Ce que les savants supposaient depuis des milliers d'années est devenu, grâce au courage d'un individu, une certitude. La terre est ronde, et voici un homme qui vient d'en faire l'expérience.
Pour la première fois, un homme est revenu à son point de départ après avoir fait le tour du monde. Peu importe qu'il s'agisse d'un esclave insignifiant ! Ce n'est pas dans l'individu mais dans son destin que réside ici la grandeur. Car cet esclave malais, dont nous ne connaissons que le nom de baptême, Henrique, qu'on a enlevé de son île et traîné en Europe, à Lisbonne, en passant par l'Inde et l'Afrique, qui a regagné par le Brésil et la Patagonie la sphère où l'on parle sa langue, est le premier, parmi les myriades d'hommes qui aient jamais peuplé la terre, qui en ait fait le tour.
C'est vraiment par euphémisme qu'on appelle cette route un "détroit". En réalité c'est un carrefour ininterrompu, un labyrinthe de baies, de fjords et de canaux qu'on ne peut traverser qu'au prix des plus grandes difficultés et en faisant appel à tout l'art du navigateur.
Ce dut être un spectacle étrange que celui qui s'offrit à la vue des marins lorsque les quatre bâtiments s'engagèrent doucement et sans bruit dans cette baie noire et tragique où jamais encore aucun homme n'avait pénétré. Autour d'eaux, un silence de mort et des falaises abruptes qui semblent les fixer d'un regard métallique.
Pendant deux mois, deux mois interminables, il attend et se ronge, se demandant s'il atteindra le passage, alors qu'à deux journées de là se trouve la route qui rendra son nom à jamais célèbre. Jusqu'au dernier moment l'homme qui, doué d'une volonté prométhéenne, veut arracher à la terre son secret sentira la griffe du doute lui déchirer le cœur.
Ce qui étonne tout particulièrement les navigateurs ce sont les pieds de ce monstre humain, et c'est à cause de ces "grands pieds" (patagao) qu'ils dénomment par la suite les indigènes de ce pays des Patagons et leur terre Patagonie.
Une fois de plus une tête roule sur le sable, éternelle fatalité qui veut que presque toutes les actions les plus glorieuses soient tâchées de sang et que ce soient précisément les hommes les plus impitoyables qui accomplissent les plus grands exploits.
Agir hardiment chez lui ne signifie pas du tout agir d'une façon impulsive, précipitée, mais au contraire entreprendre quelque chose d'extrêmement dangereux avec le maximum de calcul et de prudence.
Sur ce qui s'est passé au cours de cette séance mémorable nous n'avons malheureusement que des rapports qui se contredisent et n'ont pas conséquence aucune valeur. Ce qui est certain, c'est que l'attitude décidée de Magellan doit avoir immédiatement frappé les conseillers du roi.
Cette situation incite de plus en plus vivement l'occident à se soustraire à l’onéreux et humiliant contrôle, et un beau jour les énergies se groupent. Une croisade est décidée. Les croisades ne sont pas simplement (comme des esprits romantiques les ont souvent dépeintes) une tentative mystico-religiese en vue d'arracher les lieux saints aux infidèles ; cette première coalition européo-chrétienne représente aussi le premier effort logique et conscient ayant pour but de briser la barrière qui ferme l'accès de la mer Rouge et d'ouvrir les marchés orientaux à l'Europe, à la Chrétienté.