Urban Comics a choisi de réarranger les épisodes de la série Ce tome contient les numéros 17, 21 à 28, 30 à 34, et 37 à 40.
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- Épisode 17 (illustrations de
Vasilis Lolos) - Sur une plage 2 champions s'affrontent ; ils représentent 2 seigneurs locaux opposés par une ancienne inimitié mesquine oubliée au fil des ans. Les images décrivent le combat, et des bulles de texte évoquent plusieurs thèmes : la fabrication d'une bonne épée, les raisons (peu reluisantes) pour lesquelles l'un et l'autre se sont retrouvés champion de leur clan respectif, la réalité de la condition de berserker, les aspirations des uns et des autres, etc.
Les illustrations optent pour esthétisme très marqué, buriné, creusé par les vents. Les nuages en arrière-plan se confondent parfois avec les mouettes. le résultat rend bien compte de la brutalité et de la bestialité des coups échangés, ainsi que de l'aspect dérisoire de cet affrontement sous des cieux indifférents.
D'un côté, je suis sensible à la volonté de
Brian Wood d'innover, de tenter d'autres formes de narration. de l'autre, il se trouve que cet essai-là ne m'a pas convaincu : le duel détaché des sensations des combattants ne m'a pas passionné, et les réflexions diverses détachées des réalités correspondants n'ont pas réussi à m'impliquer. 3 étoiles.
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- Épisodes 21 à 28 - En 1020, une épidémie se déclare dans un village viking installé au bord de la Volga. Il s'agit d'un comptoir marchand qui profite du passage des bateaux pour organiser l'échange de marchandises et vivre du commerce. Hilda est la femme d'un notable du village qui vient de décéder de l'épidémie. Elle doit s'occuper de sa fille Karin (jeune adolescente) et résister aux avances de plusieurs mâles. Boris est un prêtre chrétien (dont l'obédience n'est pas clairement précisée) qui s'est installé dans ce village et qui a une théorie assez ébouriffante sur l'épidémie : elle serait occasionnée par des microorganismes et il faudrait prendre des mesures d'hygiène et de quarantaine pour limiter son expansion.
Gunborg est un marchand utilisant des méthodes d'intimidation et d'appropriation musclées, ayant à sa disposition plusieurs employés qui lui servent également d'hommes de main. Au cours d'une réunion du conseil, les habitants décident de chasser les malades du village et de vivre en autarcie à l'intérieur de la palissade délimitant le périmètre du village. C'est le début de l'hiver.
Brian Wood fait de nouveau découvrir à ses lecteurs une facette différente de la culture du peuple viking. le fil narratif principal est de savoir si Hilda pourra longtemps résister à l'oppression de cette société patriarcale dans laquelle la loi du plus fort est sous-jacente, et comment elle pourra protéger sa fille. Comme à son habitude, Wood évite l'écueil du mélodrame larmoyant ou du misérabilisme, en décrivant une femme qui refuse le rôle de victime.
Même quand les magasins de son époux défunt sont pillés par les hommes du village qui s'approprient impunément ces biens, elle s'organise pour résister au long hiver rendu encore plus harassant par l'impossibilité de sortir du village. La lutte d'influence et le jeu du chat et de la souris d'Hilda contre Gunborg et ses séides réservent plusieurs coups fourrés, du suspense et beaucoup de courage.
En contrepoint au sort d'Hilda et Karin, il y a les manigances de Gunborg. En fait Wood se révèle plus nuancé que ça : Gunborg incarne une forme de capitalisme sauvage avant l'heure, d'individu uniquement intéressé par son profit, mais avec une bonne dose de courage physique et d'intelligence politique. Par rapport aux tomes précédents, Wood commence à s'intéresser à l'aspect économique de la vie des vikings. Il y a bien évidemment ce village qui constitue un comptoir marchand avec les peuples alentours, mais il y a également la problématique de la survie pendant les longs hivers de cette région de la Russie. Il y a la menace sourde de la survie du village même, du fait de l'épidémie, mais aussi du fait de sa vulnérabilité à une grande force armée. Il y a d'ailleurs plusieurs affrontements bien barbares qui parsèment ce tome.
Enfin,
Brian Wood a recours à nouveau à ce dispositif narratif qui consiste à introduire un comportement moderne au milieu des vikings du onzième siècle : le prêtre qui dispose de notions sur les microbes et qui s'exprime d'une manière sophistiquée. Ça ne m'a pas gêné à la lecture : Wood raconte avant tout une aventure, l'aspect historique est essentiel mais il ne s'agit pas d'une thèse d'historien.
L'ensemble de l'histoire est illustré par
Leandro Fernandez (déjà vu dans Man of Stone) dont le style est incroyablement bien adapté à cette histoire. Les dessins sont réalistes, mais sans obsession de la minutie, sans surcharge d'informations visuelles, avec des à-plats de noir significatifs sans qu'ils mangent pour autant les illustrations.
Fernandez a visiblement accompli un gros travail de recherche de références pour que ses illustrations retranscrivent les habits et les constructions de ces individus au onzième siècle. En particulier, il est agréable de pouvoir déceler l'influence slave dans les constructions. le sérieux de son travail permet au lecteur ne jamais regarder une image en se disant que c'est impossible, que ça ne pouvait pas exister à cette époque.
Fernandez trouve des solutions graphiques pour chaque type de séquence et il déploie un savoir-faire impressionnant. Les scènes de dialogue disposent de mises en scène réfléchies, avec changement d'angles de vue en fonction des orateurs, des tensions et des enjeux. Les scènes de combat sont brutales comme il se doit, sans se vautrer dans le gore, mais sans masquer les blessures non plus.
Fernandez n'hésite pas à concevoir un ou deux plans du village vu du ciel qui prouve qu'il a une idée précise et construite de l'agencement des maisons. Il arrive même à rendre visuellement intéressante les scènes se déroulant dans des champs de neige uniforme, ce qui n'est pas donné à tout le monde. La mise en couleurs est réalisée par
Dave McCaig pour un résultat qui renforce l'ambiance claustrophobe et la pénombre, sans jamais éclipser les dessins.
Avec ce tome,
Brian Wood et
Leandro Fernandez nous emmènent dans un village résistant à la maladie en 1020 pendant un terrible hiver, alors que ses habitants s'opposent sur la politique à mener. Wood donne une nouvelle version d'une femme amenée à réinventer sa place dans une société patriarcale, alors que son mari vient de décéder. 5 étoiles.
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- Épisodes 30 à 34 (illustrations de
Riccardo Burchielli) -En Norvège, en 700, Erik est un immense gaillard fortement charpenté. Il est le forgeron du village et il ne supporte pas que le conseil ait accepté de faire commerce avec les chrétiens. Il n'accepte pas que les forces vives soient employées à construire une église au plus bel emplacement du village, malgré les généreux paiements. L'arrivée d'une délégation de moines et soeurs constitue la goutte d'eau qui fait déborder le vase. Il aide Agnes (une soeur albinos non consentante) à s'échapper, il incendie la charpente de l'église et fuit avec elle dans la forêt. Agnes se révèle avoir des dons d'herboriste et de sorcière. Ensemble ils entament un périple de ville en ville, en exterminant à chaque fois les représentants de la foi chrétienne. Une petite troupe armée se lance à leur poursuite pour essayer de mettre un terme à leurs actions de guérilla.
Brian Wood propose une nouvelle forme d'insurrection menée cette fois-ci par 2 personnes (alors qu'il n'y en avait qu'une dans The Cross + the Hammer). Il flotte donc comme un parfum de redite, même si cette trame a été améliorée par rapport à la première mouture dans le sens où Wood rend mieux compte des tenants et des aboutissants économiques de la situation. Par contre, il a fait le choix de faire intervenir un élément surnaturel qu'il insiste pour rendre concret (alors qu'au départ la question de sa réalité se pose du fait de la prise de psilocybes par Agnes et Erik). Je n'ai pas adhéré à cette composante. de même il reprend le stéréotype du héros format armoire à glace doté d'une force exceptionnelle, et ce cliché atténue fortement la saveur du récit.
Les illustrations sont très agréables car bien dosées en décors, en détails vestimentaires, et en mouvements. Elles sont très lisibles avec un bon niveau d'informations visuelles.
Burchielli se permet même d'insérer du comique visuel avec les expressions faciales d'Erik, sans que cela ne vienne distraire de l'ambiance générale du récit.
Malgré ces bons côtés, le final bascule entièrement dans le surnaturel et j'ai trouvé que cela gâchait la nature de l'histoire. 3 étoiles.
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- Épisodes 37 à 39 "The siege of Paris" (illustrations de Simon Gane) - En 885, les normands assiègent Paris. Leur armée est forte de 30.000 hommes. Parmi eux, se trouve Mads, un danois, accompagné d'Abbo Cernuus, un abbé. Cela fait plusieurs années qu'ils servent ensemble côte à côte dans les mêmes guerres. Mads prend comme un affront personnel le fait que les 200 soldats de Paris réussissent à les tenir en respect.
Au sein du siège de Paris,
Brian Wood s'attache à un individu en particulier dont la guerre est le métier depuis l'âge de 14 ans. Il n'éprouve aucune difficulté à obéir aux ordres, mais il prend la résistance de la ville comme un affront personnel. Il sait pertinemment que prendre Paris ne fait pas partie de l'objectif de la campagne, toutefois, il refuse de capituler psychologiquement devant cette place forte. Wood réussit à mêler les actions de l'armée avec la détermination de cet individu et ses actions propres pour trouver le défaut de la cuirasse.
Simon Gane a un style assez intéressant, fait de dessins détaillés, avec un sens sûr de l'exactitude historique, sauf pour la ville de Paris. La vision complète qu'il en donne la limite à l'île de la Cité et l'île saint Louis, ce qui semble un peu juste pour abriter la population de l'époque. À cette unique image, le reste rend bien compte des armes individuelles, des vêtements et des engins de guerre. Il apporte également un grand soin à la nature environnante, et à ses différents états en fonction des saisons. 5 étoiles.
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- Épisode 40 "The hunt" (illustrations de Matthew Woodson) - En Suède, vers l'an 1.000, un homme est seul dans les bois. Il traque un cerf à travers les étendues enneigées. Il en fait une affaire personnelle. Cela fait plusieurs années que sa femme l'a quitté avec ses enfants pour aller vivre dans une ville. Il a préféré une vie au contact de la nature.
Brian Wood propose au lecteur de partager la chasse que donne cet homme à ce cerf élusif. Cet épisode se lit facilement. Il suit au plus près le chasseur grâce à ses pensées concises. Wood sait faire ressortir en phrases brèves la personnalité du chasseur, son choix de vie et ses convictions. Les dessins de Woodson sont un peu rugueux, un peu trop aérés. Il a du mal retranscrire de manière convaincante la texture de la neige.
Au vu de la température en plein hiver en Suède, il est aussi assez difficile de croire à son accoutrement qui semble un peu léger. Par contre, le cerf est crédible, le langage corporel du chasseur transmet ses états d'âme, et la mise en page est fluide. 4 étoiles pour des illustrations pas toujours convaincantes et une fin trop stéréotypée.