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Critiques de Emil Cioran (176)
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Ébauches de vertige

De bonne humeur aujourd'hui ? Ne lisez pas Cioran…



« Être ou ne pas être : ni l'un ni l'autre ». Cela ne devrait pas nous étonner pour un clou…Emil Cioran n'est-il pas l'anagramme d'acrimonie ?



« L'homme est inacceptable. » L'écrivain roumain de langue française ne délivre pas un essai philosophique, poétique ou moraliste. Dans ces ébauches solitaires c'est avant tout une voix.

En dépit de l'antipathie de façade - « extermination » lui vient à l'esprit en voyant les gens dans la rue - Cioran nous aide à relativiser nos colères, nos indignations, nos impuissances, nos blessures d'orgueil « gouffre de l'hérésie du moi ».



« Je m'intéresse à n'importe qui sauf aux autres. » Cette lecture est comme un journal de bord fragmentaire, d'un homme qui voit le flot de son existence comme le radeau de la méduse d'un pessimisme, d'une ironie et d'une sincérité rare.

Cioran dit ce qu'il pense et non ce qu'il faut penser ni comme il faut penser, il se revendique comme antiphilosophe et ne répond pas à cette question, qu'il juge capitale, « comment se supporter ? ».



« Suivre sa pente au lieu de chercher son chemin » Talleyrand. La souffrance, la maladie, notamment la maladie de la conscience de soi, du facultatif de ce qu'on fait et de ce qu'on est. Ce nihilisme, faute de suicide, est incurable ; pour Cioran ce mal évolue de façon chronique, de livre en livre.

Cioran a-t-il mutilé son « conatus » spinozien comme Van Gogh son oreille ? Quel est son secret, proche d'une certaine idée bouddhique du détachement, tout juste concède-t-il que « mûrir c'est constater l'aggravation de ses incohérences » ? Qu'a-t-il de moins que nous ou de quelle « carence » ne souffre-t-il pas car « prendre au sérieux les affaires humaines témoigne de quelque carence secrète » ?



« Le fragment, genre décevant sans doute, bien que seul honnête. » C'est très long de faire court. Emil Cioran, je crois, a noirci bien des pages avant d'arriver à extraire le résumé d'une démonstration, la conclusion et l'introduction en même temps. Ces ébauches sont pareilles à des poussières d'alphabet grises broyées sur des interlignes achromiques qui, tel un halo brumeux, séparent ces (max)cimes de désespoir : ne pas regarder en bas, le gouffre, vertigineux, est sans fond.



« la timidité, source inépuisable de malheurs dans la vie pratique, est la cause directe, voire unique, de toute richesse intérieure. » Pourtant nous ne pouvons nous départir du sentiment que Cioran nous a compris. Celui qui veut à tout prix nous faire croire qu'il ne se parle qu'à lui-même trouve en fait le chemin de l'universel. Cioran, et c'est son paradoxe, parvient à dire si bien ce qu'il déplore qu'on ne puisse dire avec des mots.



Qu'en pensez-vous ?

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De l'inconvénient d'être né

Si le titre plaît, alors, le reste de l’ouvrage plaira. Il faut déjà se sentir profondément contradictoire pour se reconnaître dans la dénomination de ce recueil d’aphorismes, publié par Emil Cioran en 1973 à l’âge déjà bien avancé de 62 ans. Aura-t-il eu l’intuition sur le tard que sa naissance représentait un inconvénient majeur ? Ou possédait-il déjà cette intuition depuis longtemps, sans réussir à résoudre le paradoxe apparent qui découlait malgré tout de la poursuite de la vie ?





Pour peu que l’on se reconnaisse dans cette pensée, on sera gré à Emil Cioran d’avoir supporté l’inconvénient d’être né et d’avoir pris le temps d’affirmer la possibilité de vivre dans cette contradiction : être dégoûté d’une existence désavantageuse en tout point, mais ne pas trouver la motivation nécessaire pour l’interrompre. C’est dans la continuité du mouvement absurde qu’Emil Cioran s’affirme -non pas en mettant en scène des personnages livrés à leurs contradictions, comme le firent les dramaturges du théâtre de l’absurde, Ionesco et Beckett en tête- mais en se mettant en scène lui-même et en livrant l’intégralité de ses pensées sous forme d’aphorismes. On croirait presque un journal intime délivré sous une forme laconique et qui résumerait l’écoulement d’une journée à une sensation –souvent liée au dégoût, au désespoir ou à l’ironie- sans justification de fait.





« Le même sentiment d’inappartenance, de jeu inutile, où que j’aille : je feins de m’intéresser à ce qui ne m’importe guère, je me trémousse par automatisme ou par charité, sans jamais être dans le coup, sans jamais être quelque part. Ce qui m’attire est ailleurs, et cet ailleurs je ne sais ce qu’il est. »





Emil Cioran se crée donc un personnage et s’incarne dans le prototype de l’homme absurde qui a conscience de la vacuité de son existence. Hélas pour lui, malgré toute sa lucidité, malgré le malheur que lui inflige cette position ambivalente, l’homme absurde est un homme faible, au moins aussi ridiculement insignifiant que son existence, et pour cette raison même il n’arrive pas à quitter cette vie qu’il traîne comme un fardeau. Pire : le Cioran-absurde semble presque finir par tirer un plaisir indubitable de cette situation tragique, et il se livre à l’ultime paradoxe en écrivant ! L’homme persuadé de l’absurdité de tout acte ne trouve rien de mieux à faire, pour conjurer le mauvais sort, que de se livrer à l’acte le plus infécond qui soit : écrire ! Et ça le fait rire…





Ainsi, il est quand même une preuve qu’Emil Cioran a su tirer profit de sa conviction qu’il ne lui sert à rien de vivre : son détachement total vis-à-vis du sérieux qu’exigeraient habituellement les évènements fondateurs de l’existence. Puisqu’il sait qu’il n’est rien, Emil Cioran ne cherche pas à valoriser l’image qu’il renvoit à son lecteur. Il n’avance aucune certitude, préfère se laisser couler doucement dans un amalgame brouillon de sensations et de pensées qui interfèrent sans cesse pour se contredire. A l’égard d’un Nietzsche, il semblerait que la pensée d’Emil Cioran soit le résultat d’une mise à l’écoute d’un corps en souffrance –et donc d’une symbiose du physique et du psychique. Quoiqu’il en soit, le recul d’Emil Cioran se traduit par un rejet de la conception d’identité qui s’exprime sous la forme d’une ironie –cruelle en première apparence, en réalité salvatrice pour l’individu qui ne jure plus de rien. A condition d’accepter cette position et d’admettre que nous-mêmes, à l’égard de l’auteur, ne constituons pas des sujets dignes d’être pris au sérieux, les salves incessantes vouées à l’autodestruction prendrons la forme d’invitation à se livrer à une orgie de suicides organisés.





« Plus on vit, moins il semble utile d’avoir vécu. »





Au-delà même de l’individu qui, pris à part, ne rime à rien, Emil Cioran n’oublie pas de s’attaquer également à la civilisation. Revenant sur les débuts de l’Histoire, sur les courants philosophiques et religieux qui l’ont traversée, il s’acharne également à démontrer le vide qui sous-tend toute conception et met à jour la superficialité et la bassesse latentes de systèmes qui ont voulu se donner de grands noms.





Il serait dommage qu’en raison de la virulence d’Emil Cioran, on se détourne radicalement de L’inconvénient d’être né. Un homme qui s’amuse à tout détruire parce qu’il a conscience de représenter le néant doit-il être pris au sérieux ? Emil Cioran indique entre les lignes qu’il ne le croit pas, et s’il s’investit autant dans la cruauté, c’est pour donner une ultime leçon à ceux qui auraient encore pu être persuadés de l’importance de leur existence sur Terre. Lui-même ne croit sans doute qu’à moitié à ses admonestations au suicide et à l’autodestruction, mais il croit intégralement à la sensation de plaisir qui accompagne l’écriture de ces salves virulentes. Je pense qu’il faut lire Emil Cioran au second degré et s’amuser avec lui des idées perverses et dégénérées qui naissent dans l’esprit de l’homme-absurde. Peut-être, Emil Cioran s’exprimera-t-il véritablement en son nom –et non plus au nom de son « personnage » destiné à la provocation- dans l’avant-dernier aphorisme qui clôt son ouvrage :





« Nul plus que moi n’a aimé ce monde, et cependant me l’aurait-on offert sur un plateau, même enfant je me serais écrié : « Trop tard, trop tard ! » »





On suppose ainsi l’intentionnalité véritable d’un homme –déçu peut-être par les apprentissages qu’il aura tirés de l’existence ?- et qui n’aura su exprimer son attachement à la vie autrement qu’en la rejetant violemment.


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Cahiers, 1957-1972

Cet ouvrage est celui que je préfère de Cioran, et je m'étonne de ne pas en avoir fait déjà la critique...

Si certains essais sont plutôt difficiles à lire, il n'en est rien de ce "journal", écrit entre 1957 et 1972. Un journal qui ne relate pas le quotidien d'un homme mais des impressions, des pensées, des souvenirs de lectures, des balades...

On y croise les amis de Cioran, tels Ionesco ou Beckett.

Les anecdotes dont Cioran nous fait part nous rapprochent de la singularité du penseur.

Si Cioran est en révolte contre le monde et contre dieu, il l'est aussi contre lui-même, c'est ce que nous montrent généreusement ses Cahiers.

Le style est vivant, et associé à un contenu souvent teinté d'humour, il donne de l'énergie au lecteur.

Pessimiste Cioran ?

Pas seulement, et pas si sûr...

Je dirais plutôt tragique, et ironique...



"Il n'y a qu'une manière de tout posséder : ne rien désirer."

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Histoire et utopie

Histoire et utopie ne décevra pas les amateurs de Cioran. Pessimiste, désabusement, mise en lumière de la laideur humaine, plus proche de la vérité que tous les bons sentiments, l'empathie, le pardon, la quête d'un âge d'or et d'une société idéale qui ne sont que les revers naïfs d'une médaille noire, rarement grise foncée... j'ai trouvé certaines de ses analyses d'une lucidité froide et d'un modernisme historique étonnant...je me suis noté de le relire pour approfondir certains passages.
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De l'inconvénient d'être né

Suggestion : il peut être opportun de faire suivre cette lecture par celle de Suicide mode d'emploi.



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Pensées étranglées

Voilà un sacré philosophe, sombre, nihiliste, qui remet absolument tout en question, même l'intérêt de naître : )

Dans ce petit livre d'aphorismes, en quoi ses pensées sont-elles étranglées ? Par qui ? Par quoi ?

Je dirais par l'angoisse omniprésente, angoisse de la prise de conscience d'une civilisation de violence, d'échecs, de refoulements, de maux, de dieux malfaisants, de déceptions, de tristesse, de douleur, de folie, de MORT (en majuscules, car c'est un thème récurrent, obsédant chez lui ).

Autant se tirer une balle tout de suite : )

.

Emil Cioran a eu une enfance malheureuse, et a été déraciné de sa Roumanie natale. On sent le suicide omniprésent derrière chaque pensée !

Voila pour le large côté négatif.

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Aparksa (à part ça en créole ), kossaoudi ? ( qu'en dis-tu ? )

.

Eh bien, j'ai mis quatre étoiles, parce qu'Emil m'interroge en posant tout à plat.

Je classe ses aphorismes en six catégories dans ma grille personnelle de lecture.

1 ) il y a quelques rares réflexions positives sur la Nature et la Pensée ;

2 ) des réflexions à creuser sur les tyrans, la souffrance, la tristesse, la réussite, la religion, la peur.

3 ) des réflexions avec lesquelles je suis vraiment d'accord, sur la cruauté, l'écriture, la conscience, la philosophie, la guerre ;

4 ) des aphorismes que je trouve absurdes ;

5 ) d'autres pour lesquels j'en cherche encore le sens ;

6 ) et enfin des réflexions avec lesquelles je ne suis pas d'accord, principalement parce que je suis croyant, et lui ne semble pas l'être, d'où une partie de son pessimisme, et sa "peur inepte de la mort", dit-il.

.

En tous cas, pour moi, tout va bien : )
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Précis de décomposition

Ce premier livre écrit en français, à la fin de la seconde guerre mondiale, est le fruit de son exil forcé pour fuir le stalinisme qui s'installe en Roumanie. Il laisse sa famille et ses amis dont plusieurs seront torturés pour les relations épistolaires qu'ils entretiendront avec lui.

Cioran vient donc d'arriver à Paris, déçu de tout, de lui-même, en proie au pessimisme et à la dépression la plus noire.

Ce livre est donc composé de ses réflexions sur son ressenti, sa souffrance d'exilé. On y découvre déjà le lyrisme et l'ironie qui seront la marque de son écriture pour assèner ses vérités dérangeantes, mais d'une grande lucidité, sur l'espèce humaine.

Le premier (en français) d'une longue série de variantes, tant le thème semble inépuisable. Un essai "choc" à lire pour découvir un penseur essentiel.
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Le mauvais démiurge

Aaah, cet Emil ! Les philosophes me surprendront toujours. Celui-ci, c'est Grincheux, mais un Grincheux qui nous interpelle :

c'est quoi, ce bon dieu de pacotille qu'on nous a envoyé ? il se fait avaler par Le mauvais démiurge ( dieu créateur de l'univers ) autrement plus convaincant : il est tellement plus facile de faire le Mal que le Bien ! Regardez autour de vous !

Alors que le bon dieu "débile" (c'est Emil qui le dit ) est apathique, l'autre, le démiurge, un dieu taré, nous entraîne dans l'extase, la corruption, le désir de la chair, qui, "dans un moment d'oubli" reproduira des petits d'hommes.

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"Comment songer sans effroi ou répulsion à ce prodige qui fait du premier venu un démiurge sur les bords ?"

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Car l'homme "continue à sévir malgré ses déboires, il prend ses défaites pour des conquêtes, il n'a jamais rien appris."

Sans la nommer, Emil prône l'abstinence, lui qui ne voulait pas naître.

Ou alors, il faudrait "rebâtir ni plus ni moins le monde dans sa totalité, changer allègrement de démiurge, s'en remettre, en somme, à un autre créateur."

.

J'ai adoré cet opuscule.

Emil Cioran va plus loin que Friedrich Nietzsche : pour lui, Dieu n'est pas mort, il est faible, et le démiurge gagne tous les jours.

C'est bien écrit, et la plupart de ce qu'il dit, je le constate quotidiennement : les "méchants" gagnent sur tous les plans depuis la nuit des temps.

.

Il nous reste à cultiver notre jardin, comme Voltaire, entre gens de bonne compagnie, et à croire en une "après-vie", comme l'écrit Alain-Joseph Bellet, après-vie dont je constate souvent, grâce à ma femme Lise, les manifestations " Derrière la porte".
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Sur les cimes du désespoir

Me dire que ce livre est le produit de la pensée d'un homme de 22 ans a quelque chose d'effrayant, tant le désabusement, l'absurdité de la vie et la vision proposée paraissent devoir éviter la jeunesse, son enthousiasme, sa soif de pommes vertes et juteuses. Cioran dit lui-même dans la préface que, Sur les cimes du désespoir fut libératoire et l'empêcha sûrement de mettre fin à ses nuits d'insomnies...Je me suis retrouvé, en plongeant dans sa noire lucidité, à quelques moments de mon éphémère existence quand l'écriture agissait aussi comme une thérapie. Mais, le talent sans doute m'a manqué pour un tel essai et je me suis contenté de romancer mes souffrances ; à moins qu'il ne faille descendre plus profond dans les abysses de son âme... J'ai aimé et suis curieux de découvrir le travail de cet auteur à d'autres périodes et mesurer peut-être, si les expériences, la maturité ou la sagesse ont influencer et faire évoluer sa pensée.
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Aveux et anathèmes

Emil Cioran ( 1911-1995) est un écrivain et philosophe roumain. Il a fait des études de philosophie dans son pays. Il a fait une thèse sur Bergson. Il a été influencé par Nietzsche et le philosophe allemand Schopenhauer et par d'autres tels Kant...etc.

Aveux et anathèmes est un recueil d'aphorismes. Cioran est un philosophe obsédé par la question de la mort , de la souffrance. Il s'agit d'un penseur nihiliste. Il s'agit d'un sujet dépressif souffrant de neurasthénie ,de crises de mélancolie et de pulsions suicidaires.

La lecture de ce livre est un peu déstabilisante .
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Bréviaire des vaincus

Comme il pleuvait depuis 2 semaines en Bretagne (entre les éclaircies) , j'ai pensé qu'une lecture revigorante occuperait les journées d'intérieur...



En lisant les premières pages, je m'aperçois que Cioran, même jeune, est d'un pessimisme rare. Des nuages noirs m'auraient donc suivi jusqu'à mon abri?



Ce qu'il écrit ferait déprimer une mouette rieuse pendant la saison des amours.



C'est sans espoir. Mais cette pensée mortuaire est ornée des plus belles pages de poésie. Et c'est avec en plus quelques aphorismes bien venus qu'il expose ses pensées.



Aucune religion n'échappe à son glaive (Ah intéressant!), il insulte même sa Roumanie natale, mais la décadence de Rome, la poésie et la violence des côtes bretonnes trouvent grâce à ses yeux et la musique- le largo du Concerto pour deux violons de Bach- l'a rendu souvent à la vie:





"Car il y a dans ce largo un attendrissement du néant dont le frémissement atteint la perfection".



Oui, finalement Cioran met si bien des mots sur les maux que l'on peut y revenir, parfois.











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Sur les cimes du désespoir

De la lassitude à l’exaltation, de la critique au lyrisme, du dégoût à la passion, Emil Cioran parcourt toutes les contradictions qui le constituent et que ses veilles nocturnes ont révélé, pareilles aux éclairs de lucidité de l’homme illuminé. S’il a pu gravir les Cimes du désespoir plutôt que de mener l’existence plus classique d’un étudiant parisien planchant sur des thèses et se limitant aux digressions intellectuelles en trois parties -thèse– antithèse, synthèse-, Emil Cioran le doit à sa maladie : l’insomnie. Peu importe que personne ne considère vraiment cela comme un mal. La maladie a des charmes captieux qu’il suffit de désirer ne serait-ce que partiellement pour en être touché.





« Il n’est personne qui, après avoir triomphé de la douleur ou de la maladie, n’éprouve, au fond de son âme, un regret –si vague, si pâle soit-il. […] Lorsque la douleur fait partie intégrante de l’être, son dépassement suscite nécessairement le regret, comme d’une chose disparue. Ce que j’ai de meilleur en moi, tout comme ce que j’ai perdu, c’est à la souffrance que je le dois. Aussi ne peut-on ni l’aimer ni la condamner. J’ai pour elle un sentiment particulier, difficile à définir, mais qui a le charme et l’attrait d’une lumière crépusculaire. »





L’activité d’écriture d’Emil Cioran apparaît alors comme un moyen de dépasser ses terribles insomnies qui l’écartèrent de toute existence conventionnelle et lui firent connaître les nuits solitaires ou marginales de Paris. Le dépassement de cet état maladif constitue une attitude que Nietzsche n’aurait pas reniée et pourtant, Emil Cioran s’écarte des conclusions de son prédécesseur et choisit de ne pas exalter la puissance pure mais sa forme désenchantée : la mélancolie.





« Les éléments esthétiques de la mélancolie enveloppent les virtualités d’une harmonie future que n’offre pas la tristesse organique. Celle-ci aboutit nécessairement à l’irréparable, tandis que la mélancolie s’ouvre sur le rêve et la grâce. »





Emil Cioran reste trop humain en acceptant ses fléchissements. S’il est probable que Nietzsche ait connu une apathie aussi virulente que lui, son combat contre les sentiments compassionnels lui aura refusé d’en relater le moindre récit personnel. Emil Cioran ne revendique quant à lui aucune volonté de la sorte. En dehors de lui-même, le mal et le bien n’existent pas. Ne sont réelles que les luttes contradictoires qui se mènent dans son âme à la fois exaltée et fatiguée. Les paragraphes courts font s’alterner des voix qui ne semblent pas toujours émaner du même individu, si le goût pour la transcendance désenchantée de leur auteur ne constituait pas le refrain lancinant de leurs variations. Emil Cioran reconnaît une apathie des plus funestes, traduisant l’intérieur d’un homme dévitalisé –malade de l’insomnie, et malade de la refuser.





« En ce moment, je ne crois en rien du tout et je n’ai nul espoir. Tout ce qui fait le charme de la vie me paraît vide de sens. Je n’ai ni le sentiment du passé ni celui de l’avenir ; le présent ne me semble que poison. Je ne sais pas si je suis désespéré, car l’absence de tout espoir n’est pas forcément le désespoir. »





Il reconnaît aussi le vertige qui saisit l’homme enivré de son ascension, celui qui, ayant dépassé la plupart des autres hommes dans un parcours de solitude et de désespoir, se rend compte que abîmes menaçants qui l’entouraient n’avaient jamais été une menace pour son âme invincible.





« Je ressens en ce moment un impérieux besoin de crier, de pousser un hurlement qui épouvante l’univers. Je sens monter en moi un grondement sans précédent, et je me demande pourquoi il n’explose pas, pour anéantir ce monde, que j’engloutirais dans mon néant. Je me sens l’être le plus terrible qui ait jamais existé dans l’histoire, une brute apocalyptique débordant de flammes et de ténèbres. »





Peu importe que ces deux attitudes s’excluent -excepté dans le caractère extrême de leurs descriptions- car elles ne convaincront peut-être pas qui refuse le chaos en soi, mais sauront faire abdiquer celui qui accepte de le connaître ou celui qui l’a déjà connu.





« Ceux qui n’ont que peu d’états d’âme et ignorent l’expérience des confins ne peuvent se contredire, puisque leurs tendances réduites ne sauraient s’opposer. Ceux qui, au contraire, ressentent intensément la haine, le désespoir, le chaos, le néant ou l’amour, que chaque expérience consume et précipite vers la mort ; ceux qui ne peuvent respirer en dehors des cimes et qui sont toujours seuls, à plus forte raison lorsqu’ils sont entourés –comment pourraient-ils suivre une évolution linéaire ou se cristalliser en système ? »





Nietzsche craignait d’exalter la fatigue vitale en relâchant l’autorité qui cadenassait en lui tout instinct compassionnel ; Emil Cioran, au contraire, reconnaît cette pitié comme un tendre laxisme qui redonne de la confiance à une âme que la fatigue ne se permettrait de toute façon jamais d’épargner. La fougue au charme captieux d’Emil Cioran semble alors le souffle épique qui accompagne et enchante celui qui se dirige vers les Cimes du désespoir.





« Comment oserait-on encore parler de la vie lorsqu’on l’a anéantie en soi ? J’ai plus d’estime pour l’individu aux désirs contrariés, malheureux en amour et désespérés, que pour le sage impassible et orgueilleux. »


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De l'inconvénient d'être né

Ces aphorismes de l'auteur noircissent (c'est vraiment le verbe qu'il faut employer) plus de 240 pages. C'est bien trop ou bien trop peu, pourquoi s'arrêter en chemin? Emil Cioran pouvait d'épancher bien plus longtemps encore. Personne n'en finit jamais avec ses états d'âme.

J'ai relevé certaines citations. Cioran est pessimiste et je le trouve volontiers provocateur, mais ce qui m'inquiète un peu aussi, lorsque je considère le monde contemporain, c'est qu'il me semble assez visionnaire aussi!

J'ai lu. J'ai vu. C'est suffisant, je n'ai pas envie de m'attarder sur ces questions, ni d'en relire des passages. Je m'interroge maintenant sur Emil Cioran, au point de songer à découvrir sa biographie. Quel type d'homme était-il vraiment, ne voulait-il pas duper son lecteur, en forçant volontairement le trait? Ne maniait-il pas volontiers l'humour noir? Je ne le perçois pas comme un homme vraiment crédible lorsqu'il évoque la mort, le néant.
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De l'inconvénient d'être né

Une obscure force intérieure me pousse à continuer de lire Cioran. J'y trouve de quoi satisfaire mon pessimisme indécrottable. Même si parfois, j'aimerais voir les choses autrement, si parfois même, je crois très fort en l'Humain, et presque en Dieu, contrairement à lui. C'est selon !

Avec ce énième opus, Cioran répète inlassablement son mal de vivre, sa haine envers lui-même et les autres Sapiens. Attention, toutefois, avec les aphorismes, qui permettent de dire beaucoup sans devoir expliquer. Ce n'est plus que de l'émotionnel, du ressenti. J'ai lu ce livre, parfois en diagonale, parfois, en m'arrêtant sur telle ou telle assertion, mais toujours en me disant, qu'il a déjà exprimé ça ailleurs. Donc rien de nouveau.

Cioran devient pour moi, comme un excellent plat, dont on se ressert, et dont on finit par abuser et finalement ne plus en apprécier la saveur. Ça devient uniquement de l'addiction.

C'est décidé, j'arrête avec Cioran.
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Cahiers, 1957-1972

Cioran, ce pessimiste, lucide, désabusé, contradictoire, victime de son tempérament, de ses humeurs en dents de scie, ce raté de l'absolu cherchant un point fixe, une terre ferme dans le marais du scepticisme, cet ironiste par nécessité, ce solitaire. Cioran, un des écrivains qui me parle le plus.



Nous lisons le plus souvent les écrivains dont nous nous sentons proches. Ce sont les ressemblances que nous cherchons, que nous aimons, amour-propre et solitude obligent. Mais une des fonctions de la littérature — et pour moi peut-être sa fonction la plus profonde — est la découverte de ce qui est justement différent de nous même, d'une autre singularité que la nôtre, tout aussi irréductible et unique. Par la littérature, nous pensons connaître et comprendre ce qui nous est étranger. Bien sur, c'est d'une certaine manière un leurre : chaque individu est au fond irrémédiablement insaisissable, seul. Il n'empêche : par elle, nous pouvons approcher de la vérité d'un être.



Quand je lis Cioran, c'est presque comme si je discutais avec un vieil ami : je commente, l'approuve ou le désapprouve, l'admire, me moque, l'engueule, ris ou compatis. Je suis de plein-pied avec lui, même si certains pans de sa personnalité me sont assez étrangers, notamment son côté masochiste, excessif, frénétique, exprimé dans un style pourtant classique, clair, un peu poseur romantique parfois bien que sincère.



Ces cahiers sont un mélange de pensées, d'impressions, d'observations, de souvenirs parfois, de journal intime, d'anecdotes, de notes de lecture, etc. Les lire, c'est moins comprendre des idées — encore moins un système — que découvrir une sorte de métaphysique émotionnelle, une philosophie pointilliste qui par petites touches peint un rapport singulier au monde, à la vie, au fait même d'exister. Cette vie intérieure, si riche, et subtile malgré sa radicalité, ne plaira pas à tout le monde : trop particulière, trop à rebours du temps présent ou plutôt en-dehors du monde. Et c'est justement ce pourquoi Cioran restera : il est atemporel.
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Sur les cimes du désespoir

Un livre de jeunesse, écrit par un homme qui semble avoir vraiment de gros problèmes existentiels. Je n'adhère pas à tout, mais certains passages m'ont beaucoup parlé. Un livre à déconseiller aux personnes un peu déprimées naturellement... mais à conserver sous le coude, pour en relire des chapitres de temps en temps.
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Aveux et anathèmes

J'ai parcouru une nouvelle fois ce recueil d'aphorismes. J'y retrouve, sous une bonne couche d'humour, tout le mal que Cioran pense de l'espèce humaine. Mais je dois dire que j'adhère de moins en moins à son point de vue et toutes ces assertions redondantes finissent par me fatiguer. Certains aphorismes se démarquent mais la majeure partie me semblent uniquement écrits pour la provocation. Certes, Cioran sait manier la plume mais je peine de plus en plus à le lire. Je n'ai pas retrouvé mon enthousiasme des premières lectures. A moins que ce soit moi qui ai changé de perspective. La perception d'un livre reste pour moi indissociable de mon état d'âme du moment.
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Histoire et utopie

Cioran n’aime pas du tout les utopies, qu’il considère comme stupides : la nature humaine étant ce qu’elle est, la société ne peut guère être autrement.

Le pessimisme de Cioran n’est manifestement pas surfait. Rien n’est sûr, grosso modo, à part la mort et le vice.

La principale caractéristique des utopies est de créer des êtres-marionnettes, incapables de la moindre réflexion et dépourvus du plus petit trait psychologique.

Cependant, le scepticisme de Cioran n’est pas intégral ; il accorde tout de même un léger avantage à la société capitaliste.
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Le crépuscule des pensées

Le Crépuscule des Pensées qui n'aurait pas eu à rougir de se voir sous-titré "Temps et Paradoxe" est un petit diamant taillé au millimètre par ce joailler nihiliste mais néanmoins génial de Cioran.

On retrouve dans cet ouvrage la didactique qui a fait – entre autre – la grandeur du penseur roumain : les aphorismes. Ce qu'il faudrait de trois copies doubles à tout être humain normalement intelligent pour présenter, étayer et justifier sa pensée ne prend que quelques lignes à Cioran pour un résultat frôlant la perfection, l'atteignant même parfois. En une dizaine de mots, tout est dit et bien dit.



Cioran philosophe ? Ou plutôt anti-philosophe tant il prend à contre pied l'essence même de la philosophie : pensée ordonnée, réfléchie et – c'est le minimum – raisonnée, quand le grand essayiste ne jure que par l'absurde (absurdité du monde, de la vie, de la condition humaine... de tout quoi), absurde fièvre du renoncement, à la vie, à Dieu. N'ayant d'autres choix sérieux que l'athéisme, Cioran y voit une défaite de l'humain, une de plus, car pour lui ce n'est pas Dieu qui n'est plus, c'est l'Homme.

Sur l'Eden perdu, l'impossibilité de la vie, la mélancolie et l'absurdité du temps qui fuit et contre lequel nul ne peut rien, Cioran nous concocte avec le Crépuscule des Pensées sa recette favorite dans un ouvrage qu'Eugen Simion qualifie de « classique du Désespoir ». A titre personnel, je l'aurais plus ressenti ainsi à la lecture de Sur les Cimes du Désespoir et de l'Inconvénient d'être né, mais allez va pour celui-là aussi qui comme tout le reste n'est finalement pas plus riant.



Alors bien sûr, c'est sombre, mélancolique, pessimiste mais on sait à quoi s'attendre quand on ouvre un Cioran, et puis, paradoxe qui ne lui aurait pas déplu, cette écriture percutante est tellement brillante, remarquable et sublime, comment refuser l'obole d'une telle réflexion ?



Pervers, maniaques, masochistes, pas les épithètes qui manquent quand il s'agit de qualifier les admirateurs de Cioran, eh bien, soit, nous sommes tout cela (et plus encore) et décidément, qu'est-ce que c'est bon !

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De l'inconvénient d'être né

Cioran m'était inconnu il y a encore quelques semaines -j'ai constaté son existence en parcourant du regard les quelques volumes de La Pléiade disponibles en librairie, bien peu de choses. Mais au détour de quelques lectures, j'ai vu son nom mentionné, je me renseigne un peu, je vois qu'il est philosophe... qu'il a fait le choix d'écrire en Français... qu'il est influencé par des pensées qui me sont chères... A partir de là, je me demande comment est-il possible de ne pas l'avoir encore lu, dans la mesure où toutes ces données font partie de celles qui m'intéressent.

Je me suis donc rapidement procuré ce qui me semble être son ouvrage, si ce n'est le meilleur, au moins son plus connu, De l'inconvénient d'être né.





Pour la discipline qu'est la philosophie, le format étonne : des aphorismes qui dépassent rarement les cinq lignes, comment développer une pensée aboutie en si peu de caractères ? C'est là je pense quelque chose d'impossible -certes, les ouvrages de Nietzsche sont la plupart aphoristiques, mais ceux-ci sont plus longs, et il a également écrit La généalogie de la morale ainsi que Zarathoustra-, et Cioran n'en a que faire de présenter une pensée aboutie. En résulte une pensée fragmentée, il semble écrire vraiment comme cela lui vient, ce qui révèle une certaine fraîcheur -bien loin des thèmes qu'il aborde et de la façon dont il nous en parle. Mais, également, et c'est la contrepartie, un certains fouillis, des idées sont abordées, disparaissent pour reparaître plus tard, sans aucun lien a priori, c'est un choix.

Pour ce qui est des aphorismes en eux même, certains sont drôles, d'autres déprimants, d'autres encore exposent une cruelle réalité, mais tous ou presque ont leur intérêt, la lecture se fait très facilement et l'on est bien loin de l'essai classique. Mais la dominante est bien la mort, tout ça est très noir, c'est dans un univers sombre et sans espoir que nous entraîne Cioran, étrangement, ce n'est pas l'influence que cette lecture a eu sur mon état d'esprit. C'est le genre de livres que je découvrirais avec plaisir en cas de période de "déprime", car cette inutilité apparente de la vie, hurlée à chaque aphorisme avec un talent certain, loin d'agir comme des liens me tirant vers le bas, semble au contraire créer chez moi un réel soulagement, une légèreté grandissante. Comme si, de voir ainsi formulées toutes nos idées noires, permettait de les évacuer ; il s'agit là bien évidemment de mon ressenti, il est aussi très probable que face à ces textes, un autre caractère se trouve abattu.

Le style était très important pour Cioran, il est évidemment présent en tant que moyen d'expression, mais également en tant que cible de ce moyen, c'est-à-dire qu'il nous en parle, qu'il lui arrive de nous révéler quelques bribes de ce qu'il considère comme le "beau style". Il est en tout cas indéniable qu'un certain raffinement ressort de sa façon d'exprimer ses pensées -aussi noires et peu raffinées soit ces dernières.

Mais la question qui, dans mon esprit, a résulté de cette lecture est : peut-on réellement le considérer en philosophe ? En effet, cet homme est érudit, c'est incontestable, il est clair que la philosophie occupe une grande part de sa vie et qu'il en a énormément lu, mais ce n'est pas ce qui fait de nous un philosophe ou en tout cas, ce n'est pas ce qui permet de revendiquer ce statut en tant qu'écrivain. Il reprend les thèses de beaucoup de ses prédécesseurs, parfois en les citant, parfois implicitement, mais jamais il ne développe réellement une pensée, jamais il n'essaie de convaincre -à quoi sert de convaincre quand tout est vain ? répondrait-il-, et pour cause, ce format aphoristique bien peu adapté à ces exigences. Ma réflexion se faisant, j'en suis venu tout de même à constater que chacun de ces "fragments de pensées" faisait réfléchir, et n'est-ce pas là le propre du philosophe, de faire réfléchir ? Sans doute que cette définition ne saurait englober la totalité de la discipline, mais elle me semble convenir en l’occurrence. Cioran est bien un philosophe.







C'était donc le premier ouvrage de cet auteur que je découvrais, mais ce ne sera certainement pas le dernier. La lecture se faisant très facilement et ne nécessitant pas une attention de tous les instants comme la plupart des autres essais, c'est une détente -qui reste très réfléchie- bien agréable. Un livre philosophique n'exigeant pas de grandes connaissances en la matière pour être apprécié, mais un livre philosophique tout de même. Ma découverte est amorcée et son achèvement n'aura sans doute jamais lieu.
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