Vous avez probablement — sûrement — entendu parler des performances rédactionnelles exceptionnelles du robot de conversation chatGPT ? On nous assure que l'intelligence artificielle serait — est — en passe de réaliser des prodiges, de remplacer bientôt — déjà — l'humain dans bon nombre de domaines où l'on le croyait encore irremplaçable il y a peu.
Alors je me suis donné aujourd'hui pour défi — mission — d'écrire exactement le genre de critique qu'une intelligence artificielle ne pourrait pas écrire, ne pourra jamais écrire, même une ultra méga chatGPT du modèle " pluhokmonku " qui sortira dans vingt ou trente ou cent cinquante ans. En effet, je ne m'adresse qu'aux intelligences naturelles avec le peu de cette substance qui m'échoit, aussi imparfaite soit elle. Et si, à la fin, vous pensez malgré tout qu'une IA de chez Microsoft & consort pourra un jour pondre ça, alors sur le champ j'abandonne la critique et m'en vais me suicider avant que le réseau de neurones survitaminé d'une grande firme ne m'en intime l'ordre !
Et d'abord, pour commencer, je pense qu'il y a une nuance entre le fait de trouver un texte fondamental dans l'histoire littéraire et le fait de l'apprécier. Prenons un exemple dans un autre domaine que la littérature (où vous percevrez peut-être un lien avec ce qui précède) : personnellement, je trouve que le premier récepteur de Guglielmo Marconi est absolument fondamental et essentiel dans l'histoire des sciences et de la technique, ouvrant la voie à des avancées fulgurantes dont nous bénéficions aujourd'hui plus que jamais.
De là à me pâmer chaque matin sur les incroyables performances de son récepteur, d'une portée de 2,4 km avec une réception comparable à un bac de friture en pleine effervescence et vis-à-vis de laquelle le bip-bip (nouvelle orthographe bipbip *) de Spoutnik fait figure de réception Dolby digital : il y a un monde. (* Il faut que je vous confie un secret : outre l'étonnant artifice des robots conversationnels, je suis une absolue fan des évolutions typiquement humaines, telles que les réformes orthographiques successives, celles qui viennent mettre du doute là où l'on n'en avait pas, de même que de la somptueuse et luminescente écriture inclusive en littérature.)
Eh bien, Les Perses d'Eschyle, pour moi, c'est un peu ça. Elle est tout ce que les autres en ont dit : la plus ancienne pièce quasi complète qui nous soit parvenue à ce jour ; une pièce qui nous parle d'un événement historique, ce qui est, toutes proportions gardées, très rare pour l'époque. Sans oublier les innovations purement scéniques que nous devons à Eschyle, pas de doute, c'est bien l'un des pères fondateurs du théâtre, de la tragédie et même, je pense qu'on peut aller jusqu'à le présenter comme un des pères de la littérature dans son ensemble.
Ceci dit, j'ai tout de même un peu de mal à m'enthousiasmer plus que ça. Sophocle, par exemple, qui aurait l'âge d'être son fils et qui n'est donc séparé d'Eschyle que d'une génération me semble avoir placé la barre bien plus haut quant aux seules qualités littéraires de ses textes, à l'intensité de ses intrigues, à la profondeur psychologique de ses personnages, au rythme de ses pièces, etc.
Les pièces d'Eschyle sont ultra-courtes (nouvelle orthographe, ultracourtes) mais pourtant, on trouve le moyen de s'y ennuyer. C'est comme un long radotage où l'on vous répète inlassablement le sempiternel « Hélas ! Hélas ! » C'est vrai hélas ! car la lectrice que je suis est lasse. Quoi hélas ? qu'est-ce qu'il y a Hélas ? pourquoi Hélas ? quelles conséquences Hélas ? quelles réactions Hélas ? quels ajustements Hélas ? Merde à la fin avec ton Hélas !
Bon, d'accord, l'armée des Perses est vaincue ; ça, je crois que j'ai bien compris, et ensuite ? « Hélas ! Hélas ! » Oui, mais encore ? « Hélas ! Hélas ! » Okay, mais je voulais dire, qu'est-ce qu'il y a après le hélas ? « Hélas ! Hélas ! » Bon, je crois que c'est sans espoir… « Hélas ! Hélas ! » (profond soupir, immédiatement suivi d'un violent choc des paupières… hélas !)
Donc, en somme, voilà — hélas — ce que j'ai retenu. Les Perses, une gigantesque armée recrutée sur les immensités de l'empire du défunt Darius, les Perses, pas tous perses donc, menés par Xerxès, le fils du grand Darius s'en viennent prendre en tenaille la coalition grecque autour d'Athènes. D'un côté, par la mer, en affrétant une immense flotte de plus de mille navires de guerre (pour les détails, toujours très sujets à caution, se reporter à l'historien Hérodote, qui peut-être bien radote) ; de l'autre côté, par le continent, en franchissant le détroit des Dardanelles par un procédé original : relier des barques d'un bout à l'autre du détroit pour permettre à son armée de sauter de l'une à l'autre à pied sec.
Bref, c'était pas mal pensé mais les Grec.que.s, ayant été les vainqueur.euse.s — et transitoirement ce.lles.ux qui nous ont raconté cette histoire — se sont attribué.e.s un rôle intéressant : moins nombreu.ses.x (à peine 300 Spartiates, dit-on, aux Thermopiles, armés d'une seule boîte de chocolats Léonidas) mais pas affolé.e.s, pas peureux.y.z pour deux drachmes, capables de s'unir sans dissensions, plus rusé.e.s, plus fort.e.s, plus agiles, plus TOUT, quoi !
Tiens, c'est marrant, le coup de l'union des cités grecques contre un ennemi commun venu d'Asie ça me rappelle un peu une histoire qu'on se racontait alors depuis des siècles : l'Illiade. Donc on sent une certaine volonté, pour ne pas dire une volonté certaine, de faire coller la situation actuelle des guerres Médiques (pas merdiques, médiques. Les guerres merdiques, ce sera pour plus tard.) à celle, aux trois quarts fantasmée, de la Guerre de Troie.
Bon, et comme dans toute bonne propagande il faut un système de communication efficace, pourquoi ne demanderions-nous pas à un ancien de la bataille de Salamine de nous pondre un petit spectacle bien senti allant dans ce sens sous des airs d'apitoiements pour les Perses ? Eschyle était né ; l'histoire allait devenir légende, allait devenir spectacle, un peu comme le Jour le Plus Long avec John Wayne, Henry Fonda et Robert Mitchum (à tes souhaits).
D'ailleurs, à ce propos, la fin de la pièce fait dans l'endoctrinement quasi-religieux (nouvelle orthographe kazirelijie) où l'on reconnaît (nouvelle orthographe reconnait ou reconé ou rheu qu'au nez, je ne sais plus très bien) une forme ancestrale du répons des offices liturgiques chrétiens, voire même un proto-gospel (nouvelle orthographe… euh… je ne sais plus, prote aux grosses pelles, je crois) de type call and response (nouvelle orthographe collant de Raiponce).
On voit donc à longueur de pièce la brave maman de Xerxès pleurer et se lamenter sur la défaite de son humilié de fiston. Elle en appelle alors — cas de force majeure — au fantôme de Darius à coup de libations et de prières aux Dieux pour savoir quoi faire en pareille panade. Eschyle ponctue toutes ses phrases d'un « Hélas ! Hélas ! » en nous rappelant bien que la Grèce est forte, qu'Athènes c'est ce qu'il y a de mieux et que surtout, surtout, faut croire aux Dieux, car, en toutes occurrences, ce sont eux, les véritables artisans de la victoire. (Ce que l'on pourrait éventuellement résumer en langage moderne et inclusif par une formule pleine de sagesse du genre : « Si vous ne voulez pas vous faire Niké*, vous vous ferez avoir. »)
Eh bien, merci pour ce conseil Eschyle, j'y penserai en temps utiles ; pour l'heure il faut que j'aille me recoucher car à fin et à force de me percuter les paupières, j'ai senti les bâillements (nouvelle orthographe bayeman) lancer l'assaut (nouvelle orthographe Lens & lasso). Donc, vous aurez peut-être deviné.e que cette pièce n'est pas particulièrement ma tasse de thé (nouvelle orthographe tass2T) mais ceci n'est que mon avis, pas beaucoup plus qu'un tuyau Persé, c'est-à-dire, pas grand-chose.
(* il s'agit bien entendu de Niké, déesse de la victoire, pas de cette marque vaguement sportive symbolisée par un genre de virgule mal positionnée et qui, soi-disant, serait une représentation stylisée de l'aile de ladite déesse à Samothrace.)
P.S. : définitivement, j'aime les autrices, auteuses, professeuses, professrices et autres sautrices en longueur, qui, à la force du poignet, ont enfin été les vainqueuses, vainctrices d'un système anachronique et machiste de désignation. Grâce à iels (ces iels rieu.se.r.s, tacheté.e.s ou rayé.e.s, on ne nous précise pas), notre langue, si boitrice auparavant, est désormais harmognice. À quand la déformation de mignon en moignon ? (On pourrait même récrire les vieux poèmes anachroniques et machistes en inclusif, ce serait un progrès colossal, digne de l'intelligence artificielle, croyez-moi : Mignon.ne, allons voir si la rose... Las ! voyez comme en peu d'espace, Mignon.ne, iel a dessus la place…) Bref, vive les autrices, mot qui rime si bien avec cicatrice et mot triste, et à bas les auteures, mot qui, à coup sûr, sonne désormais bien trop masculin à nos oreilles inclusives !
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