"I have tried to write Paradise
Do not move
Let the wind speak
that is paradise
Let the Gods forgive what I
have made
Let those I love try to forgive
What I have made."
Je pense à toi, sombre ombre d'
Ezra Pound. Où te trouves-tu, maintenant ? Dans l'Enfer de
Dante, faisant un tour de hula hoop (la barbe et les cheveux dans le vent glacial) avec chacun de ses "cercles" ? Dans le Purgatoire (car tes convictions n'étaient pas toujours irréprochables), ou t'as enfin atteint ton Paradis ?
Pas facile, de parler de tes "Cantos" - c'est une hydre poétique - on coupe une tête, et d'autres repoussent aussitôt... et si on te demande les explications, tu ris et tu nous envoies au diable...
Ce qui est un savant fou à la science, Pound l'est à la poésie moderne. Il a consacré la moitié de sa vie à la rédaction des "Cantos", sans jamais pouvoir les achever vraiment. Son but ?
Une partie de l'histoire du monde est déjà symboliquement représentée par la "Divine comédie" de
Dante. Tout ce qui manque va se trouver, donc, dans les "Cantos" - circa 120 "chants" (à l'instar de
Dante); les histoires plus ou moins unifiées, les observations, mémoires, exhortations, rêveries...
Et je crois aussi que c'est destiné à être lu à voix haute - pour toute la peine qu'il s'est donné à reprendre la métrique anglo-saxonne, provençale; les auteurs "classiques". Pour le "clash des consonances" des langues (anglais, français, italien, latin, grec, chinois...).
C'est monumental. C'est brillant !
C'est un salmigondis décourageant et incompréhensible !
Mais Pound était spécial. Extrêmement érudit, tout en minimisant l'érudition. En lamentation constante sur l'insuffisance culturelle, notamment en Amérique. Sympathisant avec les futuristes italiens et Mussolini. Souffrant de troubles bi-polaires; enfermé pour haute trahison et libéré pour "manque de jugeote", pour ainsi dire.
Son influence est immense. Eliot, Yeats, W.C.
Williams, Joyce,
Hemingway - en passant par la "beat generation" - pour aboutir dans le folk de Dylan, et peut-être aussi dans le rock et le punk contestataire dans "USURA".
Mais si on veut vraiment rentrer dans ce "ramassis" ("ragbag", comme il disait lui-même), il faut peut-être devenir un peu Pound et accepter une sorte de folie...
Comment définir l'ensemble aussi hétéroclite qui forment les "Cantos" ?
Imaginez une vieille maîtresse de travaux d'aiguille, qui a l'habitude de se consacrer au patchwork. Et un jour, elle se dit que tous les ouvrages qu'elle a fait, ou qu'elle a pu voir jusque là ne suffisent plus - trop plats, artistiquement étriqués, sans couleur, ou au contraire aux couleurs trop criardes - bref, sans portée et sans fondement.
Et une idée (folle ?) lui vient de créer, en quelque sorte, un ouvrage ABSOLU et UNIVERSEL, un summum de tout ce qui existe en la matière. le reflet de l'histoire du monde en patchwork...
Que faut-il pour se lancer dans une telle entreprise ?
Primo - beaucoup de connaissances. Pour le choix des tissus et pour ce que ce choix exprime. Des vieux chiffons récupérés dans les malles ferrées de monastères anglo-saxons, lavés et repassés. Les manches de chemises de troubadours provençaux. Les morceaux de brocart (pas si brillants que ça) datant de la renaissance italienne. Les petites chutes de lin écru, venant du fin fond des âges - peut-être même de la voile du bateau d'Ulysse. de la soie chinoise - sauvage où peignée ? Les deux !
Les morceaux abîmés, imbibés de sang ( et bien d'autres liquides corporels). Les mouchoirs, les pansements usagés, les tissus brodés...
Secundo - beaucoup de temps et de patience. Cousu ensemble des années durant, retravaillé sans cesse, pour aboutir enfin à un patchwork difficilement comparable aux autres.
Peu de gens s'arrêtent devant pour le contempler, mais ceux qui se donnent cette peine en ont le souffle coupé, et ils essayent désespérément de saisir le sens de tel-quel morceau.
Cousu d'un fil lâche, magnifique d'un côté; mais si on le retourne pour voir de près comment c'est fait, on tombe sur un monstrueux enchevêtrement de fils qui dépassent dans tous les sens. Et si on commence à tirer dessus, on en ressort tellement d'autres que cela peut nous occuper pour le reste de la vie !
A vrai dire, après un coup d'oeil rapide à la face cachée, je me suis contentée d'admirer le devant.
J'en ai saisi le message, je crois... mais pour aller plus en profondeur, le courage me manque. Face à Pound, je me sens....helpless.
J'ai passé une bonne partie d'hiver avec ce recueil...
....Summer is ycomen in
Loude sing I... goddam !
Je ne m'en sors pas indemne !