Citations sur Seuls les vautours (50)
Mandy repassa chez elle pour enfiler un gilet, car il commençait à faire frais, et s’assurer qu’elle avait bien fouillé chaque recoin de la maison. Elle trouva le séjour et le jardin désespérément vides, la chambre de Shawna impeccablement rangée, et aucune trace de ses chevaux de bois dans la remise. Debout dans l’entrée, appuyée au chambranle de la porte pour rassembler ses pensées, la jeune mère pensa un instant à appeler le bureau du shérif, avant de se raviser. Moins elle avait affaire à Dalton Hugues, mieux elle se portait.
Mandy, qui avait essuyé pas mal de coups durs au cours des sept dernières années, conserva son sang-froid et refusa poliment l’aide de sa voisine, qui lui proposait d’abréger les leçons de son fils pour l’envoyer faire le tour du village à la recherche de Shawna. « Les devoirs, c’est trop important », justifia-t-elle. Sur quoi elle remercia Shirley et prit congé, non sans avoir au préalable posé un regard tendre et envieux sur la bouille de poupon de Lizzie, bien à l’abri dans les jupes de sa mère.
Lorsque Mandy débarqua chez ses voisins, l’air inquiet et le T-shirt encore humide du linge mal essoré par sa vieille Electrolux, Shirley était en train de faire réciter ses leçons à Cody, l’aîné de ses quatre enfants. Elle apprit à Mandy qu’elle n’avait pas vu Shawna depuis le samedi précédent, jour de la fête d’anniversaire de Lizzie, ce que confirma cette dernière.
Shirley Hoffmann, qui habitait au bout de Reservoir Road, fut la première à être informée de la disparition de la fillette. Shirley était la mère de Lizzie, une petite copine de classe de Shawna. C’était aussi la voisine la plus proche de ce qui restait de la famille Twitchell, si tant est qu’il ait jamais existé une abstraction digne d’être qualifiée de « famille Twitchell ». La maison des Hoffmann faisait face à celle de Mandy et Shawna et en était le reflet quasi-parfait, bien qu’elle fût beaucoup mieux entretenue.
Shawna Twitchell, 5 ans, fut portée disparue le mardi 18 juin 1985 à 20 h 54. Sa mère, Mandy Twitchell, originaire de Chowchilla en Californie, déclara au shérif Hughes qu’elle était allée étendre le linge dans la buanderie un peu après 19 heures, laissant Shawna jouer seule dans le jardin, et qu’à son retour la petite n’était plus où elle l’avait laissée. Elle ne la trouva ni dans le salon, ni dans sa chambre, pas plus que dans l’abri de jardin que Shawna avait l’habitude de transformer en arche de Noé pour ses petits chevaux.
Nombreuses étaient les légendes qui entouraient l'endroit, mais elles n'étaient pour la plupart que contes de bonnes femmes. Certains le disaient magique, voire maudit, quand d'autres n'y voyaient qu'un simple puits aux souhaits.
Un puits aux souhaits, peut-être, mais qui fonctionnait à l'envers :
on y souhaitait le pire, et le pire arrivait.
C’était un repaire de bikers puant la bière et la sueur, dont même un backpacker rescapé de dix jours de désert n’aurait voulu pour oasis. On y servait des sodas au litre et des hamburgers à quatre étages qui avaient toutes les chances de vous conduire sur le billard pour un triple pontage coronarien. Le propriétaire n’était pas plus regardant sur l’hygiène que sur la qualité des plats, quant à Heather, l’unique serveuse, c’était le genre de fille à confondre shampooing et huile de friture.
Il partit d’un rire grailleux qui se transforma en quinte de toux. Chacune des dix cigarettes quotidiennes qu’il avait fumées au cours des cinquante dernières années semblait aujourd’hui vouloir se rappeler à son souvenir.
Les animaux nocturnes s'étaient tus. Le calme leur parut subitement plus angoissant que les bruissements incertains de la nuit.
Elle ne dirait rien, non plus, sur le fait que le destin n'est rien d'autre que la part de bonheur ou de malheur, le lot de fortune ou d'infortune, qui échoit à chacun à la naissance, et que la vie distribue ses cartes au hasard.