Citations de Anne Plantagenet (134)
Un homme meurt, se meurt, elle qui ne demandait plus rien, se résigner et fondre, voilà que ça lui tombe dessus quand déjà elle chancelle, un homme se meurt et pour un peu ce serait à cause d’elle. Il lui reste un fond de bouillon de la veille avec des pois chiches et du lard. Julia aimait tant cuisiner, avant. Avant que le malheur arrive. Va pour le bouillon. Après tous ces mois dans les bois, Papa ne jouera pas les fines bouches. Un quignon de pain, une infusion de maté.
Julia a peur des remords, ses nuits contiennent déjà trop de fantômes. Ils ont mis Papa dans son école. Au moins jusqu’au matin, ils ont dit, en attendant les chefs, une décision. Faut que tu lui apportes de quoi boire, manger, une bassine d’eau pour se laver, il y a aussi les plaies, tu comprends. Nous il veut pas nous parler, il refuse de se nourrir, d’être soigné, veut rien de nous, nous regarde même pas, pour lui on n’existe pas, mais toi. Une femme. Institutrice. Faut faire vite, il perd du sang, il se laisse peut-être mourir, va savoir.
Papa, thème sacré, intouchable, trop gros pour eux, ce sont des gosses, des paysans, pour la plupart ils n’ont pas appris à lire. Ils obéissent aux ordres. Ils ploient sous l’ignorance et baissent les yeux devant elle, l’institutrice. Julia n’est guère plus âgée qu’eux et personne ne la regarde. Elle est la connaissance, le bien, le pur. Ils n’ont jamais fréquenté l’école, n’ont pas eu cette chance, à présent c’est trop tard, il faut nourrir la famille et écouter ceux qui savent, qui ordonnent, absents cette nuit, endormis sur leurs deux oreilles à des heures d’ici, bien sûr on va tâcher de les prévenir au plus vite
et ils diront, ils décideront, on fera comme ils voudront, mais en attendant Papa est là, touché, assoiffé, affamé, il refuse de parler et a foutu son pied dans la gueule à un des gars qui a fait mine, pour plaisanter, de lui raser la barbe.
Au fil du temps, l’ombre de Papa avait pris des proportions effrayantes et se faufilait au cœur des peurs collectives. On disait qu’il avait tué à mains nues, beaucoup, souvent, sans remords. Qu’il violait des femmes, mangeait des enfants, buvait du sang. C’est ce que les uns affirmaient. Les autres se demandaient si Papa existait bien en vrai. Mais depuis des mois, depuis bientôt un an, les preuves les plus accablantes laissaient supposer sa présence dans les environs du hameau au sommet de la montagne où enseigne Julia.
À chacun son malheur. Ce n’est pas de l’égoïsme, plutôt du désarroi qui vire à l’obsession. Julia a tiré son lot de misère, le sort n’a pas été chiche avec elle, elle a tout ce dont elle a besoin pour s’accabler.
Julia parle, récite, chante, sermonne, récompense, explique, parfois
en une matinée et dans le même temps elle se noie, et personne ne le sait. Pas à cause de Papa, Julia se moque de Papa. C’est le cadet de ses soucis.
La chasse, on s’y fait, on s’y plie, elle rythme les jours, habille les rêves. C’est sa fin qui déroute. L’animal est là, brutalement réel, nerveux et épuisé. Moins gros que prévu. Il pue. Il n’est plus une idée qu’on poursuit, il est devenu une insomnie, une impasse. De toute façon Julia ne dormait pas et le malheur des autres n’adoucit pas le sien. Julia ne dort plus.
Je l'avais toujours envisagé comme accessoire,à tord.Je découvre que l'habit est une stratégie.C'est loin,très loin,de l'éducation que j'ai reçue.
J'ai décidé de devenir leur ombre,une ombre à deux corps.
Sur les murs de l'agence il y a des phrases affichées que je dois savoir par cœur.C'est obligatoire si je veux devenir une employée modèle.
Aujourd'hui les secrétaires parlent comme des menus automatiques. Elle répètent des formules apprises par cœur, ne comprennent même pas ce qu'elles disent. Si ça se trouve, Charlotte a failli insulter un ordinateur.
Partout il fallait être exemplaire, traquer le cheveu blanc, la faute de goût, combattre la cellulite, sourire au prof principal du collège privé qu'on payait assez cher pour avoir la paix, même quand celui-ci vous crucifiait en public: "Vous avez songé à une filière technique pour votre fille?"
Comment Horowitz avait-elle réussi à passer entre les mailles du filet jusque là ? Pourquoi personne n'était venu fouiller pendant tout ce temps dans son coeur en miettes ?
"Quand on la maquillait ou que je la coiffais, il se produisait en elle un changement extraordinaire et elle devenait 'Marilyn Monroe'.