Vous connaissez évidemment les coups de coeur de Gérard Collard, de Jean-Edgar Casel et les nouvelles chroniques BD de Thomas !
Nouveauté - Les libraires de la Griffe Noire vous donnent aussi leurs coups de coeur ! Comme si vous entriez dans notre librairie et que vous leur demandiez un conseil de lecture...
Et cette semaine, Inès, qui a rejoint l'équipe il y a quelques semaines, vous parle d' "À pied d'oeuvre", de Franck Courtès.
À découvrir sur lagriffenoire.com
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Il aime ça, la littérature. Pour un peu il me sortirait l'apéritif et les olives. Il veut me la prouver là tout de suite sa culture, avec une chouette liste de lecture, Céline, Proust, Balzac, qu'il faut absolument relire, et Houellebecq à la fin, comme s'il annonçait les stations de métro d'une ligne. Oui, Houellebecq, répète-t-il dans un demi-sourire. C'est son terminus.
Depuis ce jour du mariage, comme chez beaucoup de gens, on ne parlait plus d’amour. On s’aimait, mais on n’en parlait plus. On n’avait pas les mots. On ne le montrait pas non plus. Sans doute parce que ça allait de soi. C’était une évidence, ça avait été signé devant le curé, à la mairie, pas besoin d’y revenir. D’avoir fait la fête pendant deux jours avec les copains, la famille, en costard, d’avoir toutes ces images où on s’embrassait devant cet imbécile de photographe, ce n’était plus la peine de jouer aux amoureux. Tout le monde avait eu la preuve sur papier glacé. Nous avions repris le travail le lendemain et nous n’avions plus reparlé d’amour….. Quand je rentrais le soir du travail, elle m’était devenue aussi familière que la télé ou la table basse du salon : je la retrouvais à sa place.
İl faut laisser les enfants grimper aux arbres ; pour un qui se cassera la figure, neuf verront l’horizon.
Je vais rentrer chez moi sans avoir gagné un sou. A même le trottoir, sur un carton et des linges, une femme en jupe longue et doudoune décolorée tend la main aux passants. Devant elle un gobelet contient quelques pièces que je lui envie un instant. Son regard trop plaintif, sa geignardise toute professionnelle m'agacent. Contre son flanc, d'une couverture sale émerge la tête brune d'un enfant. Son regard est sincère, c'est-à-dire dur, hostile, lourd d'un malheur caché, à l'opposé des lamentations de sa mère. Il regarde le monde avec une haine tranquille, comme n'importe quel exclu devrait le faire.
Ces comédiens qu’on ne connaît qu’en scène, pleins de vies et de drames, et à qui on prête maintes personnalités fallacieuses, il était toujours un peu déconcertant de les découvrir « dans la vraie vie », sans le relief attendu, comme si quelqu’un les avait éteints. Souvent, j’avais l’impression d’avoir en face de moi non pas l’actrice ou l’acteur, mais quelqu’un de tout juste ressemblant.
Je découvrirais au fil des années qu’il est impossible d’obtenir d’une femme ou d’un homme politique quelque chose de vrai, car leur vie entière est consacrée au rôle que leur charge leur impose. Une forme de comédie dicte leur conduite officielle. À leur image intime toujours se substitue leur image publique et, au-delà d’elle, celle d’incarnation d’idées politiques. Je devinais sur ces visages à l’expression contrôlée l’effroyable abnégation, la folle renonciation à leur véritable personnalité, et ce n’était pas sans une certaine pitié que je mettais fin à leur supplice face à mon objectif. Je sentais que mon travail participait de cette dommageable mascarade. Je savais, moi si soucieux de liberté, que je contribuais à les éloigner de la leur.
Construire, chercher quelque chose au-delà d’un revenu était un but. Un chien creusant le sol ne prend-il pas autant de plaisir à gratter la terre qu’à y trouver un os ? Cette forme de bonheur qu’on rencontre dans le travail en lui-même se moque du salaire, elle ne réside pas dans la réussite ou non d’un projet mais dans la satisfaction que procure la quête.
L’industrie agro-alimentaire bouleversait le rapport des paysans à leur terre. Ils exigeaient de celle-ci des rendements que seul l’emploi de produits chimiques pouvait assurer. On lisait moins le ciel et les nuages que les étiquettes des bidons de produits dopants. Le vent, la pluie et le soleil moins craints que le banquier. On ne voulait pas mieux, on voulait plus.
Écrire, c’est un métier où on voit pas l’effort. Surtout au niveau des vêtements.
Souvent, ma véritable identité est un lourd bagage à porter. Je force le photographe que j'étais, l'écrivain que je suis à s'user les genoux dans des salles de bain malpropres, je plonge ses mains dans la crasse des autres, je l'oblige à exécuter des travaux sans rapport avec sa véritable vocation. Comme si l'épanouissement artistique était conditionné à l'acquittement dans la douleur d'une quelconque dette.