Citations de Aurélien Bellanger (133)
La téléréalité est devenue comme la prison qu'elle a toujours été, au fond: tout y est détestable, mais quelle société aurait l'audace de se passer d'elle?
Plutôt, plus qu'aucune autre, la philosophie de Walter Benjamin est hantée par les choses. À ceci près qu'elle n'en dispose pas, comme d'un registre de concepts allégoriques, mais qu'elle est possédée par elles. De là cette définition vertigineuse de la réification qu'il m'a donnée un jour et que résume parfaitement le concept si mal compris de l'aura : qu'il ne sera jamais absolument certain que nous ne soyons pas, plutôt, entre les mains des choses et que cela pourrait être elles qui nous dévisagent et nous manipulent, à titre d'exemple. (page 410)
- S'il vous plaît, s'il vous plaît! Nous préparons le lancement de Big Brother, pas celui de Questions pour un champion.
- Le principe est un peu le même, non? dit l'Imam
- Sauf qu'ici, dit le psychologue en souriant, c'est le plus bête qui gagne.
Ils sont dangereusement heureux. Tout cet amour qu'ils reçoivent, c'est rien, encore, par rapport à l'amour qu'ils ont pour eux mêmes. Au bout d'un moment ils se trouvent géniaux même quand ils commandent au resto ou qu'ils donnent une adresse au taxi. Et ça c'est la 1ère étape. Après vient le moment où ils refusent de parler au taxi, où ils leur faut un assistant pour ça. Et puis un chauffeur. A ce stade c'est irréversible. Faire des crises, c'est leur façon à eux de demeurer humains, d'avoir encore des interlocuteurs, de ne pas se prendre pour dieu. Le niveau de notoriété des stars de la télé aujourd'hui, personne, a aucun moment de l'histoire, personne ne l'a jamais eu-et pourtant je suis certaine, parfois, que cela préfigure aussi pour eux l'enfer.
(passage qui évoque une boîte de nuit) Il pénétrait ensuite dans le sas où la musique était déjà trop forte et bizarrement inhumaine - des voix féminines trafiquées s'insinuaient progressivement à mesure qu'il avançait, entre les basses déchaînées et luisantes. Impossible de se mouvoir, au milieu de cette sorte de substance, plus visqueuse que musicale, qui remplissait tout l'espace. Il tentait quelques mouvements d'épaules, pour se donner une contenance en entrant sur la piste de danse, tout en se disant qu'il était incompréhensible qu'on en soit rationnellement arrivé au choix d'une telle architecture. Les murs étaient trop sombres, le sol trop lumineux, les lumières trop instables et trop intermittentes. C'était pourtant là qu'on devrait passer la soirée.
Tiens j'ai un autre sujet de réflexion pour toi : tu connais la différence entre le cinéma et la télévision ? Au cinéma ce sont des célébrités qui jouent les anonymes, à la télé ce sont les anonymes qui deviennent des célébrités.
Comme si être riche, encore plus que d'être né pauvre, lui gâchait par avance le spectacle du monde.
La génération Eurolines, celle de la chute du mur de Berlin et du frisson tchécoslovaque, celle des voyages en bus initiatiques et des photos souvenir devant des statues abattues de Lénine a été remplacée par la génération Eurotunnel, la génération Easyjet - le même idéal cosmopolite augmenté du frisson policier de la mort, de l'hypothèse terroriste, de la solennité des fouilles aléatoires.
La mondialisation ne pouvait plus être traitée seulement comme un grand projet, mais aussi comme un problème à résoudre - un problème d'infiltration.
Il a fallu revoir les protocoles de sécurité, repenser les traités de coopération douanière.
La modernité s'est retrouvée tout encombrée de dispositifs imprévus qui en retardaient sans cesse l'avènement inexorable.
Un esprit aussi libre que Debord, qu’on imaginerait incapable de ressentir des ‘épiphanies’ au milieu des légumes ou d’être atteint par le syndrome de Stendhal devant l’étal d’un tripier, s’y était lui-même laissé prendre et avait plusieurs fois déclaré que Paris était mort moins d’avoir perdu une révolution en 1968 que d’avoir laissé son marché de gros déménager à Rungis l’année suivante.
Le grenier est la vraie technologie de rupture qui signe la fin de la préhistoire.
Au final, l'époque adopta le slogan : 'Plus jamais ça!", avec un "ça" infiniment extensible, grand comme la chasse à la baleine , ou ramassé comme une balle dans la nuque d'un héros résistant.
Il ne faut pas attendre trop des oeuvres de jeunesse : ce sont elles qui attendent pour nous. (Page 139).
La vie vraiment bonne, pour moi, demeure celle de philosophe. Et je crois que c'est Poussin qui m'en a convaincu, car devenir philosophe, c'était vivre dans un tableau de Poussin. (Page 30)
J’ai relevé doucement sa robe imprimée, sa robe pleine de fleurs comme si toutes les fleurs s’étaient réfugiées ici, à l’état desséché de signes, attendant des jours meilleurs pour ressusciter. J’ai lentement approché ma main de son sein, que j’ai tenu comme un objet d’architecture divine, comme un objet parfait, isolé dans la nuit par des milliards d’années de sélection naturelle, un objet dessiné par quelques nanomètres d’ADN et destiné à provoquer, à travers ma main asymétrique, une érection venue elle aussi de la nuit des temps et des galaxies lointaines de mon code génétique.
La phrase de Wittgenstein lui était alors revenue : la tâche du philosophe était d’aider la mouche à sortir de la bouteille.
p. 280
Ce que nous a montré Benjamin, c'est que le principal média de l'intellectuel, c'est lui-même, en tant qu'il est capable de donner à ses concepts un aspect féérique.
La Très Grande Bibliothèque marque en tout cas un point de bascule à partir duquel aucun grand projet d'Etat, de Superphénix à Notre-Dame-des-Landes, ne pourra se faire sans une contestation massive - et sans que le progrès apparaisse comme une chose du passé.
L'idée, ce n'est rien d'autre que le plus loin qu'on peut atteindre en pensée - ou plutôt le plus vaste que l'on peut tenir ensemble - et l'universel n'est que le produit de cette déflagration.
Je ne connais personne qui en lit encore, et quand quelqu'un nous dit qu'il en écrit, c'est un avertissement sérieux : voilà quelqu'un à éviter absolument. La poésie est devenue une chose un peu répugnante, une sous-catégorie du kitsch.
Dieu n'est pas mort au XXe siècle, il est devenu un objet technique.
Xavier Mycenne