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Critique de enjie77


Rédigé en 1941 au Brésil, Stefan Zweig adresse à son éditeur, peu avant son suicide en compagnie de son épouse, le 23 février 1942, cet important témoignage d'une époque où en Autriche, toute sa génération est passée d'une période de pleine sécurité, d'une grande stabilité, à une période plongée dans l'horreur. C'est extrêmement émouvant de l'imaginer à sa table en train d'écrire, se retournant sur toute l'histoire de l'Europe comme sur sa propre histoire, afin de laisser derrière lui un témoignage d'une grande richesse historique.
Ce n'est pas son testament personnel, le lecteur ne trouvera pas de bribes de son intimité, de ses relations amoureuses, mais plutôt le testament de toute une époque qui va de 1895 à 1941 assorti de sa propre réflexion d'observateur, avec toujours cette merveilleuse écriture qui le caractérise.
Il part de sa période scolaire afin de mettre en évidence sa propre critique d'une période qui lui aura paru monotone, étouffante. Il ne garde pas un bon souvenir de ses enseignants qu'il a trouvé imbus d'eux-mêmes, ne cherchant nullement l'épanouissement de l'élève, mais plutôt sous une discipline de fer, à dompter les personnalités individuelles de chaque enfant. D'ailleurs, il est un élève moyen. C'est l'université, où il s'inscrit en philo, qui va lui apporter ce souffle de liberté auquel il aspirait tant.
Descendant par son père, d'une famille juive de Moravie, industriel qui a fait fortune dans le textile en Bohême, et par sa mère, d'une famille juive allemande, il pourra ne pas travailler et laissera son frère, Alfred, reprendre les rennes de l'entreprise familiale.

A cette époque, l'antisémitisme fait partie du décor. Emancipés depuis 1848 et ayant réussi leur ascension sociale, les juifs viennois font partie de l'élite brillante : ils occupent un tiers des professions libérales et représentent plus de la moitié des médecins et des avocats et trois quart des journalistes : ce qui leur vaut en retour rancoeur et inimitiés. D'ailleurs, à cet effet, les premières pages de son témoignage m'ont donné l'impression qu'il éprouvait le besoin de se justifier de sa judéité et d'expliquer son judaïsme éclairé.
Il dépeint très bien la Vienne d'alors. C'est un monde solide, tranquille, pérenne mais somnolent à l'image de l'empereur François-Joseph, monté sur le trône à 18 ans, en 1848. Et la jeunesse n'a pas sa place, la génération précédente ne lui fait pas confiance. Pourtant avec la nomination de Gustave Mahler, à moins de 40 ans, directeur de l'opéra impérial, un murmure d'inquiétude va parcourir Vienne. L'approche du nouveau siècle va réclamer un ordre nouveau et Vienne deviendra le centre d'un renouveau artistique dans le domaine des arts : peinture, littérature et musique.
Pourvu de son diplôme il va alors voyager, s'affranchir de son milieu familial. le lecteur va s'embarquer avec lui et rencontrer Théodore Herzl, Rainer Maria Rilke, Rodin, Romain Rolland, Verhaeren, Ratheneau, Gorki, Mussolini, Freud, et bien d'autres. C'est passionnant pour celles et ceux qui veulent en savoir plus sur cette période.
Zweig est un cosmopolite, il est modeste et doux, il aime l'Autre, ces voyages l'amèneront à rêver d'une Europe sans frontière, c'est un pacifiste, il ne comprend pas, au moment des guerres, pourquoi rejeter celui que l'on a aimé hier. Il n'aime pas les conflits, il les évite, il a besoin d'amour, d'amitié, peut-être dû au fait que la société viennoise de son enfance ne laissait pas de place aux enfants et évitait soigneusement toutes démonstrations d'affection. Enfin je ne sais pas ! Chaque individu est unique et différent. Mais un écrivain qui nous laisse « La Confusion des sentiments » ne peut être qu'un « écorché vif » un être qui a été cruellement atteint dans sa chair, dans son âme, un être qui comprend, est à l'écoute de l'Autre avec bonté, plein d'une compassion fraternelle et pour qui la création artistique devient la beauté du monde dans un monde qui part à la dérive et va droit vers la folie, l'horreur, l'insoutenable car en plus, il était clairvoyant.
Il évoque aussi sa manière d'élaguer ses textes, son besoin de perfection, comment il va droit au coeur de ses oeuvres.
A aucun moment je n'ai ressenti de lamentations, de nostalgie mais plutôt l'analyse des causes ayant entraîné une première guerre mondiale elle-même ayant engendré une deuxième guerre mondiale. Toutes ces atrocités sont devenues insoutenables pour cet homme pour qui j'ai une profonde affection.
Friderike Zweig, les larmes aux yeux, dira « Un homme qui aima profondément ses semblables ».
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