Ezra POUND Un périple américain (DOCUMENTAIRE, 1985)
Un documentaire réalisé par Lawrence Pitkethly en 1985. Traduction : Adrien Nicodème (narrateur et intervenants) ; Jacques Darras, Ghislain Sartoris, Michèle Pinson, Alain Suied, Yves di Manno et Denis Roche (poèmes). Avec la présence de : Olga Rudge, James Laughlin, Alfred Kazin, Mary de Rachewiltz, Basil Bunting, Hugh Kenner, Giuseppe Bacigalupo, John Drummond, Rolando Monti et John Gruesen.
Un homme ne comprend pas un livre profond avant d'avoir vu et vécu au moins une partie de ce qu'il contient.
Et les jours ne sont pas assez remplis
Et les nuits ne sont pas assez remplies
Et la vie s’enfuit comme une musaraigne
Sans froisser l’herbe…
Aujourd’hui, l’Occident tout entier se baigne dans un égout mental, parce que le « journal du matin » tiré à dix millions d’exemplaires est chargé d’éveiller chaque jour le cerveau des occidentaux.
Il y a deux idéaux esthétiques : le wagnérien, qui n’est pas d’une nature différente de celui de la foire de Neuilly, c.-à-d. que vous étourdissez le spectateur en fouettant le plus souvent possible le plus grand nombre possible de ses sens, ce qui l’empêche de percevoir quoi que ce soit avec une lucidité inhabituelle ; mais vous pouvez l’agiter ou l’exciter jusqu’à le rendre réceptif, C ;-à-d. que vous pouvez lui filer une émotion, ou vous pouvez lui vendre une poupée de caoutchouc ou un nouveau truc de bricoleur pendant le tohu-bohu.
L’autre esthétique a été approuvée par Brancusi, Lewis, les manifestes vorticistes ; elle vise à focaliser l’esprit sur une définition donnée de la forme, si intensément qu’il devient non seulement plus conscient de cette forme, mais aussi plus sensible à toutes les autres formes, à tous les autres rythmes, plans définis, ou masses.
En silence vint mon amie, sous la paisible nuit.
Discours, mots, pouah ! qui parle de mots, d’amour ?!
Brûlant est cet amour, silencieux,
Silencieux comme la mort, aussi fort, jusqu’à ce qu’il
Meure de prendre tout, de donner tout.
C’est sûrement à l’époque rampante de l’usure et de l’usurocratie que la littérature fut rabaissée au rang de belles-lettres et sa substance réduite aux titillations de l’individu.
Je commence à être ennuyé par les Américains qui me disent que le jazz est la musique de l’avenir. De jeunes compositeurs prodiges du jazz américain classique écrivent dans une mesure à 4/4 d’un bout à l’autre. Mon dieu, les noirs d’Afrique ont laissé loin derrière eux les Américains pour tout ce qui est effet musical ou rythmique. Les blancs d’Amérique doivent avoir une mauvaise influence sur leurs noirs, ne croyez-vous pas ?
Rien n’existe qui ne soit en rapport avec le passé et l’avenir. Le monde actuel n’est que fusion, arc dans le temps. Mais, je le répète : désormais je ne sais plus rien. Je suis arrivé trop tard à l’incertitude suprême.
Le vrai problème avec la guerre, c'est qu'elle ne donne à personne l'occasion de tuer les gens qu'il faudrait.
Les yeux d’une morte
M’ont salué,
Enchâssés dans un visage stupide
Dont tous les autres traits étaient banals,
Ils m’ont salué
Et alors je vis bien des choses
Au-dedans de ma mémoire
Remuer,
S’éveiller.
Je vis des canards sur le bord d’un lac minuscule,
Auprès d’un petit enfant gai, bossu.