Vivre pour Jérusalem / André Chouraqui (1917-2007)
Dans cet opus passionnant construit comme une pièce musicale, André Chouraqui, né en Algérie, nous raconte dans l’ouverture comment son rêve est devenu un jour réalité, vivre à Jérusalem. Il a même fait mieux puisqu’il fut maire-adjoint de la ville de 1965 à 1969, devenant ainsi un homme de Jérusalem.
Afin de vous donner envie de le lire, je présente un très bref résumé de cet ouvrage qui offre une érudition étonnante et fourmille de détails historiques peu connus.
Ce livre raconte comment cette ville de montagnes arides et sans cours d’eau, une terre à peine habitable au carrefour de déserts, est devenue la capitale du royaume de David, un véritable défi, avant d’être dévastée par les armées de Nabuchodonosor puis détruite par les troupes de Titus, Pompée et Hadrien. Nombre de Juifs furent déportés ou contraints à l’exil quand ne demeuraient que quelques foyers juifs à Jérusalem, Tibériade et Safed.
Mais Jérusalem va survivre à ses agonies successives dans la mémoire de son peuple et celui-ci répétera inlassablement aux échos des siècles et des continents le jour de Pâques : « L’an prochain à Jérusalem… ». Deux mille ans passent et le rêve impossible se réalise : le peuple de l’exil est de retour dans sa capitale rendue à la vie. Car celle-ci a connu le même destin que son peuple. Elle a connu le joug de 40 souverains différents au cours des siècles.
Cependant, même détruite, la cité ne s’avoue jamais vaincue. Refusant d’accepter ses défaites, elle s’enferme dans l’agonie de ses exils. Et un jour l’impossible se produit et l’auteur exprime son émotion quand il vient vivre dans la ville, lui qui naquit en exil, connut l’aliénation juive et les persécutions hitlériennes, répétant inlassablement le mantra dont il ignorait la puissance : « L’an prochain à Jérusalem… » Et il écrit : « Ayant cessé de rêver à Jérusalem pour y vivre, sa réalité m’apparaît plus splendide encore… »
Il faut savoir, en remontant loin dans l’histoire des Hébreux, que ceux-ci furent longtemps un peuple nomade : c’était l’âge du bronze. Puis ils domestiquèrent le chameau et connurent l’âge du fer et entrèrent en sédentarisation ayant maîtrisé l’art de construire des citernes après avoir dans un premier temps simplement aménagé des cavernes naturelles. Alors Saül, le premier roi d’Israël, résidait à Hébron. C’était au Xe siècle avant J.C. Ce fut David, son fils, qui plus tard vers l’an 1000, après avoir régné sept ans à Hébron, choisit le site de Jérusalem pour installer sa capitale, alors que la première mention du nom de la ville remonte au temps des Égyptiens, il y a 4000 ans.
Salomon, fils de David et roi de la paix, décide de construire au centre de la ville le Temple pour son Dieu. Mais plus tard, l’unité du royaume ne survit pas à Salomon, puisqu’après sa mort, Jérusalem n’est plus la capitale que du royaume de Judée, face à celui de Samarie.
En 733 puis 722, les Assyriens envahissent le royaume d’Israël et détruisent celui de Samarie. Déportations multiples s’en suivent. En 604, Nabuchodonosor s’empare de toute la région et assiège Jérusalem en 598 pour finalement la détruire en 586. Les populations sont déportées vers Babylone et l’exil durera 2534 ans ! L’hébreu n’est plus parlé à partir de ce jour. La langue des Juifs devient l’araméen. Il faudra attendre 1883 pour que Éliezer ben Yehouda enseigne l’hébreu en tant que langue vivante dans une école de filles de l’Alliance israélite universelle à Jérusalem. Des ulpanim vont s’installer un peu partout qui enseignent la langue aux immigrants venus de 102 pays du monde. C’est l’époque de Lao-Tseu et Confucius en Chine, de Bouddha en Inde et de Pythagore en Grèce
Plus tard, en 538, un décret du roi des Perses, Cyrus, reconnait au peuple juif le droit de retourner à Sion et reconstruire le Temple. On est alors à l’époque où Socrate divulgue son enseignement.
Ce sont les Grecs qui ensuite vont coloniser toute la région et Alexandre le Grand soumet Jérusalem en 332 pour près de deux siècles. IL fonde Alexandrie la capitale de l’Égypte et y déporte nombre de Juifs qui de fait vont s’helléniser peu à peu. Ce chapitre est largement développé dans le livre.
En 167 c’est la révolte des Macchabées, héros d’Israël qui se lèvent pour lutter contre l’impérialisme hellène et sauver leur religion avec son Dieu YHWH, sans nom et sans visage. Les Macchabées vont porter haut la notion de martyre, la glorifier en une exaltation de la foi. Et André Chouraqui affirme : « La révolution qu’apporte Jérusalem dans l’histoire de l’humanité est d’affirmer qu’au-delà des idées, de la patrie, le martyre n’a sa pleine signification que pour la sanctification du nom de Dieu et le témoignage des valeurs transcendantes de la foi. C’est cette idée qui devient le moteur du dynamisme qui permit la survie d’Israël et, plus tard, celle de l’Église. »
Les Macchabées remettent le Temple en état et restaurent les rites religieux en décembre 164. Cette date restera dans l’Histoire : c’est la fête de Hanoukah, le fête des lumières. L’auteur alors entame un chapitre expliquant ce qu’est le judaïsme, qui est le Dieu, Elohim, qu’adore Jérusalem, et ce qu’est l’Alliance.
Sauver leur religion pour les Juifs face aux idolâtres qu’étaient les Grecs, fut essentiel. Deux textes fondateurs tels des guides , la Torah de Moïse et la Haggada des Sages d’Israël ont accompagné et soutenu le peuple juif de tout temps. Il ne faut pas oublier que les Hébreux ont apporté au monde une idée nouvelle, celle du monothéisme éthique et historique. Croire en un Dieu unique, YHWH Élohim et nier l’existence de tous les autres passait pour une hérésie pour les autres peuples. Et c’est bien à partir d’une révélation religieuse et d’un message spirituel et non d’une terre que ce petit peuple croira en un destin qu’il gardera près d’un millénaire dans l’errance du désert avant de pouvoir l’enraciner sur une Terre Promise. Il a fallu survivre à l’exil de Babylone et à celui de Titus après la destruction du Temple en 70 après J.C. pour y parvenir. Car après les Grecs, ce furent les Romains qui avec Pompée en 63 avant J.C., puis Titus en 70 après J.C., s’emparèrent de Jérusalem pour l’écraser. C’est là pourtant qu’ils connurent le Dieu qui devait finir par vaincre les idoles qu’ils adoraient.
Car à quelques temps de là Jean le Baptiste baptise Jésus dans les eaux sacrées du Jourdain et meurt, martyr de sa foi, décapité sur l’ordre d’Hérode qui règne de 37 avant J.C. à 4 après J.C.. C’est dans les murs de Jérusalem que Jésus enseigne son Évangile et fonde son Église. Jésus est un Juif Pharisien, c’est-à-dire faisant partie d’une secte puritaine du judaïsme. On retrouve les enseignements de Jésus dans la littérature rabbinique sous forme d’apophtegmes. Et le succès populaire de Jésus ne se démentit pas, acclamé par le peuple Juif, mais mal vu par les cercles juifs dirigeants qui n’approuvent pas le messianisme qui l’entoure. L’arrestation, le procès et la crucifixion naissent d’une situation politique donnée et non au nom d’une orthodoxie religieuse.
Et Jérusalem est le cadre grandiose et tragique du procès et de la crucifixion de Jésus, supplice qui est romain. Jésus est condamné par Rome et par les collaborateurs juifs de Rome. Au pied de la croix, il n’y avait que des Juifs pour le pleurer.
Presque toute la vie publique de Jésus se situe à Jérusalem : la Cène au soir de Pâques, Gethsémani avec Pierre, Jacques et Jean…etc.
Peu à peu Jérusalem acquiert ce caractère de microcosme et de carrefour des peuples qui exprime si bien sa vocation. Devenue province romaine, elle ne peut empêcher la révolte gronder, laquelle éclate donc en 66 pour aboutir à la destruction du Temple et de la ville par les armées de Titus. En 130, l’empereur Hadrien rénove la ville mais doit aussi à partir de 132 mater une révolte, celle célèbre de Bar Kochba, qui aboutit selon Tacite au massacre de 600 000 Juifs avec l’interdiction pour les survivants d’accéder à Jérusalem.
Quoiqu’il en soit, Jérusalem est entrée dans la légende et ce pour l’éternité. Le pays est désormais appelé Palestine par les Romains.
C’est à Jérusalem plus tard que les Prophètes, Jésus et les Apôtres délivrent leurs messages tandis que l’enseignement de la Bible devient le moteur de la survie et de l’unité d’Israël, cet enseignement se situant à Jérusalem.
L’Empire romain voit le Christianisme progresser et les persécutions se multiplient à partir de 250. Il faut attendre le règne de Constantin (306-337), le maître incontesté de la Palestine, pour voir l’Église retrouver la paix avec la conversion de Constantin sous l’influence de sa mère Hélène. La ville alors connaît un essor dont profitent les Juifs et les Chrétiens.
En 410, après la chute de Rome sous l’assaut des Barbares, Jérusalem fait partie de l’Empire byzantin (ou empire romain d’Orient). L’empereur Théodose, installé à Byzance devenue Constantinople, s’érige en défenseur du christianisme qui peu à peu triomphe du paganisme dans tout l’Empire et favorise la construction d’églises à Jérusalem qui devient la capitale spirituelle de l’Empire.
Mais bientôt Jérusalem accueille un nouveau conquérant porteur d’une religion d’essence universelle, née, elle aussi, des fécondités de la Bible, l’Islam. Après la mort de Mahomet en 632, ses généraux conquièrent la Palestine et la Syrie. Jérusalem se rend en 638 après un long siège. L’Islam doit faire oublier la Chrétienté et se lance dans la construction de splendides édifices religieux. Toutefois Jérusalem connaît alors des heures heureuses avec la politique généreuse d’Omar 1er. Mais en vérité, la ville reste byzantine dans son âme. Il faut savoir qu’il n’y eut jamais, en Terre Sainte, d’état musulman indépendant constituant une entité politique distinct. Jamais Jérusalem ne fut capitale de la province Palestine. Pour les musulmans, La Mecque et Médine restent les capitales spirituelles exclusives.
L’épisode des Croisés est très bien décrit dans ce récit, qui parviennent à profiter de querelles intestines des occupants pour s’emparer de la ville en 1099. Jérusalem devient alors capitale du royaume franc sous le nom de Royaume de Jérusalem. En 1260, la ville est reprise par les Mameluks qui y resteront jusqu’en 1517. La ville est alors ruinée, et c’est l’Empire Ottoman qui occupe plus tard la région. Les Juifs chassés d’Espagne en 1492 sont invités par le Sultan Byazid à venir s’installer en Palestine. Son petit-fils, Soleiman le Magnifique reconstruit les remparts et la Tour de David alors en ruine. C’est une période de paix et de sécurité pour la ville qui accueille beaucoup de nouveaux arrivants juifs victimes de pogromes en Pologne et Russie et de pèlerins chrétiens.
L’Empire Ottoman est là pour longtemps et la ville quo grandit, compte en 1905, 60 000 habitants dont 40 000 Juifs.
En 1917 l’Empire Ottoman, allié de l’Allemagne, s’écroule et ce sont les Anglais qui occupent Jérusalem avec le Général Allenby. Le gouvernement britannique, par la déclaration Balfour, propose l’établissement d’un Foyer National Juif en Palestine, ce qui suscite l’hostilité ouverte des Arabes qui sous la houlette du Mufti de Jérusalem vont créer un climat de guerre, une guerre qui va durer et dure encore.
Après la Seconde Guerre Mondiale, les Juifs qui pourtant ont combattu avec les Britanniques contre le IIIe Reich, se retournent contre eux et leur mène une guerre sans merci pour mettre fin au mandat. En 1946, c’est l’explosion par l’Irgoun de l’Hôtel du Roi David qui abrite les bureaux de l’administration britannique. Un afflux d’immigrants juifs est aux portes du pays : c’est l’épisode bien connu de l’Exodus. Les Britanniques abandonnant la partie, le problème est alors porté aux Nations Unies. Le 29 novembre 1947 est proposé aux belligérants Arabes et Juifs la création de deux états, Jérusalem passant sous administration internationale. Les Arabes refusent tout net. Les Juifs acceptent en boudant le statut de Jérusalem. Et le 14 mai 1948, David Ben Gourion proclame l’avènement de l’État d’Israël. Un état grand comme deux départements français, d’un total de 20 000 km carrés. La guerre reprend de plus belle. Un armistice est signé en 1949 avec le Liban, l’Égypte, la Syrie et la Jordanie. Mais les heurts et attentats ne cesseront jamais.
Durant 19 ans, les Juifs n’auront accès qu’à la moitié de Jérusalem qui a été divisée en deux, une partie juive et une partie arabe. Ce n’est qu’en 1967, au terme de la Guerre des Six Jours que la ville sera reconquise totalement.
C’est en 1950 que André Chouraqui découvre Jérusalem, un moment qu’il nous conte avec émotion. À partir de là, les voyages se multiplient pour l’auteur vers son futur pays d’adoption. La narration devient plus personnelle et plus politique lorsqu’il devient maire-adjoint de la ville.
« La découverte de cette ville fut bouleversante pour moi…Pour la, première fois, je me sentais pleinement chez moi…La cité était là, sous mes yeux, dans l’éblouissante lumière de ses coupoles, de ses dômes, de ses clochers, de ses minarets, dans l’incessant grouillement de son peuple rassemblé de toutes les extrémités de la terre…Et ce pays que je découvrais dans l’émerveillement était la terre de la Bible… La vision de Jérusalem me frappa avec la violence d’une révélation. Elle mit en moi une détermination, absolue : celle de m’associer personnellement à l’œuvre d’édification d’Israël… »
André Chouraqui raconte ensuite comment il a vécu les jours précédant la Guerre qui allait durer six jours. Une tension extraordinaire régnait alors dans le pays qui voyait s’agiter les Égyptiens et les Jordaniens. Et le 5 juin 1967 au matin éclatent les hostilités. Dans sa maison située aux premières loges de l’attaque jordanienne à Jérusalem, l’auteur avec sa femme et ses quatre enfants rejoint les abris sous le feu ennemi. Et il raconte la bataille de Jérusalem qui dura 60 heures pour retrouver le Mur des Lamentations. Et Jérusalem réunifiée. Et les Arabes qui viennent découvrir la ville juive et les Juifs qui vont voir la vieille ville arabe, en se croisant avec un sourire !… Des jours de paix étonnants. La radio, la télévision, font pénétrer les réalités nouvelles dans chaque foyer. La surprise du Palestinien de découvrir qu’il était possible de vivre auprès des Israéliens qu’on lui avait décrits, depuis des décennies, comme des monstres.
Seulement dans le monde, le but des uns et des autres qui souvent tirent les ficelles de la politique géostratégique, est bien éloigné du bonheur des Arabes ou du salut des Juifs. Et la paix est précaire.
Au moment où je termine ce résumé et commentaire, le 10 novembre 2023, de ce très beau livre de 300 pages, la guerre a repris le 7 octobre avec le massacre de 1200 Israéliens près de la bande de Gaza et la prise de 250 otages par un groupe terroriste, le Hamas…
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