeux de la chouette les pieds du dragon. Il t’a faite esclave par la ruse, toi qui as été grande forte vaillante. Il t’a dérobé ton savoir, il a fermé ta mémoire à ce que tu as été, il as fait de toi celle qui n’est pas celle qui ne parle pas celle qui ne possède pas celle qui n’écrit pas, il a fait de toi une créature vile et déchue, il t’a baîllonée abusée trompée. Usant de stratagèmes, il a fermé ton entendement, il a tissé autour de toi un long textes de de défaites qu’il a baptisées nécessaires à ton bien-être, à ta nature.Il a inventé ton histoire. Mais le temps vient où tu écrases le serpent sous ton pied, le temps vient où tu peux crier, dressée, pleine d’ardeur et de courage, le paradis est à l’ombre des épées. »
« Je refuse de prononcer les mots de possession et de non-possession.Elles disent, si je m’approprie le monde, que ce soit pour m’en déposséder aussitôt, que ce soit pour créer des rapports nouveaux entre moi et le monde. »
« Elles disent, ils t’ont tenue à distance, ils t’ont maintenue, ils t’ont érigée, constituée dans une différence essentielle. Elles disent, ils t’ont, telle quelle, adorée à l’égal d’une déesse, ou bien ils t’ont brûlé sur leurs bûchers, ou bien ils t’ont brûlée sur leurs bûchers, ou bien ils t’ont reléguée à leur service dans leurs arrière-cours. Elles disent, ce faisant, ils t’ont toujours dans leurs discours traînée dans la boue. Elles disent,ils t’ont dans leurs discours possédée violée prise soumise humiliée tout leur saoul. Elles disent , que chose étrange, ce qu’ils ont dans leurs discours érigé comme une différence essentielle , ce sont des variantes biologiques. Elles disent, ils t’ont décrite comme ils ont décrit les races qu’ils ont appelé inférieures. Elles disent, oui, ce sont les mêmes oppresseurs dominateurs , les mêmes maîtres qui ont dit que les nègres et les femelles n’ont pas le coeur la rate le foie à la même place qu’eux, que la différence de sexe, la différence de couleur signifient l’infériorité, droit pour eux à la domination et à l’appropriation. Elles disent, oui, ce sont les mêmes oppresseurs dominateurs qui ont écrit des nègres et des femelles qu’ils sont universellement fourbes hypocrites rusés menteurs superficiels gourmands puisillamines, que leur pensée est intuitive et sans logique, que chez eux la nature est ce qui parle le plus fort et caetera. Elles disent , oui, ce sont les mêmes oppresseurs dominateurs qui dorment couchés sur leurs coffres pour protéger leur argent et qui tremblent de peur quand la nuit vient. »
« Elles parlent ensemble du danger qu’elles ont été pour le pouvoir, elle racontent comment on les a brûlées sur des bûchers pour les empêcher à l’avenir de s’assembler. Elles ont pu commander aux tempêtes, faire sombrer des flottes, défaire des armées. Elles ont été maîtresses des poisons des vents des volontés. Elles ont pu à leur gré exercer leur pouvoir et transférer toutes sortes de personnalités dans de simples animaux, des oies des cochons des oiseaux des tortues. Elles ont commandé à la vie à la mort. Leur puissance conjuguée a menacé les hiérarchies les systèmes de gouvernement les autorités. Leur savoir a rivalisé avec succès avec le savoir officiel auquel elles n’ont pas eu accès, il l’a mis au défi, il l’a pris en défaut, il l’a menacé, il l’a fait paraître inefficace. Aucune police n’a été trop puissante pour les traquer, aucune délation trop opportuniste, aucun supplice trop brutal, aucune armée n’a paru trop disproportionnée en force pour s’attaquer à elles une par une et les détruire. Elles alors entonnent le chant célèbre qui commence par, malgré tous les maux dont ils veulent m’accabler / je reste aussi ferme que le fourneau à trois pieds ».
« Elles disent que c’est un monde nouveau qui commence. »
Elles disent qu’elles ont appris à compter sur leurs propres forces. Elles disent qu’elles savent ce qu’ensemble elles signifient."
« Elles n’utilisent pas pour parler de leurs sexes des hyperboles des métaphores, elles ne procèdent pas par accumulations ou par gradations. Elles ne récitent pas les longues litanies, dont le moteur est une imprécation sans fin. Elles ne s’efforcent pas de multiplier les lacunes de façon que leur ensemble elles signifient un lapsus volontaire.Elles disent que toutes ces formes désignent un langage suranné. Elles disent qu’il faut tout recommencer. Elles disent qu’un grand vent balaie la terre. Elles disent que le soleil va se lever ».
« Elles ne disent pas que les vulves dans leurs formes elliptiques sont à comparer aux soleils, aux planètes, aux galaxies innombrables. Elles ne disent pas que les mouvements giratoires sont comme les vulves. Elles ne disent pas que les vulves sont des formes premières qui comme telles décrivent le monde dans tout son espace, dans tout son mouvement. Elles ne créent pas dans leur discours des figurent conventionnelles à partir de ces symboles. »
« Elles disent qu’elles n’ont pas recueilli et développé les symboles qui dans les premiers temps leur ont été nécessaires pour rendre leur force évidente. Par exemple elles ne comparent pas les vulves au soleil à la lune aux étoiles.Elles ne disent pas que les vulves sont comme les soleils noirs dans la nuit éclatant. »