Citations de André Maurois (304)
Le vrai grand homme ne s'abaisse pas à faire à la gloire une cour sénile. Vous dites que les flatteurs le corrompent, mais s'il est grand, les flatteurs l'ennuient. "Cela doit être délicieux, la gloire? disait l'un d'eux à Wellington. – Oui, répondait le duc, cela me permet de brosser mes vêtements moi-même sans que personne le trouve ridicule."
Au fond, il y a beaucoup plutôt un art militaire qu'une science. Il faut de la souplesse dans les règles. On dit au fantassin : ne collez pas au char d'assaut pour éviter l'artillerie qui prendra celui-ci pour cible. On ajoute : sachez bondir derrière le char pour occuper l'abri qu'il vient de museler. Comment combiner les deux ordres contraires ? Comme le romancier qui sait être vrai sans être photographique. Par dosage, par tact, par goût. Comme un bon danseur guide en étant guidé. La ligne n'est pas rigide ; les principes font l'accordéon. Il n'y a de science que du général ; il n'y a de vérité que du particulier.
Le jour où quelqu'un le fera pour de vrai [aller sur la lune], les enfants n'admirerons plus, ils s'indigneront seulement que cela ne soit pas arrivé plus tôt.
Les circonstances, mes livres, des amitiés avaient fait de moi l'avocat et l'incarnation d'une étroite entente entre la France, l'Angleterre et les Etats-Unis. Dès qu'une difficulté semblait diviser ces trois pays, les gouvernements me demandaient d'écrire, tantôt en français, tantôt en anglais, des articles propres à dissiper le malentendu. Pour toute fête franco- britannique, qu'elle fût littéraire ou sportive, anniversaire d'un grand écrivain ou commémoration d'un événement, on exigeait de moi une présence, un discours. J'aurais pu refuser ? Sans doute, mais je croyais profondément à la nécessité, si l'on voulait sauver notre civilisation libérale, de maintenir des liens toujours fragiles. Or c'était un fait que j'étais presque seul à jouer ce rôle.
Un roman de Tolstoï, ce n'est pas seulement la vie, chaude, immense, universelle ; ce sont aussi les idées religieuses, politiques, sociales, mêlées à l'existence, incorporées à cette pâte mouvante et brûlante, comme elles le sont dans le monde réel.
Les hommes livrent leur âme comme les femmes leur corps, par zones successives et bien défendues.
Au fond, une femme vraiment amoureuse n'a jamais de personnalité ; elle dit qu'elle en a une, elle essaie de se le faire croire, mais ce n'est pas vrai. Non, elle essaie de comprendre la femme que l'homme qu'elle aime souhaite trouver en elle et de devenir cette femme-là.
- Vous la trouvez intelligente ?
- Très intelligente pour une femme. Oui. Enfin rien ne lui est étranger. Naturellement, elle dépend, pour ses sujets d'intérêt, de l'homme qu'elle aime. Au temps où elle adorait son mari, elle a été brillante sur les questions économiques et coloniales.
On est toujours tenté de s'attendrir sur soi-même et même de se peindre tel qu'on voudrait être. Moi surtout.
Au lieu de comprendre ses goûts, je les avais condamnés ; j'avais voulu lui imposer les miens.
Il avait pour elle le prestige de l'être qu'on a peu vu et qui, n'étant pas épuisé, semble riche de possibles inédits.
Mais je prenais l'habitude de ne plus jamais écouter ma femme sans me demander ce qu'elle cachait. Toutes les fois que, dans ses phrases, je trouvais un point obscur, je bâtissais une théorie ingénieuse qui m'expliquait pourquoi elle le voulait obscur. J'éprouvais une joie douloureuse, une voluptueuse souffrance, à croire comprendre qu'elle mentait. Ma mémoire est à l'ordinaire assez faible ; dès qu'il s'agissait de récits d'Odile, elle devenait prodigieuse. Je retenais la moindre de ses phrases ; je les comparais entre entre elles ; je les pesais....
Elle inventait le passé et l'avenir au moment où elle en avait besoin puis oubliait ce qu'elle avait inventé.
Ce qu'il me disait ne me permettait jamais de me représenter de façon satisfaisante la succession des faits.
- Je la trouve très belle, me dit-il.
- Oui, mais pas très intelligente ?
- C'est vrai. Il n'est pas nécessaire qu'une femme soit intelligente.
Pourquoi certaines image demeurent-elles pour nous aussi nettes qu'au moment de la vision, alors que d'autres, en apparence plus importantes, s'estompent puis s'effacent si vite ?
Dans ce deuil, une fois encore, elle étonna ses amis par son immédiate résilience
Il y a une saveur Dickens. Il y a un parfum Dickens.
Nous reconnaissons vingt lignes de Dickens au milieu de toute la littérature anglaise
Il a su pénétrer une vision de son temps, il est le seul personnage qu’un romancier doive souhaiter devenir : le créateur d’un monde nouveau. »
« Mais quand nous voudrons reprendre contact avec les grandes et simples émotions humaines, n’hésitons pas à rouvrir Dickens.
Toutes les fois qu’en entrant dans un de ses livres nous trouvons certaines rues de Londres, certains brouillards à travers lesquels brillent les feux des voitures et ceux des boutiques, certaines maisons de campagne où l’on fait de bons repas coupés d’innocentes plaisanteries, certains quartiers sombres où l’on devine derrière les portes closes d’étranges repaires, nous éprouvons un sentiment mêlé de tendresse, de désir de confort et de crainte qui était celui du petit enfant Dickens au temps où il rentrait de la fabrique de cirage