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Citations de Charles Dobzynski (228)


Celui qui n’a rien
  
  
  
  
Celui qui n’a dans sa valise
aucun suaire de rechange
aucune ampoule de sang
pour transfusion instantanée
dans la salle d’urgence de l’au-delà
C’est moi modeste apprenti du destin
bachelier de ma propre fin
non encore inscrit sur la liste
des admissibles.

Celui qui n’est inscrit au fichier du terrorisme
que comme un dangereux poseur de tombes
tombeur de rimes
qui n’a nulle doublure
pour le remplacer au théâtre des ombres
C’est moi, le redoublant
en phase terminale
menacé d’être expulsé
pour faute de syntaxe
dans la soutenance de thèse
de la mort.

Celui qui n’a d’autre héritage
que sa langue au stade de la péremption
qui porte au cou comme une corde
La mort, à vif
les pellicules de films inflammables
qui n’a pour se vêtir que la vieille défroque
de tous les disparus sans testament
et leurs regards
ne sont plus que les chiens errants dans les rues
C’est moi le plus mauvais élève
des arbres et des herbes
l’éternel cancre du printemps
menacé d’être licencié
de toute la beauté terrestre.


p.53/54
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L’inconnu n’est plus un soldat
Je l’ai délivré
  
  
  
  
Je l’ai délivré de ses virevoltes
de noria
je l’ai emmené loin à la campagne
parmi les blés que les souvenirs et les balles
ont criblés
respirer le grand air
des batailles non mémorées
des offensives avortées
des cours de ferme où l’on fusilla pour l’exemple
les refuzniks des boucheries
et des tartuferies
dans l’au-delà des faux-semblants
je l’ai guidé vers les plaines du Nord
là où la mort lui a laissé son legs
de visages pareils au sien
dans les fosses anonymes
dans les fondrières creusées
par les chars archivistes des charniers
près des obus non éclatés encore enfouis
qui attendent leur proie
là où des paysans des forgerons et des mineurs
ont connu le calvaire de christs
sans autre croix
que celle greffée sur leur tombe.
La mort, à vif
Je l’ai conduit dans les plaines du Nord
délitées par deux guerres
dans des lieux qui n’ont pour miroirs
que le ravage et l’oppression
je l’ai emmené voir ce que furent
ses frères d’insomnie ses jumeaux oubliés
ceux que le futur recala
afin que parmi eux
il se lève et se reconnaisse.


p.51/52
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IV
L’inconnu n’est plus un soldat
Je l’ai déterré
  
  
  
  
J’ai déterré le soldat inconnu
je l’ai sorti de sa réclusion
de son exclusion de la pensée
et du cadastre des cadavres
les yeux enchevêtrés à ses racines
mis en mottes
mué en marmotte éternelle
chloroformé par les hommages
les homélies et les noixcreuseries
gueule de bois de commémorations
méphisto-phalliques
rôtissant à petit feu sous la flamme
du barbecue sacral et sacrificiel
qui attisa ses brûlures
et retourna dans ses plaies le tison.

Je l’ai délivré de son sarcophage
de songes meurtriers
changés en bandelettes
de la pétrissure et de la flétrissure
d’une utopie de gloire
asphyxié par les glaires de la mémoire
empêtré dans les vomissures officielles
des oraisons dissolvantes
qui petit à petit
le dépouillèrent de lui-même.


p.49/50
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Le vent de la violence
  
  
  
  
Il n’est pas de violence
à l’état natif
mais en nappe phréatique
la mort est violence de la vie
violence de chaque instant
inoculée
dans les faits et la contrefaçon des gestes
dans les urgences
la violence est le précipité
des toxines de la chimie mentale
la foudre distillée dans les images
la violence dans l’air conjugué d’oxydes
dans les villes-prisons que l’on a ligotées
d’autoroutes
sillonnées par les oléoducs du sang
la violence est le versant noir
de notre monde intérieur
toute l’enfance est maintenant
une invention de violence
une forêt
où s’engouffre le vent de l’incommunicable
les arbres sont méconnaissables
un hêtre est un prédateur à l’affût
un chêne se mue en vautour
un roseau n’est même plus pensable
il assassine
il faut mettre en examen l’herbe des champs
avant qu’elle n’envahisse
par effraction notre sommeil
l’homme est un simulacre de l’enfant
l’enfant un spectacle de la mort à son insu
on exécute un professeur comme on referme
un livre avec ceux qui le lisent
on poignarde la fatalité de son présent
et l’émergence de son avenir
l’autre n’existe pas dans le réel
mais en simulation
manipulé au jeu des rôles
la violence c’est être soi
mais sans limites
à l’assaut de l’inexistence.
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Je me réveille à l'aube et ma prière
Est un poison amer.
J'appelle le déluge une nouvelle fois
A projeter plus haut que les tours et les toits
Tous les flots de la mer,
Que ne puisse voguer nulle arche secourable.

Oh! comme il sera bon le frôlement glacé
De la mort.
Peut-être éteindra-t-il la souffrance amassée
Dans nos corps,
Les décombres du cœur, la honte de mâcher
Le pain, au bord
Des cendres par monceaux de nos frères et sœurs.

Oh! comme il sera bon de toucher les nuages
Dans cette nage d'agonie,
Sentir peut-être en moi cette douceur descendre :
Entendre de ces corps dont volèrent les cendres
Une voix pure.
J'apaiserai - fermant le cercle de la vie -
Le cri de leur blessure.

Une prière, Kadia Molodowski
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Nuit, sois douce pour moi
Comme tu l'es
Pour le moineau, pour la colombe,
Quand ils sont las tu leur donnes repos
Je te demande aussi le repos de l'oiseau.

Nuit, sois douce pour moi
Comme tu l'es
Pour l'arbre et l'herbe.

À l'heure de la nostalgie
Tu leur donnes silence
Et moi aussi je te demande
Le silence de l'herbe.

L'herbe et l'arbre
Qu'aujourd'hui le vent a bercés
Dorment calmement
Et moi j'attends
Avec ma nostalgie d'enfant
Qu'il me berce en silence.

Nuit, sois douce pour moi.

Sois douce pour moi, Moshe Waldman
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J'ai l'inquiétude des loups, la quiétude des ours sages,
L'ennui écoute retentir en moi les cris d'un cœur sauvage,
Je ne suis point ce que je pense et ne suis pas tel que je veux,
Je suis l'enchanteur et je suis le sortilège de son jeu
Je suis l'énigme qui se tue à résoudre enfin son mystère
Moi, plus agile que le vent qui se noue autour d'une pierre,
Je suis le soleil de l'été, l'hiver, le vent glacé du Nord
Et je suis le riche dandy que l'on voit gaspiller sas
Hardi je suis le gars qui porte un peu de biais s casquette
Et qui dévalise son temps en sifflotant un air de fil
Je suis le violon mais aussi le tambourin, la contre basse,
De ces trois vieux musiciens, orchestre vagabond qui passe,
Je suis la danse de l'enfant et sous la clarté de la lune
Je suis cet innocent qui rêve au pays bleu de la fortune.
Lorsqu'en passant je vois d'une maison détruite les décombres
Je suis le vide qui m'observe avec ses regards troués d'ombre.
Je suis la peur en ce moment qui m'épie peut-être au-dehors,
La fosse ouverte dans un champ à la mesure de mon corps,
Maintenant je suis la lueur qui brûle pour le souvenir
Et l'inutile image au mur suintant qui reste à jaunir, Maintenant, le temps d'un éclair, je suis cette immense tristesse
Qui depuis un siècle me guette et qui me débusque sans cesse,
Et maintenant je suis la nuit, la lassitude est sa rançon,
Le pesant brouillard de la nuit, le soir et sa calme chanson,
L'étoile blanche que l'on voit très haut dans le ciel allumée
Et la rumeur sourde d'un arbre, un son de cloche, une fumée..

Mon inquiétude, Moshe-Leib Halpern
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Morris Rosenfeld (1862 Bokcha – Pologne / 1923 – New York)

YIDDISH

Maint tresseur de rime aujourd'hui se plaint
De notre parler qu'il trouve vilain :
Le yiddish est sec et rudimentaire,
Sans fleurs ni couleurs sa pauvre chanson
Nous écorche l'âme ainsi qu'un tesson,
C'est un langage acide et délétère...

Il est privé, disent-ils, de beauté,
De nobles mots, douceur et pureté,
Cela restreint, dirait-on, leurs romances ;
Il n'a que chardons pour égratigner,
Fouets jusqu'au sang pour nous fouailler,
Jamais en lui d'humaines résonances.

Oh ces cris trompeurs de polichinelles,
Pour insulter la langue maternelle,
Pour se défendre ils mentent sans remords !
Mon cher viatique, ô ma langue yiddish
Ne puis-je avec toi, si sainte, si riche,
Triompher de tout, même de la mort ?

Pour peindre les fleurs ornant les prairies
Mes mots sont couleurs, mes mots sont féerie,
Oh regardez, vous, les esprits exsangues,
De mon cœur l'amour s'est-il emparé
Qu'il trouve des mots pour le murmurer,
Le ciel immense est devenu ma langue.

La vie ne peut rien vraiment m'apporter
Qu'il ne me soit possible de chanter,
Vaste est mon langage ainsi que la mer
Et beau comme en mai les fleurs qui se trament
Ah, de mes chants voyez sourdre les flammes,
Les arcs-en-ciel que mes mots allumèrent !
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Nous, de la vieille tribu
  
  
  
  
Comme ce perroquet
Qui resta solitaire
Quand sa vielle tribu
Fut anéantie toute entière.
Dans les liens de l’anté-forêt,
Sur la montagne des squelettes
Et qui chantait, et qui chantait,
De sa tribu le dernier dit.
Pour le préserver de l’oubli.
Ainsi nous, les poètes juifs.

Dans les liens de l’anté-forêt,
Avec nos becs calcinés,
Avec nos ailes sciées –
Portant notre deuil, notre deuil,
Nous chantons notre litanie
Sur les montagnes d’ossements
Sous les sarcasmes déferlant,
De la tribu, nous, survivants,
Poètes juifs.


// Arie Shamri (1907-1978)

/ Traduit du yiddish par Charles Dobzynski,
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Le plomb de l’imprimerie Rom
  
  
  
  
Hors des barreaux nous étions la main qui se tend
Pour capter. Liberté, ton vol de lumière.
Vers l’imprimerie Rom dans la nuit nous hâtant
Pour y prendre le plomb par galées entières.
Il nous fallait, rêveurs, devenir combattants,
Muant l’esprit du plomb en balles meurtrières.

Ouvertes de nouveau, les matrices nous semblent
L’intime éternité des cavernes secrètes ;
Cuirassées d’ombres sous le halo d’une lampe
L’une après l’autre nous faisons couler les lettres
Pareils à nos aïeux qui jadis dans le temple
Versaient aux menorah * l’huile des jours de fête.

En balles métamorphosé le plomb rayonne,
Lettre après lettre en lui fondait notre pensée :
Un vers de la Pologne, un vers de Babylone,
En un même creuset bouillonne le passé,
La vaillance des Juifs au cœur des mots cachée
Doit-elle fracasser d’une salve le globe ?

Au ghetto celui-là qui vit surgir les armes
Par d’héroïques mains judaïques serrées,
A vu Jérusalem se lever et se battre
Et ses murs de granit il les a vus sombrer.
Il rassembla les mots, fit de leur plomb des balles
Et reconnut au fond des cœurs leur voix sacrée.

                               (12septembre 1943)



// Avrom Sutzkever (1913 – 2010)

/ Traduit du yiddish par Charles Dobzynski,


menorah * chandelier à sept branches, symbole du judaïsme
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Dans une larme du temps
Comme il est dur
De sertir
Un sourire,
Une mélodie
Se couvre
De nuages
Le chemin
Du berceau.
Seul le bleu, ce bleu-là,
Galope
Sur un faon
Et veut percer de part en part
Le brouillard
Et le
Temps.
     
     
Rivka Basman Ben-Haim
née en 1925 à Ukmergué, Lituanie.
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AU SOIR
à Itsik Manguer



Au soir chaque feuille
Devrait être oiseau
Et moi je tourne en tenant une cruche
Pour y recueillir leurs larmes.
Sur les fleuves déjà les ombres
Des arbres se sont enlacées
Nouant leurs têtes calmement,
Les chiens bientôt vont aboyer,
Découper le silence
Avec de longs couteaux, jusqu’au ciel.
Les chiens bientôt vont aboyer
Et la cruche tremble à ma main.


// Reizl Zychlinski (1910 – 2001)

/ Traduit du yiddish par Charles Dobzynski
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Charles Dobzynski
ARCHIVES



1,

J'appartiens aux archives
de l'inachevé.
Je possède pour royaume
inapprochable
qu'une décharge privée.
Un livre que l'on a pas lu
se met en torche
tombe en cendre,
le regard gave les lettres
avant de les plumer,
je me renforce
dans l'encoignure crasseuse
de l'enfance
où clignote mon incognito,
le gyrophare
d'un adieu qui dérape
au coin d'une rue, à la fin
d'un paragraphe.
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Charles Dobzynski
Enlève la pellicule



Enlève la pellicule
tu toucheras le bord du monde.
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Charles Dobzynski
Si on sortait la tête hors du trou



– Si on sortait la tête
hors du trou
on verrait quoi ?

– Un autre trou
plus profond.
Tu ne progresses
tu ne gravites
qu’en faisant le vide.

– Détenu sur la parole
de mon judas,
de mon jadis,
je suis l’âme-icône
qui ne s’explique avec ses feuilles
qu’à travers tes nervures.

– C’est vrai je l’entends bruire
ce rebut de lèvres,
des ruines parcourues de tressaillements.
Chien d’aveugle il faut dresser l’aube.
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Charles Dobzynski
Nous sommes allés jusqu’au bout



Nous sommes allés jusqu’au bout
de toutes les ivresses
et au retour il ne reste plus rien à déchiffrer
que la soif du recommencement
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Charles Dobzynski
L’angle mort



Est-ce dans l’angle mort
que la mort n’a pas d’angle ?
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Angoisse



Ma plume tremblante
Et ma main de glace,
Un bout de papier,
Bougie clignotante,
Ombre qui nuage
Par-dessus ma main,
Et c’est un cercle et ce cercle prend fin.
Mais dans cet abîme
Où je suis assise
Passe en frémissant
Ainsi qu’un éclair
Ce visage en moi toujours qui me point.
Et l’angoisse
Flotte sur moi comme une écharpe,
Recouvre ma tête,
Le bout de papier,
Le vin de la vie
Et la lueur de la bougie
Et le malheur de la clarté.
Dans l’ombre de la table
Qui vient et qui va
Saoule se balance
Par-ci et par-là,
Chaque planche a sa part
Fendue et taillée,
Assurément c’est pour rire
Que je suis assise à présent
Croyant que j’écris
Et croyant que c’est un chant.


// Kadia Molodowski (1894 – 1975)

/Traduit du yiddish par Charles Dobzynski
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Jardin chagallien



Derrière le portail, dans les dix-huit carats de la rosée
Vient se baigner ta fiancée.
Elle plonge en tremblant dans ta palette, en même temps
Que de bleus parfums balsamiques.
Ton imagination devient jardin... Ô nuit de rossignols !

S’embrassent les couleurs. Ton pinceau lui-même
Est un homoncule
Sur la Voie lactée de la toile
La tête à l’envers
Et s’offrent en lui des secrets charnus,
Pommes tièdes, fruits féminins,
Ses couleurs libèrent le bien que le jardin
Cache sous ses voiles de brume.


// Avrom Sutzkever (1913 – 2010)

/ Traduit du yiddish par Charles Dobzynski,
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Charles Dobzynski
le jardinier des origines



– Sois le soutien de famille
des strates
le jardinier des origines
peut-être le seul gué
dans la débâcle
des rencontres et des quanta.
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