13 août 1856. A cette date, dans son (Tolstoï) Journal que lit-on ? « La propriété, c'est le vol. C'est une vérité plus grande que celle de la constitution anglaise... c'est une vérité absolu... mais il existe des vérités relatives qui en découlent... celles qui empêchent le plus les autres d'acquérir leur propriété foncière... La révolution russe ne sera basée que sur elle. Elle dira... prends et fais ce que tu veux, mais laisse la terre à nous tous. (j'ai rêvé de tout cela le 13 août) ».
Ainsi donc, en pleine élaboration de son roman « La Guerre et la Paix », commencé en décembre 1864, Tolstoï lit Proudhon, et il est tellement imprégné par la pensée de son auteur qu'il en rêve - « La propriété c'est le vol... c'est une vérité... » : nous retrouverons textuellement le fameux cri de Proudhon.
Plus, Tolstoï enchaîne sur deux autres phrases du Bisontin : « Je ne vois que la révolution économique... qui puisse opérer cette révolution de l'empire russe ». Cette phrase, Proudhon l'a écrite justement dans sa « Guerre et la Paix » avant sa rencontre avec Tolstoï, dans ce livre même qui sera reconnu par la critique soviétique comme une source principale du roman tolstoïen.
1595 - [p. 17-18] Jean Bancal, professeur à l'Université Paris XIII, La rencontre de deux cultures : Proudhon et Tolstoï.
... le fait est net : en mai 1857, exactement au moment où Tolstoï, lors de son premier voyage à l'étranger quitte précipitamment la France, qui l'a déçu et s'installe à Genève, le jeune écrivain a commencé de lire Proudhon. Il a été à la fois séduit par sa pensée politique et choqué par son antithéisme, mais il connaît mal encore cette œuvre, puisqu'il qualifie de matérialiste, ce fondateur de l'idéo-réalisme.
Qu'a-t-il lu ? Sans doute à cet instant, le premier mémoire sur « La Propriété », et très vraisemblablement des passages de « La Justice », puisque c'est dans « La Justice » que se trouvent les idées de Proudhon sur l'amour et le mariage, que les critiques soviétiques décèlent à juste titre dans le « Bonheur Conjugal » et dans « La Famille Corrompue ».
1568 - [p. 12] Jean Bancal, professeur à l'Université Paris XIII, La rencontre de deux cultures : Proudhon et Tolstoï.
Nous voudrions montrer, comment, par le jeu d'une influence déterminante, celle de Proudhon sur Tolstoï, deux grandes civilisations et deux grandes cultures se rencontrent, dialoguent et convergent par leurs sommets, comment deux immenses « phares » l'un typiquement français et l'autre typiquement russe, s'éclairent mutuellement pour projeter ensemble des faisceaux de lumière, qui au-delà de toute frontière tracent cette voie lactées des lettres, des arts et des sciences, où l'homme prend sa dimension cosmique.
1541 - [p. 6] Jean Bancal, professeur à l'Université Paris XIII, La rencontre de deux cultures : Proudhon et Tolstoï.
La célébrité extraordinaire et l'étonnante diffusion de la pensée et des livres de Proudhon (en Russie) ont été abondamment prouvées par le grand russisant Raoul Labry dans son « Herzen et Proudhon » (Paris, Edition Bossard 1928) et par le critique soviétique Eikhembaum (Moscou, tome I, 1928, tome 2, 1931). Dans la Russie d'alors, l'œuvre de Proudhon est commentée et diffusée avec une ardeur infatigable. Herzen lui écrit en juillet 1865 : « vous seul, vous êtes le penseur autonome de la Révolution... On a un culte pour vous au Nord. » Chaque livre du grand socialiste est immédiatement traduit quand la censure le permet ou répandu sous le manteau et lu avec avidité.
1543 - [p. 7] Jean Bancal, professeur à l'Université Paris XIII, La rencontre de deux cultures : Proudhon et Tolstoï.
La généralité des biographes français de Tolstoï (dont la plupart semblent n'avoir qu'une faible connaissance de l'œuvre de Proudhon) font mention seulement de la visite de Tolstoï à Proudhon en mars 1861 et de l'emprunt qu'il lui fit du titre de son livre : « La Guerre et la Paix ».
1542 - [p. 6] Jean Bancal, professeur à l'Université Paris XIII, La rencontre de deux cultures : Proudhon et Tolstoï.