Les histoires d‘a, les histoires d'a, les histoires d'amour finissent mal. Vous connaissez la chanson. Et ce n'est pas
Zola qui va vous prouver le contraire. Chez
lui, les histoires d'amour finissent plus souvent au cimetière au son de la marche funèbre, qu'à l'église au son de la marche nuptiale. le bonheur chez
Zola, n'existe pas, ou alors il est éphémère ; comme chez
Maupassant où il s'affiche pour
une partie de campagne, claire, joyeuse et ensoleillée, mais qui n'a qu'un temps, mangé qu'il est au mieux par la routine, au pire par le malheur.
Pourtant ce n'est pas faute d'essayer : Avec « Une page d'amour » (1878),
Zola entend constituer « une halte de tendresse et de douceur » après ce monument de douleur qu'est « L'Assommoir » et avant cet autre chantier pas plus gai, « Nana ».
L'héroïne de « Une page d'amour » est Hélène Mouret. Elle est la soeur de
François Mouret (mari de Marthe Rougon) qu'on a vu dans « La Conquête de Plassans » et du petit Silvère mort dans « La Fortune des Rougon ». Hélène veuve d'un nommé Grandjean, vit seule avec sa fille Jeanne, maladive et caractérielle, victime de crises violentes. Lors d'une de ces crises, Hélène fait appel à son voisin le docteur Henri Deberle Un sentiment de plus en plus fort naît entre eux. Mais Jeanne entre autres dérèglements, est d'une possessivité extraordinaire, elle ne supporte pas que sa mère s'attache à quelqu'un d'autre qu'elle. Elle prend en haine le docteur, allant même jusqu'à s'exposer sous la p
luie pour attraper une pneumonie ou pire la phtisie (ancien nom de la tuberculose). L'amour d'Hélène et Henri n'y résistera pas.
« Une page d'amour », du point de vue de l'écriture, essaye de se rapprocher un peu de l'impressionnisme pictural (ce que fait si bien
Maupassant) qui, de plus convient bien au sujet du roman, notamment les émois amoureux timides au départ, et de plus en plus assurés d'Hélène et Henri. On notera entre autres cette touche « picturale » dans les descriptions de paysages, parisiens ou banlieusards, qui donnent un cadre parfait à cette idylle.
« Une page d'amour » est aussi un grand roman naturaliste, dans l'analyse de la personnalité de la petite Jeanne. Ici ce n'est pas tant l'influence du milieu qui est étudiée, mais celle de l'hérédité : elle hérite à la fois (la pauvrette) du dérèglement mental de son aïeule Adélaïde fouque, mais encore de la faiblesse de sa grand-mère Ursule Macquart (qui comme elle était phtisique). Ajoutez à cela les troubles d'une ado qui n'a plus de repères, vous obtenez un cocktail explosif.
En lisant ces lignes aujourd'hui, on est étonné de voir avec quelle acuité l'auteur sait examiner et décrire ces troubles de l'adolescences (bien moins connus et étudiés à l'époque qu'aujourd'hui). C'est bien la preuve que
Zola n'est pas seulement un grand écrivain, il a également une âme de scientifique qui
lui permet de mener à bien son grand projet. En y regardant bien, il faut bien reconnaître qu'il y a une faille dans sa théorie sur l'hérédité : des deux parents qu'a chaque personnage, il privilégie ce
lui qui figure dans son arbre généalogique des caractéristiques héréditaires particulières, et il occulte l'autre parent. C'est la réflexion qui m'est venue avec la petite Jeanne : le rapport est tout de suite établi avec les ancêtres porteurs des mêmes tares ou des mêmes symptômes. Mais le père de Jeanne avait
lui aussi une ascendance dont apparemment il n'a transmis aucun caractère à sa fille. Ce serait pour le moins bizarre que cette gamine ait tout pris de sa mère et rien de son père. Et ce constat on peut le faire sur bien des personnages. Un autre reproche, ce serait de constater que
Zola n'a vu dans l'hérédité que des tares, des défauts ou des faiblesses : pas une seule qualité. Certes c'est un parti pris, et l'auteur a dû penser que s'il fallait mettre tout cela en roman (voire en romans), ce serait une entreprise surhumaine, d'autant que l'hérédité n'est qu'un détail parmi d'autres de l'étude naturaliste.
Ces quelques réflexions n'enlèvent rien à l'attention, à la curiosité, voire au plaisir qu'on a à lire
Zola, qui sait à point nommer nous émouvoir, quitte à nous choquer, et à nous intéresser, toujours.