Citations de Emmanuel Levinas (188)
Autrui n’est pas Dieu. Il ne joue point le rôle de médiateur. Autrui n’est pas l’incarnation de Dieu, mais précisément par son visage, où il est désincarné, la manifestation de la hauteur où Dieu se révèle.
Cette expérience absolue dans le face à face où l’interlocuteur se présente comme l’être absolu (c’est-à-dire comme l’être soustrait aux catégories), ne serait pas concevable pour Platon sans l’entremise des Idées.
Grâce à la dimension de l’intériorité, l’être se refuse au concept et résiste à la totalisation.
Si l’ontologie –compréhension, embrassement de l’être- est impossible, […] c’est parce que la compréhension de l’être en général ne peut pas dominer la relation avec Autrui.
La responsabilité est ce qui exclusivement m’incombe et que, humainement, je ne peux refuser. [...] Je suis moi dans la seule mesure où je suis responsable.
"Éthique et infini"
En rattachant la solitude à la matérialité du sujet, la matérialité étant son enchaînement à soi-même, nous pouvons comprendre dans quel sens le monde et notre existence dans le monde constituent une démarche fondamentale du sujet pour surmonter le poids qu'il est à lui-même, pour surmonter sa matérialité, c'est-à-dire pour dénouer le lien entre le soi et le moi.
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(Leçon talmudique) : "Que signifie : 'Louez l'Eternel, vous tous les peuples...' (Ps117-1) ? Les peuples de l'univers, qu'ont-ils à y faire ? Voici ce que le texte veut dire : Louez l'Eternel, vous, tous les peuples, pour la puissance et les merveilles qu'Il a manifestées (à la sortie d'Egypte et à travers l'histoire) en votre présence. A plus forte raison nous-mêmes, 'puisque c'est en notre faveur que Sa grâce a été puissante'." (Talmud, Pessah'im 118b)
... Sagesse qui va certainement au-delà du sermon. Elle nous enseigne une merveille du coeur humain : les nations louent Dieu d'une bonté qu'Il eut pour Israël à travers l'histoire sainte, sont capables de ressentir comme une grâce leur condition de simple témoin de cette bonté, d'en rendre témoignage par des chants de gratitude.
L’irréversibilité ne signifie pas seulement que le Même va vers l’Autre, autrement que l’Autre ne va vers le Même. Cette éventualité n’entre pas en ligne de compte: la séparation radicale entre le Même et l’Autre signifie précisément qu’il est impossible de se placer en dehors de la corrélation du Même et de l’Autre pour enregistrer la correspondance ou la non-correspondance de cet aller à ce retour. Sinon, le Même et l’Autre se trouveraient réunis sous un regard commun et la distance absolue qui les sépare serait comblée.
La relation à l'infini n'est pas un savoir mais un désir.Le désir ne peut être satisfait, il se nourrit de ses propres faims et s'augmente de sa satisfaction. Le désir est comme une pensée qui pense plus qu'elle ne pense ou plus que ce qu'elle pens.
Le désir métaphysique est comme la bonté-le Désiré ne le comble pas mais le creuse.
dans n’importe quel processus, ce que nous baptisons origine est à l’ordinaire son point d’aboutissement
L'accès au visage est d'emblée éthique. (...)
Le visage est ce qu'on ne peut tuer, ou du moins ce dont le sens consiste à dire : "Tu ne tueras point."
Le fait d'être est ce qu'il y a de plus privé ; l'existence est la seule chose que je ne puisse communiquer ; je peux la raconter, mais je ne peux partager mon existence. La solitude apparaît donc ici comme l'isolement qui marque l'événement même d'être.
La lucidité ne consiste-t-elle pas à entrevoir la possibilité permanente de la guerre ?
Si je ne suis pas extérieur à l’histoire par moi-même, je trouve en autrui un point, par rapport à l’histoire […] en parlant avec lui […] Quand l’homme aborde vraiment autrui, il est arraché à l’histoire.
L'état de guerre suspend la morale; il dépouille les institutions et les obligations éternelles de leur éternité et, dès lors, annule, dans le provisoire, les inconditionnels impératifs. Il projette d'avance son ombre sur les actes des hommes.
Aux Atrides qui se débattent sous l'étreinte d'un passé, le christianisme oppose un drame mystique. La Croix affranchit ; et par l'Eucharistie qui triomphe du temps cet affranchissement est de chaque jour. Le salut que le christianisme veut apporter vaut par la promesse de recommencer le définitif que l'écoulement des instants accomplit, de dépasser la contradiction absolue d'un passé subordonné au présent, d'un passé toujours en cause, toujours remis en question.
Par là, il proclame la liberté, par là il la rend possible dans toute sa plénitude. Non seulement le choix de la destinée est libre. Le choix accompli ne devient pas une chaîne. L'homme conserve la possibilité – surnaturelle, certes, mais saisissable, mais concrète – de résilier le contrat par lequel il s'est librement engagé. Il peut recouvrer à chaque instant sa nudité des premiers jours de la création. La reconquête n'est pas facile. Elle peut échouer. Elle n'est pas l'effet du capricieux décret d'une volonté placée dans un monde arbitraire. Mais la profondeur de l'effort exigé ne mesure que la gravité de l'obstacle et souligne l'originalité de l'ordre nouveau promis et réalisé qui triomphe en déchirant les couches profondes de l'existence naturelle.
Cette liberté infinie à l'égard de tout attachement par laquelle, en somme, aucun attachement n'est définitif, est à la base de la notion chrétienne de l'âme. Tout en demeurant la réalité suprêmement concrète, exprimant le fond dernier de l'individu, elle a l'austère pureté d'un souffle transcendant. À travers les vicissitudes de l'histoire réelle du monde, le pouvoir du renouvellement donne à l'âme comme une nature nouménale, à l'abri des atteintes d'un monde où cependant l'homme concret est installé. Le paradoxe n'est qu'apparent. Le détachement de l'âme n'est pas une abstraction, mais un pouvoir concret et positif de se détacher, de s'abstraire. La dignité égale de toutes les âmes, indépendamment de la condition matérielle ou sociale des personnes, ne découle pas d'une théorie qui affirmerait sous les différences individuelles une analogie de "constitution psychologique". Elle est due au pouvoir donné à l'âme de se libérer de ce qui a été, de tout ce qui l'a liée, de tout ce qui l'a engagée – pour retrouver sa virginité première.
Le problème de l'Homme-Dieu comporte, d'une part, l'idée d'une humiliation que s'inflige l'Être suprême, d'une descente du Créateur au niveau de la Créature, c'est-à-dire d'une absorption dans la Passivité la plus passive de l'activité la plus active.
Le problème comporte, d'autre part, et comme se produisant de par cette passivité poussée dans la Passion à sa dernière limite, l'idée d'expiation pour les autres, c'est-à-dire d'une substitution : l'identique par excellence, ce qui est non interchangeable, ce qui est l'unique par excellence, serait la substitution elle-même.
Dans le courage, en acceptant la mort, la volonté trouve son indépendance totale. Celui qui a accepté la mort se refuse jusqu'au bout à une volonté étrangère. Sauf si autrui veut cette mort même. L'acceptation de la mort ne permet donc pas de résister à coup sûr à la volonté meurtrière d'autrui. Le désaccord absolu avec une volonté étrangère n'exclut pas l'accomplissement de ses desseins. Le refus de l'autre, le vouloir décidé à la mort interrompant toute relation avec l'extérieur, ne peut empêcher que son œuvre ne s'inscrive dans cette comptabilité étrangère que la volonté défie et reconnaît par son suprême courage. La volonté, même dans le cas extrême où elle se résout à la mort, s'inscrit aussi dans les desseins d'une volonté étrangère. La volonté, par son résultat, se trouve à la merci d'une volonté étrangère.