Citations de Alfred de Musset (1297)
Je m’ennuie et je suis triste ; je ne te crois pas plus gai que moi ; mais je n’ai pas même le courage de travailler ; eh ! que ferais-je ? […] Je ne voudrais pas écrire, ou je voudrais être Shakespeare ou Schiller : je ne fais donc rien […].
(Lettre à son ami Foucher)
Tel que je vous ai dit que j’étais, à dix-neuf ans, ne connaissant rien de ce monde, ni les choses, ni les êtres, ni les passions, je m’avisai de jouer avec les mots, et de me faire des hochets de ces symboles qui représentent tout, les passions, les êtres et les choses. Je les retournais au hasard comme un étudiant désœuvré remue des dominos sur la table d’un café ; je les jetais à croix ou pile pour les entendre résonner ; le plus sonore et le plus bizarre, le plus nouveau surtout, était le meilleur […]. Ce métier m’amusait ; j’y montrais de l’audace […].
(le Poète déchu, 1839)
Charmant petit moinillon blanc,
Je suis un pauvre mendiant.
Charmant petit moinillon rose,
Je vous demande peu de chose,
Accordez-le-moi poliment,
Charmant petit moinillon blanc.
Charmant petit moinillon rose,
En vous tout mon espoir repose.
Charmant petit moinillon blanc,
Parfois l’espoir est décevant.
Je voudrais parler mais je n’ose,
Charmant petit moinillon rose.
(le Petit Moinillon)
LA MUSE
Poète, prends ton luth et me donne un baiser ;
La fleur de l’églantier sent ses bourgeons éclore,
Le printemps naît ce soir ; les vents vont s’embraser ;
Et la bergeronnette, en attendant l’aurore,
Aux premiers buissons verts commence à se poser.
Poète, prends ton luth, et me donne un baiser.
LE POÈTE
Comme il fait noir dans la vallée !
J’ai cru qu’une forme voilée
Flottait là-bas sur la forêt.
Elle sortait de la prairie ;
Son pied rasait l’herbe fleurie ;
C’est une étrange rêverie ;
Elle s’efface et disparaît.
[…]
Pourquoi mon cœur bat-il si vite ?
Qu’ai-je donc en moi qui s’agite
Dont je me sens épouvanté ?
Ne frappe-t-on pas à ma porte ?
Pourquoi ma lampe à demi morte
M’éblouit-elle de clarté ?
Dieu puissant ! tout mon corps frissonne.
Qui vient ? qui m’appelle ? - Personne.
Je suis seul ; c’est l’heure qui sonne ;
Ô solitude ! ô pauvreté !
(la Nuit de mai)
Un an après, il était nuit ;
J’étais à genoux près du lit
Où venait de mourir mon père.
Au chevet du lit vint s’asseoir
Un orphelin vêtu de noir,
Qui me ressemblait comme un frère.
Ses yeux étaient noyés de pleurs ;
Comme les anges de douleurs,
Il était couronné d’épine ;
Son luth à terre était gisant,
Sa pourpre de couleur de sang,
Et son glaive dans sa poitrine.
(la Nuit de décembre)
C’était, dans la nuit brune,
Sur le clocher jauni,
La lune
Comme un point sur un i.
Lune, quel esprit sombre
Promène au bout d’un fil,
Dans l’ombre,
Ta face et ton profil ?
Es-tu l’œil du ciel borgne ?
Quel chérubin cafard
Nous lorgne
Sous ton masque blafard ?
N’es-tu rien qu’une boule,
Qu’un grand faucheux bien gras
Qui roule
Sans pattes et sans bras ?
(Ballade à la lune)
Je vis d’abord sur moi des fantômes étranges
Traîner de longs habits ;
Je ne sais si c’étaient des femmes ou des anges !
Leurs manteaux m’inondaient avec leurs belles franges
De nacre et de rubis.
Comme on brise une armure au tranchant d’une lame,
Comme un hardi marin
Brise le golfe bleu qui se fend sous sa rame,
Ainsi leurs robes d’or, en grands sillons de flamme,
Brisaient la nuit d’airain !
Ils volaient ! - Mon rideau, vieux spectre en sentinelle,
Les regardait passer.
Dans leurs yeux de velours éclatait leur prunelle ;
J’entendais chuchoter les plumes de leur aile,
Qui venaient me froisser.
(Vision)
Tous les hommes sont menteurs, inconstants, faux, bavards, hypocrites, orgueilleux ou lâches, méprisables et sensuels ; toutes les femmes sont perfides, artificieuses, vaniteuses, curieuses et dépravées ; […] mais il y a au monde une chose sainte et sublime, c’est l’union de deux de ces êtres si imparfaits et si affreux. On est souvent trompé en amour, souvent blessé et souvent malheureux ; mais on aime, et quand on est sur le bord de sa tombe, on se retourne pour regarder en arrière, et on se dit : J’ai souffert souvent, je me suis trompé quelquefois, mais j’ai aimé.
(Acte II, scène 5)
Les hommes ne m’avaient fait ni bien ni mal ; mais j’étais bon, et, pour mon malheur éternel, j’ai voulu être grand. Il faut que je l’avoue : si la Providence m’a poussé à la résolution de tuer un tyran, […] l’orgueil m’y a poussé aussi.
[…] il n’est même plus beau ; comme une fumée malfaisante, la souillure de son cœur lui est montée au visage. Le sourire, ce doux épanouissement qui rend la jeunesse semblable aux fleurs, s’est enfui de ses joues couleur de soufre, pour y laisser grommeler une ironie ignoble et le mépris de tout.
Figure-toi un danseur de corde, en brodequins d’argent, le balancier au poing, suspendu entre le ciel et la terre ; à droite et à gauche […] toute une légion de monstres se suspendent à son manteau et le tiraillent de tous côtés pour lui faire perdre l’équilibre. […] S’il regarde en bas, la tête lui tourne ; s’il regarde en haut, le pied lui manque. Il va plus vite que le vent, et toutes les mains tendues autour de lui ne lui feront pas renverser une goutte de la coupe joyeuse qu’il porte à la sienne. Voilà ma vie…
Le souffle de ma vie est à Marianne ; elle peut d’un seul mot de ses lèvres l’anéantir ou l’embrasser. Vivre pour une autre me serait plus difficile que de mourir pour elle.
Cœlio était la bonne partie de moi-même ; elle est remontée au ciel avec lui. C’était un homme d’un autre temps ; il connaissait les plaisirs et leur préférait la solitude ; il savait combien les illusions sont trompeuses, et il préférait ses illusions à la réalité. Elle eût été heureuse la femme qui l’eût aimé.
Mon cher cousin, est-ce que vous ne plaignez pas le sort des femmes ? […] Qu’est-ce après tout qu’une femme ? L’occupation d’un moment, une coupe fragile qui renferme une goutte de rosée, qu’on porte à ses lèvres et qu’on jette par-dessus son épaule.
Je crois que Marianne a des amants. […] Oui ; il y a autour de ma maison une odeur d’amants […].
L'hirondelle de mer, qui tournoie dans l'azur des cieux, plane ainsi du haut de la nue sur le brin d'herbe où elle a fait son nid.
Je m'attendais à voir en elle presque une religieuse, du moins une de ses femmes de province qui ne savent rien de ce qui se passe à deux lieues à la ronde, et qui vivent dans un certain cercle dont elles ne s'écartent jamais. J'avoue que ces existences à part, qui sont comme enfouies ça et là dans les villes, sous des millions de toits ignorés, m'ont toujours effrayé comme des espèces de citernes dormantes ; l'air ne m'y semble pas viable ; dans tout ce qui est oubli sur la terre, il y a un peu de la mort.
L'insensé veut posséder le ciel ; le sage l'admire, s'agenouille, et ne désire pas.
Quand je vous dis que je vous aime, vous croyez donc que je n'en sens rien ? Quand je parle de deux ans de souffrance, vous croyez donc que je fais comme vous ? Eh quoi ! vous me brisez le cœur, vous prétendez vous en repentir, et c'est ainsi que vous me quittez ! La nécessité, dites-vous, vous a fait commettre une faute, et vous en avez du regret ; vous rougissez, vous détournez la tête ; ce que je souffre vous fait pitié ; vous me voyez, vous comprenez votre œuvre ; et la blessure que vous m'avez faite, voilà comme vous la guérissez !
Les hommes ne m’avaient fait ni bien ni mal ; mais j’étais bon, et, pour mon malheur éternel, j’ai voulu être grand. Il faut que je l’avoue : si la Providence m’a poussé à la résolution de tuer un tyran, quel qu’il fût, l’orgueil m’y a poussé aussi. (Laurent / Lorenzo / Lorenzaccio)