Tout n'est-il qu'éphémère, passager ? le passé n'est-il pas perpétuellement présent, de manière plus ou moins subtile selon la magnitude des émotions ressenties et la sensibilité de chacun ?
Sous le coup d'un traumatisme, le monde de l'enfance se dédouble et apparaît progressivement sous ses deux composantes : le réel et l'imaginaire, ce qui révèle alors sa hauteur et sa profondeur. L'enfant devenu adulte, instruit par cette connaissance, peut poser son regard sur ce monde et empoigner bien en face la vie et la mort.
Deux enfants, brutalement séparés de leur mère à l'issue d'une soirée commencée par une fête (celle du passage à l'an 2000) mais dramatiquement terminée par un incendie, sont marqués à vie par cet événement. Nine, la cadette, a six ans lorsque cette cassure interrompt son enfance dont on ne saura rien si ce n'est qu'elle fut "ensoleillée". C'est Nine qui nous raconte l'histoire de sa vie à partir de cette nuit d'horreur. Nous suivons sa métamorphose jusqu'à ce qu'elle devienne adulte. Gaspard, son aîné de deux ans, vit dans son monde mais possède le don de pressentir l'imminence du danger. le frère et la soeur s'aiment intensément et se protègent mutuellement. Leur mère, l'Amazone, formait avec eux et la pie qu'ils avaient adoptée, un groupe harmonieux qui irradiait la joie autour de lui. Après le drame, pendant des années, la mère prépare pour ses deux enfants, quelque part dans le sud, un séjour enchanté dans la propriété de famille. Elle leur écrit de temps à autre. La pie est une sorte de bonne fée qui veille sur le frère et la soeur, un peu comme l'âme de leur mère. Pas un seul mot sur le père. L'oncle fait peser sur Nine encore enfant une terrible menace.
Nous sommes dans le fantastique, mais dans un fantastique profondément réel ; ce conte ne demande donc au lecteur qu'un très léger effort d'indulgence pour ses invraisemblances ; en contrepartie, il nous envoûte par sa grande habileté à nous décrire l'illusion dans laquelle Nine a enfermé le drame originel et la lente maturation qui la conduit in fine à changer son regard sur ce qu'elle a vécu. Au-delà de la cassure du monde qui s'était déchiré, dédoublé, l'amour opère une lente reconstruction. Au-delà des nuages, le ciel est bleu : il n'y a pas de paradis perdu, puisque les "souvenirs que l'on croit passés, appartiennent au présent".
Clara Ysé agrémente son roman de références à des chansons contemporaines, des odeurs, une sculpture et un tableau de Piero della Francesca. Chacune de ces références est au moins clin d'oeil, mais le plus souvent signe ou symbole.
Pour un premier roman, nous avons ici affaire à une oeuvre d'une rare maîtrise ; de même que
Clara Ysé lorsqu'elle chante "Le monde s'est dédoublé" (*) me fait penser à Barbara , de même son roman m'évoque vaguement "L'Écume des jours" ; c'est assez dire tout le talent que je lui reconnais et que je vous invite à découvrir.
(*) https://youtu.be/hMhnOHX69yY