Citations de Claude Lévi-Strauss (421)
Tout paysage se présente d'abord comme un immense désordre qui laisse libre de choisir le sens qu'on préfère lui donner.
Comment réagir devant des pratiques, des coutumes, des modes de vie tellement éloignés des nôtres qu'ils nous semblent inadmissibles, horribles, intolérables? La réponse la plus fréquente consiste dans le rejet. Et c'est cette attitude qui pose le problème de l'ethnocentrisme.
La nécessité de préserver la diversité des cultures dans un monde menacé par la monotonie et l'uniformalité n'a certe pas échappé aux institutions internationales. Elles comprennent aussi qu'il ne suffira pas, pour atteindre ce but, de choyer des traditions locales et d'accorder un répit aux temps révolus. C'est le fait de la diversité qui doit être sauvé, non le contenu historique que chaque époque lui a donné et qu'aucune ne saurait perpétuer au-delà d'elle-même. Il faut donc écouter le blé qui lève, encourager les potentialités secrètes, éveiller toutes les vocations à vivre ensemble que l'histoire tient en réserve; il faut aussi être prêt à envisager sans surprise, sans répugnance et sans révolte ce que toutes ces nouvelles formes sociales d'expression ne pourront manquer d'offrir d'inusité. La tolérance n'est pas une position contemplative, dispensant les indulgences à ce qui fut ou à ce qui est. C'est une attitude dynamique, qui consiste à prévoir, à comprendre et à promouvoir ce qui veut être. La diversité des cultures humaines est derrière nous, autour de nous et devant nous. La seule exigence que nous puissions faire valoir à son endroit (créatrice pour chaque individu des devoirs correspondants ) est qu'elle se réalise sous des formes dont chacune soit une contribution à la plus grande générosité des autres.
D'ailleurs, deux bateaux de guerre U.S.A. croisaient en permanence devant la rade. Un habile adjoint du commandant en chef des forces françaises déjeunait tous les jours à leur bord, tandis que son supérieurs s'employait à enflammer ses troupes de haine et de rancœur envers les Anglo-Saxons.
Les blancs invoquaient les sciences sociales alors que les indiens avaient plutôt confiance dans les sciences naturelles; et, tandis que les blancs proclamaient que les indiens étaient des bêtes, les seconds se contentaient de soupçonner les premiers d’etre des dieux. À ignorance égale, le dernier procédé était certes plus digne d’hommes.
[...] Ou bien, quand survient une bande indigène, une autre routine s'établit : recensement, nom des parties du corps, termes de parenté, généalogies, inventaires. Je me sens devenu bureaucrate de l'évasion.
En vérité, la rue n'est plus seulement un endroit où l'on passe ; c'est un lieu où l'on se tient. Vivante et paisible en même temps, plus animée et mieux protégée que les nôtres, je retrouve le terme de comparaison qu'elle m'inspire. Car les changements d'hémisphère, de continent et de climat n'ont guère, pour le moment, fait autre chose que de rendre superflue la mince couverture vitrée qui, en Europe, établit artificieusement des conditions identiques : Rio paraît d'abord reconstituer à l'air libre les Gallerias de Milan, la Galerij d'Amsterdam, le passage des Panoramas ou le hall de la gare Saint-Lazare.
Est-ce alors que j'ai, pour la première fois, compris ce qu'en d'autres régions du monde, d'aussi démoralisantes circonstances m'ont définitivement enseigné? Voyages, coffrets magiques aux promesses rêveuses, vous ne livrerez plus vos trésors intacts. Une civilisation proliférante et surexcitée trouble à jamais le silence des mers. Les parfums des tropiques et la fraîcheur des êtres sont viciés par une fermentation aux relents suspects, qui mortifie nos désirs et nous voue à cueillir des souvenirs à demi corrompus.
Il n'existe pas de peuples enfants même ceux qui n'ont pas tenu le journal de leur enfance et de leur adolescence.
Je hais les voyages et les explorateurs.
Si nous avons accordé à l'Amérique le privilège de l'histoire cumulative, n'est-ce pas, en effet, seulement parce que nous lui reconnaissons la paternité d'un certain nombre de contributions que nous lui avons empruntées ou qui ressemblent aux nôtres ? Mais quelle serait notre position, en présence d'une civilisation qui se serait attachée à développer des valeurs propres, dont aucune ne serait susceptible d'intéresser la civilisation de l'observateur ? Celui-ci ne serait-il pas porté à qualifier cette civilisation de stationnaire ? En d'autres termes la distinction entre les deux formes d'histoire dépend-elle de la nature intrinsèque des cultures auxquelles on l'applique, ou ne résulte-t-elle pas de la perspective ethnocentrique dans laquelle nous nous plaçons toujours pour évaluer une culture différente ? Nous considérerions ainsi comme cumulative toute culture qui se développerait dans un sens analogue au nôtre, c'est-à-dire dont le développement serait doté pour nous de signification. Tandis que les autres cultures nous apparaîtraient comme stationnaires, non pas nécessairement parce qu'elles le sont, mais parce que leur ligne de développement ne signifie rien pour nous, n'est pas mesurable dans les termes du système de références que nous utilisons. (p.32-33)
Le savant n'est pas l'homme qui fournit les vraies réponses, c'est celui qui pose les vraies questions.
La tolérance n'est pas une position contemplative, dispensant les indulgences à ce qui fut ou à ce qui est. C'est une attitude dynamique, qui consiste à prévoir, à comprendre et à promouvoir ce qui veut être. La diversité des cultures humaines est derrière nous, autour de nous et devant nous.
Comme dans les langues de métier, la prolifération conceptuelle correspond à une attention plus soutenue envers les propriétés du réel, à un intérêt mieux en éveil pour les distinctions qu'on peut y introduire. Cet appétit de connaissance objective constitue un des aspects les plus négligés de la pensée de ceux que nous nommons "primitifs". S'il est rarement dirigé vers des réalités du même niveau que celles auxquelles s'attache la science moderne, il implique des démarches intellectuelles et des méthodes d'observatiions comparables. Dans les deux cas, l'univers est objet de pensée, au moins autant que moyen de satisfaire des besoins
En une époque vouée, semble-t-il, à expliquer la différence, il peut en effet paraître une gageure de proposer une recherche portant sur l'identité. (...)
Une question de la différence parcourt en effet notre temps, et même le transit. La différence des sexes, la différence de la culture et de la nature, la différence entre les cultures et les codes nationaux ou régionaux se sont réaffirmées.
Une hantise traverse notre temps, saturé de communication, celle du repli de chacun sur son territoire, sur ce qui fait sa différence, c'est-à-dire son identité séparée, propre. Rêve de réenracinement dans l'espace insulaire d'une séparation. En même temps, l'insistance est vive dans de multiples cercles à proclamer l'urgence d'une unité de l'Homme, voire de retrouver la certitude sécurisante d'une nature humaine. C'est-à-dire d'une identité universelle de l'Homme à soi, sous la forme, au besoin, d'une subjectivité transcendantale.
(...)
On voit déjà les deux bornes d'une problématique de l'identité s'énoncer ici comme oscillant entre le pôle d'une singularité déconnectée et celui d'une unité globalisante peu respectueuse des différences.
(Jean-Marie Benoist)
La civilisation mondiale ne saurait être autre chose que la coalition, à l'échelle mondiale, de cultures préservant chacune son originalité.
Des sociétés, qui nous paraissent féroces à certains égards, savent être humaines et bienveillantes quand on les envisage sous un autre aspect.
Ce n’est pas seulement pour duper nos enfants que nous les entretenons dans la croyance au Père Noël : leur ferveur nous réchauffe, nous aide à nous tromper nous-mêmes et à croire, puisqu’ils y croient, qu’un monde de générosité sans contrepartie n’est pas absolument incompatible avec la réalité. Et pourtant, les hommes meurent, ils ne reviennent jamais ; et tout ordre social se rapproche de la mort, en ce sens qu’il prélève quelque chose contre quoi il ne donne pas d’équivalent.
[L]es spéculations mythiques, extravagantes de prime abord, reposent sur des connaissances zoologiques et botaniques très positives. Les hommes n'auraient pu les acquérir s'ils n'avaient de tout temps éprouvé une curiosité passionnée pour les êtres et les choses qui les entourent. Mais la pensée mythique va au-delà de ces observations. Elle en tire des inférences non validées par l'expérience, mais qui satisfont l'imagination et la réflexion.
Ainsi les Nambikwara s’en remettent-ils à la générosité du partenaire. L’idée qu’on puisse estimer, discuter ou marchander, exiger ou recouvrer leur est totalement étrangère.