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Citations de Ana Maria Matute (93)


Un de mes plus anciens souvenirs remonte au soir où j'ai vu courir la licorne.Avec une stupéfiante netteté,je la vis s'élancer hors de son cadre,puis réapparaître et reprendre sa place,belle,nivéenne,énigmatique.
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Ainsi pendant les repas pris dans la salle à manger, où j'étais
désormais admise, Maman ne perdait-elle pas une occasion de me
faire la leçon sur les bonnes manières à table, mais personne ne
remarquait mon désespoir silencieux. Qu'il fût de mon choix ou qu'il
fût imposé par cette éducation rigide, le silence était de rigueur. Le
désespoir n'entrait dans aucun programme éducatif. Dans cette
maison, du moins.
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Ma grand-mère avait des cheveux blancs dont les vagues houleuses lui donnaient un air coléreux. Elle n'abandonnait presque jamais sa canne de bambou à pommeau d'or, dont pourtant solide comme un cheval elle n'avait aucun besoin. En feuilletant un vieil album, je crois retrouver dans ce visage épais, massif et blanchâtre, dans ces yeux gis bordés d'un cercle bleuâtre, un reflet de Borja et même de moi. Je suppose que Borja a hérité son assurance, son manque absolu de pitié et moi, peut-être, cette grande tristesse.
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Toute la furie de la terre était sienne et elle ne trouvait pas suffisamment de quoi se nourrir pour assouvir la meute qui confondait son esprit et son corps en une seule fièvre: faim et soif de sang le soutenaient et le torturaient à la fois depuis des origines très reculées de sa vie. Mon seigneur traînait cette soif et cette faim et n'arriva jamais à en voir le fond. Mais il n'y avait en lui aucune trace de haine. 
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On m'avait chargée de demander des grâces pour tout le monde, le problème c'est que personne n'avait précisé lesquelles. Aussi n'en demandais-je qu'une seule et pour moi, celle d'avoir un cheval. Elle ne me fut jamais accordée.
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Après le cha, nous
retournions nous allonger, reprenions notre lecture, et de ces pages
surgissaient des villes, des châteaux, des bois, des lacs et la mer. La
mer que je n'avais encore jamais vue. Aujourd'hui encore, rien que de
lire ce mot, le parfum du thé, ou plutôt du cha, me revient.
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Les illustrations des livres de Gavi avaient un pouvoir d'évocation
hors du commun, aussi passions-nous de longs moments à les
étudier par le menu, repérant des détails à première vue invisibles ou
dénués d'intérêt. Je me souviens entre autres d'une maison coupée
en deux, de haut en bas, exposant à la vue de tous non seulement ses
habitants, ses meubles et objets divers, mais aussi les autres, les
habitants cachés que je connaissais grâce à mes traversées nocturnes,
et ceux auxquels Sagrario avait fait une fois allusion. Gavi et moi
arrivâmes à vivre des jours entiers à l'intérieur de cette maison.
Après avoir lu le conte qui l'avait inspirée, nous nous regardions en
souriant avant de tourner la page : pas besoin de mots pour savoir ce
que nous pensions ou ressentions l'un et l'autre. Nous étions là,
complices d'une cause connue de nous seuls. Une complicité proche
de celle entre Isabel et moi. Gavi tournait les pages avec une douceur
qui contrastait avec la brusquerie de ses mouvements. Ses livres
étaient traités avec autant de soin que les miens, pas comme ceux
que j'avais hérités de Cristina.
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Au fil des contes
d'Andersen, ce cher complice de mes premières années, j'avais appris
que les fleurs avaient leur langage, leurs bals nocturnes où elles
étaient reines, avant de s'étioler et de finir aux ordures. J'appris
surtout l'existence d'un langage secret, un langage auquel j'avais
accès. Un jour où Tante Eduarda était venue nous rendre visite,
j'entendis Maman lui confier, soucieuse : " Cette enfant ne parle pas,
c'est la croix et la bannière pour lui arracher un mot ", et Eduarda ---
elle n'aimait pas que nous l'appelions " tante ", elle préférait Eduarda
tout court --- de lui répondre : " Tant mieux pour elle ! " Elle me
regarda de ses grands yeux bleus semblables à ceux de la licorne et
ajouta : " Elle aura un autre langage. " Avec un autre langage, et
sachant que la nuit les fleurs fanées peuvent ressusciter, je voguais
sous le canapé, grotte où ces créatures qui feignaient de m'ignorer,
même si elles m'aimaient bien, me permettaient de voir, d'entendre
et de sentir. Du moins me plaisais-je à le croire. Déjà, par le passé,
deux statuettes, l'une blanche, l'autre noire, m'avaient fait des signes,
tantôt elles agitaient la main comme pour me saluer, tantôt elles
souriaient. Étrange, mais la plus souriante était la plus sombre. Le
froufrou d'une brise silencieuse me suivait au ras du sol, vers les
balcons, effleurant le tapis, comme en ce jour d'automne où j'avais
entendu les feuilles mortes crépiter sous les sabots de la licorne. Je
n'étais jamais allée dans les bois, et pourtant je les percevais tels que
je devais les découvrir des années plus tard, quand je sus lire et que,
en plus des histoires que me racontaient Maria ou Isabel, je pus
flâner au fil des pages de ces livres qui comptèrent tant pour moi.
Sous le canapé, j'étais témoin d'échos, de murmures, d'étincelles qui
se répondaient. Une conversation papillotante que je saisissais peu à
peu. Oui, il existait un autre langage et c'était le mien. Eduarda avait
raison.
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Les paysans prenaient soin de leurs jeunes enfants et leur offraient même des présents : ils les habillaient de toiles aux couleurs vives, tissées par les mères. Mais cela se passait jusqu’à ce que les enfants eussent atteint un âge où la jeunesse n’est plus qu’un rêve. Ils leur retiraient alors brusquement toute caresse, les jetaient face contre terre et les entrainaient sur-le-champ dans une vie aussi peu enviable que leur propre existence.
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C'est ainsi que je mourus pour la première fois
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Leur temps à eux, leur temps précieux, n'avait rien à voir avec nos errances silencieuses dans ces petits sentiers bordés de parterres blancs et d'arbres nus, leurs bras noirs levés vers un ciel d'aluminium.
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La nuit, seule dans ma chambre, je lui demandais quand il
reviendrait. Je lui disais que je n'avais plus peur, que je l'attendais,
car en dehors de lui, rien ne comptait pour moi. J'étais devenue une
île, et rien ne pouvait plus m'arracher à ce qui avait été notre monde.
Il ne me répondait pas, mais de temps à autre, son rire s'infiltrait par
une fente invisible. Ce n'était pas un rire d'enfant. Cela ne l'avait
jamais été.
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A peine quelques instants plus tôt, on aurait dit que la cuisine, Tata
Maria et moi avions retrouvé l'atmosphère sereine d'autrefois, épicée
par les commérages du quartier ou les lamentations d'Isabel et ses
histoires de " fiancés-bandits ". Mon apprentissage de la vie je l'avais
fait dans la buanderie, derrière le guignol d'Eduarda où je me
réfugiais si souvent, avec mon goûter. Comme s'il était désormais
possible d'attraper au vol les aigrettes des dents-de-lion.
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J'observais Papa et je perçus ce que, au fil des ans, j'ai identifié comme un sentiment de solitude en compagnie. Il avait beau sourire, ses grands yeux noirs semblaient attendre quelque chose. Je me précipitai vers lui, je n'avais qu'une envie le serrer dans mes bras, enfouir mon visage dans son cou, comme je le faisais avec Tata Maria, mais quand je touchai ses genoux, je restai paralysée par une soudaine timidité, proche de la honte, même si je ne savais pas de quoi j'avais honte. Sans doute parce que tous s'étaient tus et me fixaient dans un épais silence. Et, à l'époque, pas plus qu'aujourd'hui, je ne pouvais supporter que l'on me regardât. Que n'aurais-je donné pour avoir à proximité l'une ou l'autre de mes cachettes ou pour disparaître tel un gnome derrière la tige d'une fleur, comme je l'avais lu dans les contes d'Andersen.
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À trois heures de l'après-midi, Gavi arrivait chez nous. La couette sur
laquelle il posait ses livres ouverts avait remplacé le territoire des
cercles et des losanges. Chaque jour nous étions plus proches l'un de
l'autre, chaque fois son parfum de garçon et mon " eau de Cologne "
de fillette se confondaient davantage. À moitié dans les bras l'un de
l'autre, sur le revers du drap, ce revers qui telle une voile retient
encore le vent des Voyages de Gulliver, la solitude de Robinson, ou
les inquiétudes du jeune Jim de L'île au trésor... Et surtout une fuite
sans frontières, sans même un but, qui nous entraînait vers l'île de
Jim ou le Pays imaginaire. Un jour, je lui demandai :
--- Pourquoi est-ce que j'aime Monsieur Silver... si Monsieur Silver
est méchant ?
Il réfléchit avant de répondre :
--- Et moi, je ne sais pas pourquoi j'aime plus Teo que Maman.
--- Et même plus que moi ?
--- Toi non plus, je ne sais pas pourquoi je t'aime, mais je sais que je
t'aime... Qu'est-ce que ça peut faire ? Ça te dérange ?
Il réfléchit encore.
Non, cela ne me dérangeait pas. Affaire classée.
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Quand elle disait ce genre de choses en présence d'Adelita et de
Felisita, ses grandes amies " de toujours " qu'elle nous forçait à
appeler " Tantines ", Tata Maria souriait dans son coin. Il me reste
encore à décrypter la gamme des sourires et des silences de Tata
Maria, le résultat ne devrait pas manquer de surprendre, compte
tenu de l'époque et du milieu.
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Il sembla soudain que la chambre, les deux femmes, mon lit, tout
basculait, que tout était chamboulé, que l'univers, mon univers avait
fait une prodigieuse culbute...
Je n'avais qu'une envie, sauter de mon lit, l'embrasser, prendre les
livres et lui exprimer ma joie, mais une grande timidité me
paralysait, et lui autant que moi, car il restait là, immobile entre les
deux femmes, chargé comme un baudet, n'osant ni entrer dans la
chambre, ni ouvrir la bouche. Cela me rappela le jour où, au milieu
d'une de nos prétendues représentations du Théâtre des Enfants, il
m'avait dit par le truchement de sa marionnette :
--- Tu veux m'embrasser ?
Et je lui avais répondu :
--- Oui, je veux te donner tout plein de baisers...
Et quand nous quittâmes le Théâtre des Enfants et nous
précipitâmes sur le tapis pour regagner notre territoire de losanges
bleus, on aurait cru que nous n'avions jamais parlé de baiser. Il
existait, en effet, deux mondes, le nôtre et celui qui nous intimidait
encore et même nous faisait peur.
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Même les paupières mi-closes, je la savais présente à mon chevet.
Elle tenait ma main entre les siennes et la caressait avec une douceur
que je ne lui connaissais pas. Elle ne pleurait pas, mais ses lèvres
tremblaient. Je refermai les yeux, par crainte que cette sensation de
sérénité ne disparaisse si je me réveillais. Je sentais ses doigts
effleurer mon front en écartant ma frange. Je me suis toujours posé
des questions sur la raison de cette frange, cible de baisers hâtifs ou
rideau gênant, mais après tout, il ne s'agissait que d'une mèche de
cheveux qui me barrait le front et dont je n'étais pas responsable. À
présent, Maman était là, je reconnaissais son parfum subtil et
caractéristique, un arôme délicat que je remarquais quand elle était
tout près ou me gratifiait de l'un de ses baisers dont elle était peu
prodigue. Je voulais poser une question, mais ça ne tournait pas rond
dans ma tête et j'avais aussi un peu peur que si je me réveillais on me
reprocherait quelque chose, mettant ainsi un terme à ce bien-être
que je venais à peine de découvrir. À ce moment, je vivais toujours
avec la vague impression de traîner le boulet d'une faute, voire de
plusieurs, même si je ne parvenais ni à les identifier, ni à m'en
libérer. Je me répétais : " Qu'est-ce que j'ai pu faire ? De quoi
m'accuse-t-on ? Pourquoi ai-je l'impression d'être coupable de
quelque chose sans savoir de quoi il s'agit ? " Et même si je ne le
savais pas, il était clair qu'" eux " le savaient.
La " rechute " semblait avoir changé ou, du moins, modifié la donne.
En bien comme en mal. En bien, car les fautes fantasmatiques
disparaissaient ou sombraient dans l'oubli, en mal, car elle me privait
de mes êtres et de mes espaces tendrement aimés.
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J'attendais avec une légère impatience l'arrivée du printemps, saison
jusqu'ici marquée par le seul souvenir de ma première communion
et, surtout, par le séjour d'Eduarda. Je ne l'avais pas oubliée, et
maintenant que je consacrais une bonne partie de mon temps à
écrire des lettres, j'éprouvai le besoin de lui donner de mes nouvelles.
Je lui enverrais une très longue lettre dans laquelle je lui raconterais
tout. Mais je la donnerais à poster à Teo. Je ne me fiais pas trop à
Tata Maria, ni à Isabel, mon petit doigt me disant qu'elles l'auraient
lue avant de la mettre à la boîte, et je ne voulais pour rien au monde
que l'on sache ce que je racontais à Eduarda. D'ailleurs, je ne savais
pas comment le lui raconter. Ce " j'espère que la présente vous
trouvera en bonne santé ", par lequel commençaient invariablement
les lettres d'Isabel à sa famille, ne me servait à rien. Et encore bien
moins le : " J'ai appris, espèce de canaille, qu'on t'avait vu... " ou
autres amabilités, adressées à " qui tu voudras ". Faute de savoir ou
de pouvoir dire ce que je voulais dire, écrire une lettre me frustrait,
m'angoissait presque. Quoi qu'il en soit, j'écrirais à Eduarda
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Nous restâmes ainsi un moment, moi le nez écrasé contre le
médaillon qui reposait sur son moelleux décolleté. Quand je me
libérai, elle reprit :
--- Tu sais ce que tu me rappelles parfois quand je te regarde ? Eh
bien, que dans mon village, à l'arrivée du printemps, apparaissent de
toutes petites plantes qu'on appelle " dents-de-lion " ou pissenlits.
Quand tu les regardes, tu les trouves si jolies, si parfaites... Mais au
moindre coup de vent ou à la moindre brise, en un souffle, elles se
défont en milliers d'aigrettes et personne ne les revoit plus jamais...
A la voir se mordiller les lèvres, je la crus au bord des larmes.
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