L'esprit raisonne, l'âme, elle, résonne. [François Cheng]
Tel un chat qui s'étend, solitaire, avec la lune sur sa tête
Je ne savais même pas d'où ils venaient ces mots que l'on transportait comme des valises striées d'étiquettes, des mots toujours en voyage, sans visa, parfois sans visage, avec en eux je ne sais quel orient qui leur donnait éclat de perle et de mirroir
FORGE
Forge avec ton marteau
Forge des chaînes, forge,
Sur la route du bagne
Mes pas sont frais encore.
Dans un de mes placards
Mes hardes sont en ordre
Et toujours je les garde
Pour un nouvel exode.
(H. Leivik)
CANDIDAT POUR TREBLINKA
À Treblinka je ne suis pas allé,
Je n'étais pas non plus à Maïdanek,
Mais je suis debout sur leur seuil
Devant l'entrée.
Le seuil - monde immense de Dieu,
Devant la véranda de l'au-delà
Je reste, j'attends
Monde immense, ton commandement :
Espèce de juif ! À la chambre à gaz !
Tout alentour est beau divinement,
Les bois dévotement hochent leurs têtes,
Sur tous les monts et sur toutes les plaines
Tourbillonnent les vents,
Et le soleil transparent
Est chargé d'un trop-plein de flammes,
Et naissent de leur flamboiement
Les cortèges de feu de Maïdanek.
Je fus plus d'une fois convié
À goûter au cours de ma vie
L'ivresse des Inquisitions,
Mais je reste à mon rang
Devant le vaste camp du monde,
Désigné comme candidat
Pour Treblinka.
(H. Leivick)
CE QUE DIT L'OUVRIER
De petits hommes capturent les baleines géantes
Pour transformer leurs fanons en corsets ;
Ils prennent à la queue du casoar deux ou trois plumes,
Au tigre, son pelage bigarré
Pour faire une carpette au pied d'un lit bourgeois.
Moi, la ville m'a capturé
Pour coudre sans fin des boutons.
Fil par-ci, aiguille par-là...
Tant de sensations et de chants nostalgiques
Tant de rêves et tant d'humaines passions
Et tout cela ne donne que boutons,
Fil par-ci, aiguille par-là,
Et reboutonne et déboutonne
La joie de créer, la pensée,
Ainsi jour et nuit jusqu'à l'heure
Où l'on entre dans la mort.
Il me semble déjà moi-même être un bouton.
Je me couds, je me couds à la vie
Sans pouvoir m'attacher,
Bouton dessus, forces perdues,
Je ne puis, bouton, me coudre moi-même.
(Zalman Shneour)
Quand viendras-tu ?
Dans l'océan des nuits
Tes paroles deviennent
Huîtres perlières
Et tes yeux, des pêcheurs
Portant filets de mélodies.
Le jour
Leur soif décoche
Des flèches de feu vers le soleil.
Qui de ton coeur pourtant
Fait le cri déchiré
Des mouettes
Effrayant même
La solitude ancienne
Du vent ?
Intouché par les temps
Tu mets la voile
Dans la pluie des regards
A travers le ruissellement
Des tristesses
Là-bas
Où sur mon pays d'attente
Croît,
Noire, l'herbe.
Quand viendras-tu ?
Un violoniste
Un violoniste est
Un
Violon
Un batteur est
Une
Batterie
Un bandouriste est une
Bandoura.
Un homme est ce qu'il fait et ce qu'il joue
Et un visage est
Ce qu'il révèle.
Un homme est un beau rêve. Les rêves volent par le monde.
Volent dans le ciel
De la grande fête
De son existence terrestre.