L'idole de chair

Elle prit d’abord le sac, commença par en extraire un manuscrit et enfin une touffe de cheveux et une corde à nœuds.
– Voici, dit Paquita Ruys, une touffe de poils secrets ayant appartenu à Lénine et une lanière dont se servait Raspoutine lorsqu’il flagellait la délirante impératrice de Russie… Le tout authentifié par quelques lignes autographes du célèbre bolchevik et de la femme du tsar, et une lettre du prince Youssoupof.
Elle annonça avec le timbre atone d’un bonisseur de ventes aux enchères :
– 5 000 dollars.
Darrieux ne sourcilla pas… Il observa :
– Ce n’est pas assez cher… Ensuite ?
– Ensuite, dit la Chilienne… je vous présente cinq têtes de missionnaires écossais massacrés sur les bords de l’Amazone par les Indiens Jivaros…
Elle tira d’un sac de cuir cinq têtes humaines grosses comme le poing. Cinq têtes de cire aux yeux vitreux.
Darrieux, instinctivement, recula… L’étrange collectionneuse expliqua :
– Ces têtes que vous voyez là, réduites des deux tiers, représentent un spécimen tout à fait remarquable des travaux de taxidermie familiers aux coupeurs de tête de l’Ecuador… Pièces actuellement introuvables… Chaque tête : 10 000 dollars.
– C’est peu ragoûtant, dit Darrieux. Ça ne peut intéresser que les piqués ou les gens blasés.
– Ce n’est pas tout… j’ai une pièce unique… vous allez voir ça…
Elle saisit l’un des bocaux, fit sauter la housse qui le recouvrait. Derrière le verre épais du bocal, une tête jaunâtre apparût, qui nageait dans l’alcool.
Darrieux poussa un cri d’étonnement :
– Mais je connais cette tête-là !
– Qui ne la connaîtrait pas ? C’est la tête de Sessue Hayakaxwa, le célèbre artiste de l’écran qui s’est suicidé, il y a deux ans, dans les salons du Casino de Monte-Carlo. Ah ! L’histoire de cette tête… On pourrait la faire en un volume à deux tomes.
– C’est incroyable. Vous vous en payez des têtes ?
– Ça vaut 50 000 dollars… conclut-elle.
L’écœurement commençait à gagner Darrieux. Gouailleur, il questionna :
– C’est tout ?
– Non… Voici la perle de ma collection…
Paquita Ruys brandit le deuxième bocal qu’elle dépouilla de sa toile :
– Voici annonça-t-elle, la partie la plus intime de Bodo-Khan… le Bouddha vivant qui faisait prosterner toute la Mongolie et tout le Thibet… mutilé par les bolcheviks, il y a quatre ans… Avec pièces à l’appui signée par les mutilateurs…
Darrieux regarda… horrifié.
Un sexe énorme hideux, obscène, étalait son érection hallucinante dans l’ombre fluorescente du bocal.
Muet… Darrieux se demanda s’il ne fallait pas rire ou s’insurger.
– 100 000 dollars, lança la señora de sa voix claire. Un cadeau de noces fort original pour une Yankee, jeune mariée frigorifique, fatiguée de faire des bigoudis avec ses banknotes.