Ceci est un roman autobiographique, que l’auteur a sorti de ses tripes, en démêlant un incroyable faisceau de mystères et de non dits. A t’il pu cheminer un peu depuis qu’il a terminé ce livre ? On le sait il n’y a pas de mot « fin » à une telle histoire. La genèse du roman prend peut être corps lors de la mort de la mère de l’auteur survenue il y a quelques années. Un événement moins difficile à supporter que celui de la grand-mère, nous dit l’auteur. Il a du alors vider la demeure. Un travail douloureux et prégnant, que nous faisons tous, quand nos parents disparaissent : Faire le ménage, au propre et au figuré, balancer l’inutile, qu’il reste à déterminer.
Pour revenir aux sources familiales, « L’hôtel de la folie » a bien existé dans cette appellation étrange. Nous apprendrons que c’est un établissement situé via Toledo, à Naples. C’est là que naquit Pià Nerina, la grand-mère, personnage central de l’histoire, ayant mené une existence sulfureuse, sous une apparence de bourgeoise, ayant sans cesse donné le change, même à ses proches.
La culture du secret, du refoulement, et de la mythomanie semble remonter à l’histoire Italienne de la mère, à ses propres géniteurs. Les questions dans ce livre, sont bien plus nombreuses que les réponses. Ou plutôt, chaque réponse donne naissance à de nouvelles questions.
Qui a eu l’idée d’appeler l’hôtel ainsi ?
« Ton père, Attilio Salvadore, de la famille des barons de Cecchi, ainsi qu’il se présentait sur le prospectus commercial ? Et pourquoi ? Parce que cet aristocrate Calabrais aimait le Français ? Très bien. Mais pourquoi la folie ? La folie de qui ? Quelle folie ? Qui voudrait dormir dans un hôtel avec un nom pareil ? »
La force du récit et les personnages baroques, font penser à l'univers des plus grands écrivains. Pià Nerina, dont l’histoire de migrante est évoquée, n’a t’elle pas la force et la tchatche de Julia, dans « Tante Julia et le scribouillard » de Vargas Llosa. Ou encore l’opiniâtreté de la mère de Marguerite Duras, dans son « barrage contre le pacifique » ?
Pià Nerina, qui garda sa fille et son petit fils sous le toit de ce grand appartement Parisien, semble avoir été une véritable maman de substitution. Et sa mort, que la scène inaugurale du livre évoque, reste le grand trauma. « La fenêtre de la cuisine, ses battants grands ouverts. Le vent glacé. Tes pantoufles sur le rebord du balcon. Tu t’es jeté et je hurle ! »
C’est une chose d’enquêter sur le frère d’un poète aux semelles de vent, mort il y plus d’un siècle, comme l’auteur l’a fait si brillamment, dans « l’autre Rimbaud », c’en est une autre de se mettre à vif, en écrivant sur sa propre histoire familiale, quand elle est si douloureuse, et multiforme.
« Il y a quelques années, confesse David Le Bailly dans ce livre au mille tiroirs, j’ai écrit un livre sur la compagne cachée de François Mitterrand. Je n’ai pas compris tout de suite le sens caché avec ton histoire »
Invisible, car trop évidente, comme dans « La lettre cachée » nouvelle d’Edgar Poe, que les enquêteurs étaient incapables de trouver, car traînant au beau milieu de la table. Nos orientations sont sans doute si biaisées par notre passé, que nous ne nous sommes pas conscients que notre liberté, nos choix et regards sont bornés. Il a fallu deux livres sur le même sujet, lié au secret de famille, terme d’appellation non contrôlée, pour que l’auteur, après avoir brodé brillamment sur le motif, se mette enfin à l’ouvrage sur le sujet qui lui importait le plus : Les ressorts de sa propre vie.
C’est Louis Ferdinand Céline qui disait en 59 : « Alors j’ai mis ma peau sur la table. Parce que n’oubliez pas une chose : La grande inspiratrice c’est la mort ! Si vous ne mettez pas votre peau sur la table, vous n’avez rien. Il faut payer !
Payer...S’il ne fallait payer que pour ses propres choix. Malheureusement, les enfants le font souvent pour les choix de leurs géniteurs. « Pià Nerina. J’ai espéré la mort de Maman. J’ai toujours pensé que c’était la meilleure chose qui pouvait arriver. Et à présent que c’est arrivé, je le crois encore. Mais je sais. Il y aura un prix. »
Ce livre est sans aucun doute un exutoire. Une thérapie.. Prométhée s’est trouvé lui aussi devant ce dilemme. Le prix à payer. Mais l’exigence de lumière n’est il pas plus salutaire que l’apathie et la résignation ? Tant qu’à évoquer les mythes Grecs, qui a envie de rester assis dans la grotte de Platon, à se contenter d’un simple reflet indistinct du réel sur un mur ? Ne pas chercher à comprendre, c’est prendre le risque de reproduire, et de s’enfoncer encore dans la folie.
Pià ne tardera pas à s’extraire de son Italie natale, pour émigrer en France dans les années 30. Pià, belle et aventureuse, brise le plafond de verre. Elle a tous les culots, les audaces, et prend les portes dérobées, faute d’ascenseur social, capable de s’accoquiner avec un aigrefin, pour arriver à ses fins. On en parlerait maintenant comme « Une femme puissante ». A l’époque, on disait « une sacré dégourdie », ou plus fâcheux « Une gourgandine ! »
On l’imagine facilement s’installant à l’esbroufe, dans le Paris des artistes, ou plutôt des gens qui comptent, car si sa culture est déficiente, son charme et son charisme, parviennent à combler les failles, avec son habilité de faussaire. Elle sait ce qu’elle veut : Dénicher l’oiseau rare, comme on disait à l’époque. Une sorte de Zelda, cherchant son Scott Fitzgerald, dans cette ambiance interlope du Paris de l’entre deux guerres. Elle est vite repérée par les hommes influents. A moins que ce soit le contraire. Car Pià, contrairement à Zelda, à la tête bien sur les épaules.
Reproduire, ou critiquer ? Nos choix en sont ils vraiment ? Ne dépendent ils pas de notre place œdipienne, et de celle que nous occupons dans la famille, des valeurs de l’époque, de notre arbre généalogique plus ou moins bancal ? Romain Gary toute sa vie, s’est inventé cent récits mythologiques, a changé de nom et de pays, pour boucher les failles de son histoire.
Pour Pià, l’intrigante, l’homme qui fut une fortune de guerre au long cours, s’appelle Pyrrhus. C’est « L’amant de la Chine du nord » de Marguerite Duras. C’est lui qui finance l’achat de ce grand appartement, comme un aristocrate pourvoie au train de vie de sa maîtresse.
Les noms ont été changé bien sûr par l’auteur, mais leur choix n’est sans doute pas innocent « Pyrrhus », comme « Hannibal » ont été des empereurs conquérants. Oreste, autre homme de passage, un héros mythologique Grec. Ces patronymes ne surlignent-ils pas l’importance que ces figures patriarcales, possédaient sur ce ménage à trois? Ils raisonnent comme le nom de molochs antiques, omnipotents dans leur générosité, jamais tout à fait acquise. La peur de tout perdre, est constitutif au passé de Pià.
Cette distribution au générique souligne un peu plus l’ancrage que peut avoir pris cette histoire, dans la psyché du petit garçon, devenu plus tard écrivain, restituant les ombres de ces géants, sans prendre le risque d’en dire trop. On ne peut déballer tous les secrets des boites à chaussures et des tiroirs où ils se tenaient cachés, le jour où il faut fermer la maison familiale. La moindre photo exposée au public peut vous amener maintenant de sérieux problèmes sur le devoir de confidentialité, même si les visages, quand ils ne sont pas dans l’ombre, sont rageusement grattés avec une lame de rasoir.
Et l’on ne sait qui a fait cette injure ? Est-ce la mère, ou est-ce la fille, si semblables dans leur aspirations, et si différentes dans la réalisation.
A partir de quand la fille commence t’elle à haïr la mère ? Cette investigation ne sera jamais finie. Les parts d’ombres sont trop nombreuses. On pense en lisant ce livre, à Patrick Modiano, cet homme qui toute sa vie a remis sur le métier les mêmes questions, après avoir vécu une enfance traumatique, dans le Paris interlope de l’après guerre.
Pour exorciser son passé, Patrick Modiano s’est servi de la fiction. Une façon de tirer des bords pour remonter le courant, de façon bien moins frontale que l’auteur. Si les histoires sont différentes, elles présentent toutes deux le même type de personnage lunaire, jeune, perdu, se mouvant dans un univers d’aquarelle, où il est difficile de faire la part des choses, dans un monde de secrets et de non dits.
C’est un exercice courageux et difficile dans lequel s’est lancé David Le Bailly. Il devait tenir à l’urgence, à la nécessité. il touche à l’universel, et aux questions que nous nous posons parfois sur nos origines, le passé de notre famille. Les repas de familles, malgré toute l’ambivalence que nous mettons parfois à nous y rendre, sont faits aussi pour questionner notre passé, parfois fantasmé, amnésique.
Que faire quand on est seul au monde, sans frères, ni cousins, pour remettre les choses en perspective ? La solitude de l’enfant m’a paru l’élément fondamental du livre. Elle a réveillé l’angoisse existentielle que nous ressentions en lisant les livres des frères Grimm ou d’Andersen, avec ces gosses devant se débrouiller avec leur courage et leur intuition pour s’en sortir au mieux. Tant d’histoires gothiques, pleines de sorcières, de fées, et de vilaines marâtres, venant se disputer autour d’un berceau. Nous pouvions jouer à nous faire peur. Nous savions que cela ne nous concernait pas. Avant de tomber un jour sur un secret de famille.
Le besoin d’amour et de sécurité sont essentiels chez l’enfant. Qu’un parent se dérobe, sombre dans la paranoïa et la folie, quand l’autre est inexistant, la seule chance pour s’en sortir est de se raccrocher à un supplétif. C’est le rôle que jouera Pià, la grand-mère, tant qu’elle le pourra, avant que tous ne sombrent dans la maltraitance, la violence, la colère, et la culpabilité.
Sept ou huit photos dans ce livre, comme des cachets de la poste faisant foi, et qui ont dérangé parfois l’auteur, dans l’exhumation de la maison, lui montrant trop crûment un reflet fâcheux du passé. Les vêtements, les poses, sont dans l’air du temps. Comme ce cliché de la fille de Pià prenant une pose déhanchée sur la plage, dans son bikini.
La mère derrière, comme derrière un comptoir.
« Comme au théâtre, tu la tiens, tu la pousses, tu l’exhibes, et oserais je le dire : Tu la vends » L’auteur pour le coup ne peut s’empêcher tout de même de décocher un coup de griffe salutaire à sa grand-mère vénérée. La genèse du crime prend naissance dans cette adoration que celle ci avait déjà pour sa fille « pourrie gâtée ».
Il faut se méfier de l’adoration. Elle met sur un piédestal ceux à qui on refuse de demander des comptes, pour notre plus grand danger, et autant le leur.
Les héritiers n’ont pas toujours l’énergie des parents. Pour quel besoin devrait il l’avoir, quand tout leur « tombe dans le bec », comme on disait à l’époque.
En suivant la suite dramatique de l’histoire, on pense à une sorte de malédiction, héritée d’une culture du mensonge, et de la dissimulation, ou montrer et posséder, est le simulacre de la réussite et du bonheur, et fait office de morale.
La mère a certainement servi de modèle pour sa fille. Mais tout le monde n’est pas doué pour la pèche au leurre. Son caractère s’aigrit. Dans ce huit clos étouffant, les hommes apparaissent encore une fois, comme des chasseurs et des proies, où il faut tirer " le bon numéro".
Les relations entre les deux femmes dans cet appartement, qui va devenir un autre hôtel de la folie vont devenir destructrices. Avec l’enfant au milieu, et son identité incertaine, mais pourvu d’un bel instinct vital. Il passera par trois noms. Les enfants vivent au présent. Les questions viennent plus tard. On comprend qu’il se fera archéologue, épluchant inlassablement les cahiers, revues, actes administratifs, exhumés dans l’appartement vide, comme une pyramide d’Égypte, à la recherche de pistes, de preuves, au milieu de tant de chausses trappes, de mensonges.
On s’y noierait. Comment remonter le fil, en usant de la science du démineur, tant il y a de l’esbroufe et des déguisements dans ces tiroirs, où certaines pièces ont été détruites ? C’est à la fois un labyrinthe et un parcours fléché.
Lointains cousins d’Italie, qui rajoutent des questions à ce qu’il ne connaît pas, qu’il tente d’expertiser.
Quand on est enfant unique, et qu’on n’a pas d’écho d’un frère aîné, d’une sœur à qui la mère aurait dit des secrets, il faut bien devenir expert en puzzle. Le problème dans cette histoire, c’est qu’ils ne sont pas tous dans leur boite respective, mais mélangés, indistinctement.
J’ai apprécié énormément ce livre, la belle écriture de l’auteur, tenant sa lampe à la main, tentant de dissiper les ténèbres, et qui me semble être un véritable défi lancé au mur des secrets et des artifices. Mais sans doute celà s’apparente t’il à une nécessité. Comment aurait il pu autrement déconstruire le roman familial ?
Le concept du « roman familial » renvoie à une notion élaborée par Freud. Cela consiste de façon banale, pour les enfants, à s’inventer une autre famille que la leur, propre à s’imaginer fils de prince, ou de quelque autre personnalité, autres que leurs parents si communs. Une opération qui aurait pour but de préserver le narcissisme de l’enfant, dont la filiation idéalisée, bien qu’imaginaire, renforcerait leur amour propre.
Nul doute qu’il faut une belle capacité de résilience pour s’en sortir, après un tel itinéraire. La vie semble parfois avoir plus d’imagination que bien des fictions. Celle ci paraîtrait bien improbable si c’en était une.
« La création est toujours liée au mystérieux regard de l’enfant en soi, dont l’empreinte ne peut être transformée par aucune ruse littéraire ». Une citation d’Aaron Appelfeld, que l’auteur cite en prologue de son livre.
Sans doute. Mais comme il est difficile de remonter à la source de l’histoire, faire la différence entre les causes et les effets !
On pense au « rosebud » énigmatique, le dernier mot que prononça Kane, le milliardaire moribond, sur son lit de mort, faisant référence au traîneau qu’on l’obligea enfant à laisser derrière lui, dans le merveilleux film d’Orson Wells « Citizen Kane ». Le journaliste enquêtant sur la vie du magna, ne parviendra pas à résoudre cette énigme, dont la clé sera fournie visuellement au spectateur, dans la dernière image du film.
Néanmoins, les multiples témoignages qu’il aura recueilli sur le magnat de la presse, sont si divergentes, et si contradictoires qu’ils nous montrent comment la vérité d’une personne est difficile à fixer. Un procédé qui sera repris avec par Heinrich Böll, dans son magnifique roman « Portrait de groupe avec dame ».
Si l’enfance reste si vivante en nous, avec toute la charge émotionnelle dévolue, le temps change lui aussi les perspectives, les angles de vue. Même quand la mémoire des faits reste intacte, l’âge et l’expérience nous les font voir différemment.
« Plusieurs fois il m’a été dit : Il faut pardonner, on ne construit rien de valable, de durable, sur la rancœur, ou dans la haine ! »
J’ai envie de dire qu’il faut dépasser, ce qui nous est impossible à comprendre.
C’est un travail d’Hercule dans lequel s’est lancé l’auteur. Il lui fallait nettoyer les écuries d’Augias. J’espère qu’il décrochera les pommes d’or du soleil.
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