REMISE PRIX Goncourt
Chez DROUANT, en direct annonce traditionnelle du prix Goncourt et Renaudot 1981 par
Armand LANOUX et
Conrad DETREZ. le prix Goncourt est attribué à
Lucien BODARD pour son
roman "
Anne Marie" et le prix Renaudot à
Michel del CASTILLO pour son
roman "
La nuit du décret.
Mon âme avait tout appris. Elle savait à son tour que Dieu est mort, la révolution broyeuse des hommes qui la font, l’amour impossible.
Un militant sans coeur est un être dangereux; un militant sans sexe, un malade.
Mes doigts coulent entre des boucles pareils à des poissons entre des touffes d'algues noires, les plus noires entre toutes les plantes qui croissent dans les fleuves, au fond de la nuit des océans, dans les aquariums. Victor a les cheveux doux comme des fils de soie, on dirait des cheveux d'ange; pourtant il est peut-être un fils de païen. Victor a des cheveux de travailleur agricole mais je ne sais comment m'y prendre pour le lui dire.
Les chemins du ciel son bleus, ils sont secs comme le linge pendu à a corde au-dessus du poêle. Les chemins sont propres, l'eau est tombée sur terre. Le sol n'est plus le sol. Les éléments s'ordonnent à l'envers.
Je veux aller chez Ludo sur un tapis de la couleur du ciel. Je veux avancer entre des buissons de nuages, des bordures où les fleurs s'effilochent, où les feuilles ondulent, blanches, soyeuses, écarter de mes pieds les touffes de cheveux tombés, sous des coups de ciseaux, du manteau des anges. Je veux culbuter sur l'herbe bleue.
La boue m'empêche de quitter la maison. Elle a submergé de l'île où m'attendait mon camarade. Les ares descendent dans la vase. Le jardin de la terre et noir. Il faudra replanter au ciel la végétation de la terre.
La raideur finira bien par décourager la vie. Je ne sens déjà plus ma jambe droite. La mort est un trou, le trou en moi s'élargit. Soudain quelque chose remue sur mon côté droit, mes yeux restent clos, je retiens ma respiration. On me secoue, on cherche à me soulever de force les paupières. Ma têt esquisse un mouvement de retrait, je veux mourir mais sans égratignures. On se met tout à coup à rouler sur moi, à me serrer, à me ballotter, on se met à rire. C'est sa voix. Ludo rit.
— La victoire est rude, leur lança un de mes compagnons, la main collée à ce qui lui restait d’oreille après le passage, à hauteur de sa tempe, d’un fragment de haut-parleur.
La veille du jour dit de protestation des Ecoles de Dieu, mes collègues et moi nous sommes retrouvés, après le petit déjeuner, devant la porte du séminaire. La prudence incitait à se rendre en groupe à la Faculté; Le brouillard, apparu depuis quelques jours, était dense; on pouvait s'égarer, s'exposer à des attaques surprises et tomber sur des adversaires invisibles et dressés, la trique à la main, à cinq mètres de soi en pleine rue.
[Extrait d'un texte hors roman] Le veau belge croit utile de calquer le français. Il a tort. Jamais il n'arrivera à larmoyer aussi artistement que Julien Green ou François Mauriac. Jamais il ne sera, comme à Paris, une bête élégante;
Le veau belge doit rester un malappris, un naïf. Il doit courir après sa queue jusqu'à la fin des temps. De cette insistance naît l'attitude métaphysique. Le belge y excelle. C'est sa gloire. La Belgique, comme dans les légendes, est un animal fabuleux.
Prière
Je Vous aime, je me ferai lys
Vous veillerai comme un garde suisse
Et je me dresserai tout blanc,
Tige droite, pétales innocents.
Pour Vous je tuerai des lapins
Albinos et sur des coussins
De soie claire je déposerai
Les quartiers de chair albuginée.
J'irai traire des vaches blanches
Dans le calme de mes dimanches
Et puis j'en répandrai le lait
Sur l'albâtre, mouillant le duvet
De cygne que j'aurai semé
A l'endroit que foulent Vos pieds.
Je peindrai d'argent des volières
Toutes bruissantes d'oiseaux de mer
Que j'accrocherai avec précaution
Aux marbres de Votre maison.
Je tremperai d'odorants narcisses
Dans de lourds et profonds calices
Où se trouvera contenu
Du blanc d’œuf en neige battu.
Pour la prière je me ferai
La voix blanche et dénuderai
Mon corps vierge et Vous adorant
J'offrirai mon sperme et mon sang.
Nous avons milité ensemble, collé des affiches, peint des inscriptions, distribué dans les bidonvilles des sacs de lait en poudre pillés dans une cargaison amenée par un bateau de la marine américaine.