Citations de David B. (104)
Je fais mon premier livre avec mon frère. Ca s'appelle "Les martyres de Florence". Ma soeur y est torturée à chaque page.
Mais Jean-Christophe ne veut pas de cette sorte d'aide. Il veut qu'on le plaigne et qu'on le console, pas qu'on l'aide à se battre.
J'observe bien les crises de mon frère et un jour je me lance dans un jeu terrible.
- C'est facile de te faire avoir une crise. J'ai bien vu moi, t'as un malaise quand t'es énervé!
C'est vrai quand il est contrarié ou mal à l'aise ça ne rate jamais.
- Hé, hé, hé! Tu vas avoir une crise!
- Arrête! T'es fou!
- Hé, hé, hé! Regarde! T'es déjà tout rouge!
Soudain, j'ai peur de ce que je suis en train de faire. J'ai un pouvoir terrifiant sur mon frère, j'en prends conscience. Je ne recommencerai jamais ce jeu. J'ai le sentiment d'avoir grandi.
Tu trouves pas qu'on s'endort?
La nuit, les cauchemars viennent galoper dans nos têtes. Le Cheval Blême est apparu au Moyen-Âge, on le trouve sous différentes formes : "Haucquemart", "Chauchemar", "Cauchemar". "Chaucher" signifie chevaucher et fouler aux pieds ; "Mar" est la francisation du mot saxon "Mahrt", il désigne un démon nocturne se présentant sous la forme d'une jument décharnée qui vient peser sur le sommeil des humains. C'est une représentation de la Mort ou du Diable à laquelle on échappe en enfourchant notre propre monture pour se lancer dans une grande fuite nocturne qui se termine au réveil. Chaque nuit, je me bats et j'échappe à la mort.
La grande ronde des médecins a commencé pour mon frère et mes parents. Ils vont voir le médecin de famille qui les envoie à son professeur qui n’exerce plus. Il les reçoit quand même t décèle des crises d’épilepsie. Il les recommande à un neuropsychiatre parisien. Son diagnostic est à la hauteur de ses honoraires.
- Madame, votre fils est méchant !
Nous avons beau vivre dans la ville dont le président est un poète, nous ne parlons pas en vers tous les jours !
- J'ai parfois des explosions dans la tête. Cela dure une seconde et puis c'est fini. Je me dis : c'est elle, elle est là.
Il a à nouveau trois crises par jour. C’est une horloge qui rythme notre vie. Est-ce que c’est vivable ? Mais on n’a pas le choix. La maladie s’est installée à la maison sans nous demander notre avis. Elle couche dans mon frère et elle vient picorer nos vies quand elle se réveille
Tout cela est bien cruel mais fascinant aussi.
Alors, je rentre dans ma tour.
La nuit est à moi, j'éteins la lumière et je fais semblant de me coucher.
En fait, je vais sur le balcon et j'attrape la gouttière.
Je descends le long de la façade jusqu'au parc.
Je confie mes armes à Gengis Khan.
— Attends-moi là !
Là où je vais, je n'en ai pas besoin.
Je m'enfonce dans le bois. Je me perds dans la forêt.
C'est un moment magique. Je suis ivre.
Mes fantômes me rejoignent et m'escortent.
Je guette les ombres, j'écoute les mille petits bruits des animaux.
Je saute la clôture et je me glisse dans le jardin des voisins, je l'explore à pas de loup puis je rentre chez moi.
Ce soir, il y a un nouveau fantôme.
— C'est toi pépé ?
— Hé oui...
— Je suis content que tu sois là.
Il est temps de rentrer, les fantômes restent sous les arbres.
Je remonte dans ma chambre.
Tiens, c'est vrai, qu'est-ce qui lui arrive à mon frère, lorsqu'il a une crise ? Est-ce qu'il quitte son corps pour aller quelque part ? Ou au contraire est-ce qu'il plonge à l'intérieur de lui même ? Est-ce qu'il va dans la quatrième dimension ? Ou est-ce qu'il visite d'autres mondes obéissant à des lois géométriques inconnues sur Terre comme dans les romans de Lovecraft ? Est-ce qu'il meurt l'espace d'un instant ? Est-ce qu'il rêve ? Est-ce une sorte de néant ? Est-ce qu'il se rappelle de rien parce qu'il n'y a rien à se rappeler ? Ou est-ce qu'on lui efface la mémoire des autres mondes ? Et s'il partait parce qu'il n'est pas heureux avec nous ?
— L'anneau de Salomon permet de se faire obéir des hommes, des génies, des animaux et de toutes les créatures vivantes. La Reine des Serpents pourra nous aider à atteindre l'île sur laquelle est enterré le roi Salomon. Avec l'anneau du roi Salomon, nous pourrons traverser la mer des Ténèbres et arriver dans l'île où se trouve la fontaine de Jouvence. Ainsi, nous pourrons vivre jusqu'au temps de la révélation du prophète Muhammad et le rencontrer.
— Génial !
Je ne suis pas un personnage particulier, je suis un groupe, une armée. J'ai assez de fureur en moi pour cent mille guerriers. J'ai assimilé les crises de mon frère à cette même fureur. Sur quel cheval est-il emporté ?
Jean-Christophe leur en veut de ce que tout ce qu'ils ont tenté pour le guérir n'ait pas réussi. Maintenant il va se servir de sa maladie pour éviter d'affronter la vie.
Alors je me jette dans la rue et je marche. Marcher c'est écrire et dessiner autrement. (...)
Je marche pour m'épuiser, c'est mon ivresse à moi.
Je marche pour semer le passé et ses douleurs. Mais il est toujours sur mes talons.
Mai 1917, dans le nord de la France, quelque par a l'arriere du front.
Vous connaissez cette théorie qui veut qu'un homme que l'on empeche de rever devient fou et meurt?
Et bien c'est une théorie boche. Un comble!
C'est un savant allemand, Robert, qui l'as émise. L'ingénieur Hellequin l'a reprise a son compte.
Souvent, je tâte les os de mon crâne à travers la peau. C'est pour sentir comment est faite ma tête de mort. Les orbites... L'arête de la joue... La mâchoire... Je voudrais que ces os crèvent la peau de mon visage, qu'ils sortent au jour et qu'on en finisse. Je voudrais me tuer.
Jean-Christophe n'a plus de crises, il ne prend plus de médicaments, mais le mal est fait. [...] Le fantôme de sa maladie le suit à la trace.