Dans l'oeuvre (prolifique) d'
Emile Zola «
Madeleine Férat » est une curiosité : c'est une pièce de théâtre que l'auteur a transformé en roman. D'habitude, c'est le cas inverse qui se produit.
Zola a lui-même adapté deux de ses romans : «
Thérèse Raquin » (1875), d'après le roman du même nom (1867) et « Renée » (1887) d'après « La Curée » (1872).
Ne trouvant pas de directeur de théâtre pour la monter,
Zola mit «
Madeleine Férat » (pièce en trois actes, écrite en 1865) dans un tiroir et la ressortit pour en faire un roman, édité en 1868. Bien plus tard, « Madeleine"
Comme «
Thérèse Raquin », «
Madeleine Férat » est un portrait de femme. Et les deux romans sont également l'évocation d'un triangle amoureux traditionnel mari-femme-amant. Mais ces deux personnages féminins sont radicalement différents : Thérèse est une névrotique tenaillée par la double culpabilité de l'adultère puis du meurtre. Madeleine traîne la marque indélébile de son premier amant, non seulement dans sa propre chair, mais également dans celle de sa fille. Deux pauvres filles, me direz-vous. Mais ce n'est pas chez
Zola qu'il faut chercher des femmes épanouies dans leur vie personnelle ou publique. Quelle que soit leur classe sociale, elles sont souvent sous la dominance des hommes, entraînées par la fatalité de leur condition, aggravée par ces fléaux que sont l'alcoolisme, l'hérédité, la misère.
Dans «
Thérèse Raquin »,
Zola entendait montrer « des personnages souverainement dominés par leurs nerfs et leur sang, dépourvus de libre arbitre, entraînés à chaque acte de leur vie par les fatalités de leur chair. Thérèse et Laurent sont des brutes humaines, rien de plus »
Dans «
Madeleine Férat » (qui parut en 1867, l'année suivante), l'écrivain s'essaie à une autre thèse : celle de l'imprégnation, selon laquelle la femme reste marquée par sa première expérience sexuelle qui conditionne toute sa vie future. Comme si, en plus d'avoir sa propre hérédité, il fallait se coltiner « l'empreinte » de son premier amant ! Remarquez au passage que la théorie n'existe pas, même à l'état de supposition dans l'autre sens : un garçon qui garderait l'empreinte de sa première maîtresse ! le souvenir, certainement, comme dit Brassens dans une de ses chansons (« La première fille »), mais « l'empreinte » !
Cela dit, le portrait de Madeleine est réussi : on voit une pauvre fille à la merci de ses sens (comme Thérèse), affublée d'un mari gentil mais un peu mou (comme Camille) et d'un amant qui n'existe que comme partenaire sexuel et nul dans la psychologie de base (comme Laurent). On le voit, les parallèles avec «
Thérèse Raquin » existent, mais la « faute » qui entraîne le dénouement dramatique est de nature différente c'est le meurtre de Camille chez « Thérèse », c'est « l'empreinte » (qui devient « emprise ») de Jacques sur Madeleine dans « Madeleine ».
Il n'est sans doute pas faux de dire que les romans (et contes) écrits par
Zola avant les Rougon-Macquart (c'est-à-dire grosso modo entre 1864 et 1870) sans être des oeuvres de jeunesse, sont des oeuvres de formation : «
Madeleine Férat » et «
Thérèse Raquin » forment le lien qui lie cette production qui se cherche un peu avec le bloc impressionnant que constituent les Rougon-Macquart ; ces deux oeuvres sont encore expérimentales, mais portent en elles-mêmes les grandes lignes du monument à venir.