Le bourreau de l'amour

Les femmes l'obsédaient tellement qu'il semblait oublier le cancer qui envahissait peu à peu chaque cellule affaiblie de son organisme. Plus vraisemblablement c'était le seul but de son obsession : oublier son mal.  

Comme j’enviais en de telles circonstances la certitude qu’offre l’orthodoxie. La psychanalyse, pour prendre la plus classique des écoles idéologiques de la psychothérapie, avance toujours des postulats tellement forts sur les procédures techniques qui doivent être employées – à vrai dire, les analystes semblent plus assurés de tout que je ne le suis de rien. Comme il serait réconfortant de sentir, juste une fois, que je sais exactement ce que je fais dans mon travail psychothérapique – par exemple, que je franchis consciencieusement, dans le bon ordre, les étapes précises du processus thérapeutique.
Mais, bien sûr, c’est une illusion. Qu’elles soient utiles ou non aux patients, les écoles idéologiques, avec leurs édifices métaphysiques complexes, réussissent parce qu’elles apaisent l’anxiété du thérapeute et non celle du patient (et par conséquent permettent au thérapeute d’affronter l’angoisse du processus thérapeutique). Plus le thérapeute est capable de supporter l’angoisse de ne pas savoir, moins il est nécessaire pour lui de se plier à l’orthodoxie. Les membres fondateurs d’une orthodoxie, de n’importe quelle orthodoxie, finissent par dépasser les limites de leur discipline.
Si le psychothérapeute omniscient, qui garde toujours le contrôle de la situation, paraît sans doute rassurant, il peut aussi y avoir quelque chose d’extrêmement attirant chez un psychothérapeute hésitant, qui patauge avec son patient jusqu’à ce qu’ils découvrent ensemble une voie possible.

Je revis Marvin un an plus tard. Je procède toujours avec les patients à une séance de contrôle au bout d'un an - à la fois pour leur bien et pour mon enseignement personnel. J'ai aussi pour habitude de leur faire écouter un enregistrement d'une partie de la première séance. Marvin en écouta dix minutes avec intérêt, sourit et dit : "Qui est ce pauvre débile ?"

Si nous scrutins trop profondément le passé, le regret nous submerge tous. Mais l'important est de se tourner vers l'avenir. Regarder ce qu'il faut modifier. Eviter que dan cinq ans vous ne regrettiez la façon dont vous aurez vécu pendant les cinq prochaines années.

J'ai toujours été attiré par les patients qui se débattent avec les mêmes problèmes que moi.

- Comment expliquez-vous ce qui vous arrive ?
- C'est comme si j'avais participé à un spectacle de magie et que maintenant je me retrouvais dehors - et c'est tout gris dehors.

Plus important, le sens détermine les valeurs et, par conséquent, permet d'établir un code de comportement : ainsi les réponses aux questions du type pourquoi (Pourquoi est-ce que j'existe ?) fournissent les réponses aux questions du type comment (Comment est-ce que j'existe ?).

Tout thérapeute sait que le premier pas en psychothérapie consiste pour le patient à admettre sa responsabilité dans les difficultés qui affectent l'existence.

En fait, certains philosophes vont beaucoup plus loin : selon eux, l'organisation du cerveau humain rend chacun de nous responsable de la structure de la réalité externe, de la forme même de l'espace et du temps. C'est là, dans cette notion de construction autonome, que s'inscrit l'angoisse : nous sommes des créatures désireuses d'avoir une structure, et nous avons peu d'un concept de liberté impliquant qu'il n'y a rien en dessous de nous, à part un espace vide et insondable.

Soucieux d'abord d'un éventuel suicide, je finis par me rassurer en songeant que sa colère était si déclarée et ouvertement dirigée vers l'extérieur qu'il était peu probable qu'elle la tourne contre elle-même.