On entre dans Charming Billy d’une manière originale : c’est l’enterrement de Billy et autour d’une collation, tous ses proches évoquent leurs souvenirs de lui. Tout le monde l’aimait. « Billy, leur Billy, avec ses lettres et ses blagues, sa loyauté et son cœur brisé, creusait sa tombe à force de lever le coude ». Et l’alcool a effectivement fini par avoir sa peau. Autour de la table il y a Maeve, sa veuve, terne et dévouée, les voisins et tous les cousins dont Dennis, le meilleur ami. C’est la fille de Dennis qui va tout nous raconter, durant les quelques jours qui suivent l’enterrement. Billy, son grand amour, sa disparition. En donnant la parole aux vivants, aux morts, aux souvenirs et au présent, elle va nous conduire le long d’une existence entière, et même de plusieurs. Toutes ces voix mêlées vont raconter le destin d’immigrés irlandais à New-York.
En entrant dans l’histoire, j’avoue, j’ai trouvé le procédé intéressant mais un peu bordélique. J’ai eu du mal à m’y retrouver entre tous ces Lynch, les sœurs, leurs maris, les cousins et cousines, leurs parents, leurs amours et leurs pertes, les allers et retours entre passé et présent, toutes les vies respectives de chacun. D’autant que le style au début m’a semblé un peu laborieux. Mais très vite on s’immerge dans cette fresque vivante et colorée, sensible et humaine, et chaque existence devient importante et tisse à sa manière l’éclat tout entier de l’oeuvre. Quelques personnages m’ont particulièrement touchée (les parents de Dennis et leur rencontre, entre autres) ; de leur vie on pourrait tirer un livre tout entier.
Au cœur de cette histoire il y a un lieu, Long Island, et une rencontre, celle de Billy, Dennis et de deux jeunes femmes sur une plage. Je ne dis pas « au début de » cette histoire car on réalise en lisant Alice McDermott qu’une histoire commence en fait bien avant même la naissance de chacun des protagonistes, et ne se termine pas avec leur mort. Dans l’œil du cyclone de cette histoire, il y a un amour éperdu, celui de Billy pour Eva l’irlandaise. Et sa perte. Il y a aussi cette petite maison de Long Island au « toit vert rayé de bardeaux rouges, raboteux, incrustés de particules de mica qui étincelaient au soleil », deux fenêtres sur le devant aux moulures vert bouteille, séparées par une porte et trois marches en bois. Une maison que l’on revoit de bout en bout du livre, comme un personnage à part entière, un lieu de paix et de destinée.
Alice McDermott a un talent pas possible (sous le charme duquel j’étais tombée en découvrant Someone, l’an dernier) pour raconter de manière non linéaire les vies ordinaires. Ce roman est assez magique dans la profusion et l’intelligence d’observation. Il égrène avec grâce et sans artifices toute la palette des émotions humaines. J’ai mis un peu de temps à le lire, mais quel beau voyage en humanité ! Ah, et j’oubliais : l’objet livre en lui-même (il fait partie de la collection petit Quai Voltaire des éditions la Table ronde) est superbe. Format, qualité de papier, couverture, illustration : tout est plaisir. Merci à la maison d’édition pour cet envoi.
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