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Critiques de François Schuiten (481)
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Les Terres Creuses, tome 1 : Carapaces

Les univers de Schuiten sont toujours aussi fascinants. Il y a véritablement une construction géométrique comme dans Les Cités obscures. Les dessins paraissent réellement de toute beauté.



Ce premier tome des terres creuses est constitué de 4 nouvelles différentes sans aucun lien entre elle. La première s'intitule comme carapace ce qui a donné le titre de l'album. J'ai trouvé qu'il y avait des idées vraiment géniales comme une nouvelle façon de faire l'amour dans un monde dévasté au milieu de ces petits insectes mystérieux.



La seconde nouvelle "la débandade" est réalisée tout en aquarelle ce qui tranche singulièrement avec la précédente d'un point de vue graphique. On voit que les gens et les objets flottent dans l'air comme s'il y avait une espèce d'attraction totalement différente. Les images sont presque des gravures directement inspirées des tableaux du génial peintre Dali.



La troisième nouvelle "crevasse" ressemble à un déjeuner sur herbe pour fêter un mariage. La nature entière semble être un lit pour les jeunes mariés qui vont subir quelques frayeurs souterraines. C'est une expérience presque sensuelle d'un autre monde.



Echantillon est la plus courte des nouvelles. Un cavalier qu'on dirait provenir du Moyen-Age est projeté dans une autre dimension en tombant dans un grand vide...



Et enfin, la dernière nouvelle le tailleur de brune nous plonge dans une ville régit par un système écologique perfectionné et visionnaire. Cependant, il s'agit de lutter non seulement contre ses propres sentiments pour une femme mais également contre la nature avec cette brume mystérieuse.



Bref, on parcourt cette bd comme un rêve éveillé dans un monde merveilleux.
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Autour de Blake & Mortimer : Le dernier Pha..

N'ayant pas relu de "Blake et Mortimer" depuis l'enfance, je ne suis probablement pas la mieux placée pour juger de l'héritage de E. P. Jacobs.

Cependant, ce nouveau tome est dans la lignée des souvenirs que m'ont laissé les originaux. Des mystères, des enjeux internationaux, l'Égypte, des monuments visités de nuit... L'essentiel est là, moins le côté très explicatif et bavard. C'est plutôt un compliment, dans la mesure où je n'ai jamais compris pourquoi Jacobs décrivait ce que l'on voyait dans les cases (d'ailleurs je ne lisais que les dialogues).

Côté scénario, j'ai donc été assez séduite. Même si je ne suis pas sûre que cette histoire de flux à maîtriser pour permettre à une civilisation basée sur la technologie de voir le jour tienne vraiment la route (enfin il est possible que j'ai perdu le fil... Ils s'y sont quand même mis à trois pour écrire le scénario !).

Les dessins ont de quoi déstabiliser car ils sont très éloignés du trait original, mais ils sont magnifiés par la mise en couleur de Laurent Durieux. Si vous ne connaissez pas son travail, je vous invite à chercher ses revisites d'affiches de films. C'est du grand art !
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Autour de Blake & Mortimer : Le dernier Pha..

Une suite très réussie au mystère de la grande pyramide, avec la distance des ans. Les personnages ont vieilli, mais avec l'espoir d'une nouvelle vie. Magnifique exploitation du Palais de Justice de Bruxelles, éternellement en ruines et dissimulé par les échafaudages. Visions utopiques de vies alternatives dans cette région bruxelloise vue comme une île avec des racines profondes dans le souterrain mystérieux du Palais de Justice de Poellaert. Cette architecture merveilleusement rendue par le dessin de François Schuiten ouvre grand les portes de l'imagination (j'y ai fait une visite pour récupérer mon permis de conduire !) qui favorise la suspension d'incrédulité vis-à-vis du scénario solidement construit par quatre comparses, établissant ainsi les conditions d'une lecture jouissive à tout point de vue, et particulièrement dans le format "à l'italienne" tiré à 8000 exemplaires. Grand respect aussi, voire révérence, vis-à-vis de l'esprit de la bande dessinée originale - qui s'inscrit dans la réalité bruxelloise, notamment dans une planche affichée à l'entrée du Vieux Spijtige Duivel, où trônent également des portraits d'exilés comme Victor Hugo et Charles Baudelaire.
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Autour de Blake & Mortimer : Le dernier Pha..

Depuis la mort d’Edgar P. Jacobs, survenue en 1987, et contrairement à Tintin, les aventures de ses deux mythiques personnages (Blake et Mortimer) ont perduré, avec plus ou moins de bonheur.

On saluera la suite des Trois Formules du professeur Satō, orchestrée par Bob de Moor, qui a notamment travaillé aux côtés d’Hergé. Pour les albums suivants, on louera leur fidélité, laquelle les dessert en même temps, de mon point de vue. Car la fidélité excessive bride, en effet, l’imagination.

Mais avec Le Dernier Pharaon, inspiré par la découverte « d’un synopsis de Jacobs qui mettait en scène Olrik, ennemi célèbre de Blake et Mortimer, et le Palais de justice de Bruxelles » (source : France Culture), c’est une tout autre affaire. Nous avons là une grande œuvre de bande dessinée, sous la houlette de François Schuiten (aidé, pour le scénario, par Jaco Van Dormael et Thomas Gunzig, et pour la couleur, remarquable dans cet album, Laurent Durieux), un maître du 9e Art, auquel on doit, en compagnie de Benoît Peeters, la fabuleuse série des Cités obscures.

Après quatre années de travail, le résultat est ahurissant, et l’on n’aurait osé l’espérer.

Ainsi, l’histoire reprend le canevas d’une vieille aventure en deux tomes de Blake et Mortimer : Le Mystère de la Grande Pyramide, avec cette fois un autre décor que l’Égypte ; un décor où l’architecture à une place prépondérante. Ce décor c’est Bruxelles, capitale belge que Schuiten avait déjà hantée de son trait aussi précis que celui d’un graveur. Ainsi, en lisant cet album, quelques-uns se souviendront sûrement avec délectation de l’inoubliable Brüsel, de Peeters et Schuiten.

C’était donc presque une évidence d’y retrouver le monument le plus étrange autant que le plus emblématique (avec le Manneken-Pis, évidemment !) de Bruxelles : le palais de Justice, qui trône au-dessus de la ville comme une ombre surnaturelle. Débauche architecturale de Joseph Poelaert, l’édifice devient le cœur de l’intrigue, une intrigue qui multiplie les clins d’œil aux premières aventures de Blake et Mortimer – lesquels ont bien vieilli –, du temps de leur créateur.

Surtout, Le Dernier Pharaon est une ode à la vie dans ce qu’elle a de plus essentiel, loin du consumérisme ambiant, qui est, à bien y regarder, un suicide programmé de l’humanité. Dans l’air du temps, diront certains, mais si c’est pour refuser la destruction du monde – et, par voie de conséquence, la nôtre –, alors respirons cet air !

En introduction de l’histoire, Schuiten écrit ceci à propos des aventures de Blake et Mortimer : « Leurs images nous reviennent avec la même force qu’à la première lecture, et on ne peut s’empêcher d’y revenir, inlassablement, comme pour percer à jour le secret de leur envoûtement. » Eh bien, l’envoûtement est total dans ce que je n’hésite pas à appeler le plus bel hommage rendu à l’œuvre de Jacobs.

Enfin, l’objet proprement dit est un vrai bonheur…bonheur qui me fait dire que la bande dessinée virtuelle n’est pas prête de détrôner le support papier !



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La Douce

Je suis encore une fois tombée sous le charme de la couverture de cette BD. Elle a de la gueule cette locomotive... En plus à vapeur... Je suis donc assez intriguée, car pour moi les locomotives a vapeur ressemblent plutôt a des espèces d'énormes cylindres avec une cheminée posée à un bout.

Mais à peine le livre ouvert, je suis déjà déçue par le graphisme noir et blanc bien éloigné de la mise en couleur de la couverture.

Après quelques pages, il s'avère que ce que je prenais pour une récit réaliste, est en fait de la science fiction.... Et un peu plus loin je suis même allé jusqu'à le classer en récit post apocalyptique.... Je suis donc bien loin de ce que j'avais imaginé.

Et je ne comprends pas tout.... Certes c'est un joli hommage aux locomotives à vapeur de la fin des années 30, déjà orientée vers la vitesse. Mais je ne suis pas entrée dans le récit, peut être pas assez réaliste pour moi.
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Revoir Paris, tome 2 : La nuit des constell..

J'ai lu cette BD sans savoir qu'il y avait une première partie, et pourtant j'ai pu l'apprécier. Schuiten et Peeters nous font découvrir un Paris futuriste où les vieux bâtiments sont conservés sous un dôme. Les illustrations d'architecture sont comme à leur habitude, sublimes et le héros de l'histoire n'est pas tant Karinh que la ville elle même. Encore un très bon album de ce duo.
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Revoir Paris, tome 2 : La nuit des constell..

un deuxième tome qui ne m'a pas franchement emballée...

Karinh est bien arrivée sur Terre après de longs mois de voyage et cherche à pénétrer dans Paris, ville-musée protégée par un globe. C'est un dénommé Matthias, l'un de ceux qui l'ont interrogée pour connaître ses projets, qui va la suivre et l'aider à retrouver son père.



Ce tome, bien sûr merveilleusement illustré, semble surtout avoir pour but de nous présenter un Paris du futur artificiel, conservé tel quel pour les touristes et vidé de ses habitants. L'intrigue, quant à elle, est pauvre et confuse, comme si elle n'était qu'un prétexte à une débauche d'images.

Les personnages m'ont paru vides, Karînh est presque toujours en petite culotte et Matthias a des traits trop flous pour qu'on puisse bien l'identifier.



Bref, on en a beaucoup parlé, rétrospective, expos et tout, mais j'ai été plutôt déçue. Le premier tome, pourtant, m'avait bien accrochée, dommage!
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Les Cités obscures, Tome 3 : La tour

Elles sont étranges ces cités obscures , familières , fantastiques, ...prophétiques ? de quelles pierres etes vous faites ? de quelles mains etes vous nées ? Dans quel esprit êtes vous rêvées ? qui a tracé vos plans ? Ces plans ont il une réalité ? « La Tour ». Phare ? Tombeau ? Citadelle ? Forteresse ? Utopie ? Aboutissement ? Achèvement ? Mythe ? Enfer ? Dédale...Prison ?

Haut / bas/ ciel /terre/ homme/puits/ âme et dieux ….où se trouvent le repère ?

Ni temps, ni pôle. Quelques grains qui tombent d'une main. Et de l'autre,...comment imaginer ?

Sommes nous les jouets d'un titan , sommes nous des géants ? Colosses ou vermisseaux ?

Les Dessins de François Schuiten sont admirables. Un véritable livre de gravure. Une école à livre ouvert. L'Art est un métier.

Oui les maîtres sont avec eux : Bruegel, Piranèse, Paracelse, Kafka. Et Orson Wells.

Car voilà ici se trouve le dernier rôle d'Orson Wells.

A vous de découvrir ce pourquoi, et ce comment.

Sous les traits de Falstaff , renaît sous la plume de l' homme de l'Art et de ses métiers Giovanni Battista….L'histoire apparaît, elle se dessine. Giovanni Battista… Giovanni Battista Piranesi, graveur et architecte italien du 18 e siècle . « Les prisons imaginaires » , Carceri d'invenzione.

Fabuleux, d'une richesse d'enseignement étourdissant. Marguerite Yourcenar ne s'est pas trompée ( s'est elle d'ailleurs un jour trompée..?) lorsqu'elle observait cette humanité prisonnière : « ces moucherons ne semblent pas s'apercevoir qu'ils côtoient l'abîme. » ,

il y a de cela ce soleil noir sur folie blanche , « L'édifice se suffit; il est à la fois le drame et le décor du drame » écrit elle encore dans « le cerveau noir de Piranèse ».

Quelques siècles plus tard, Schuiten et Peeters nous font dévaler la Tour. Certainement avec raison, « il n'y a aucun avantage à tirer de ce qu'on fait sous le soleil, » Ecclésiaste 1.2. Alors...redescendons.

Strates, sphères, niveaux, où se situe l'homme où peut il trouver sa place où peut il se mettre en marche ? Horizon, échelle, vision, cadre, hauteur, plongée, contre plongée point de fuite, construction tout est perspective. Tout est projection. «  Jamais le soleil ne voit l'ombre » écrivait Léonard de Vinci. L'encre.. la toile.. un jour ...une nuit. Inversion. Ni pair, ni impair, le nombre reste entier. Pas une question de temps, une question d'unité. Question d'amour et de foi en notre humanité. Question d'évélation et non d'ambition.

Bruegel, Piranèse, Paracelse, Kafka, shakespeare , Léonard de Vinci ...Orson Wells.

...Vous ai-je dit que ces cités obscures me laissent penser  ?

Astrid Shriqui Garain

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Les Cités obscures - HS, tome 5 : Souvenirs d..

Je ne suis pas experte en bandes dessinées, ...ni organisées, ni armées. Je ne suis experte en rien d'ailleurs. Alors je déambule, je flâne, je m'arrête, regarde et parfois ...je pousse la porte. Une nouvelle aventure commence. Cette fois ci ce sont les cités obscures qui m'ont attirée.

La petit mite que je suis a parfois un appétit de papillon, ….de nuit surtout.

Les dessins de Schuitten m'ont aimanté. Une coté Bruges la morte, Knokke le zoute. Bords de mer, station lunaire, ... Bref les dessins sont étonnants. le monde d'Aimé, l'enfant unique et principal, par la couleur de ses éclairages de marchand de sable est à la fois terrifiant, vacillant, onirique, surréaliste. Léon Spilliaert, Delvaux, Magritte ne sont pas loin..

 

Souvenirs de l'éternel Présent. Un monde sans mémoire. Une cité perdue, toxique.

Et lorsque l'on sait l'histoire de cet album, du moins sa source son origine on comprend le pourquoi et le comment de sa qualité. «  Ce livre est à bien des égards comme la mémoire d'un film fantôme, les vestiges d'un Taxandria qui ne vit jamais le jour. »

Oui c'est l'histoire d'un rêve, le rêve d'un homme Raoul Servais, un rêve qui devint utopie. Et d'une utopie qui donna naissance à une oeuvre. Rien ne meurt jamais. Rien ne se perd. Tout se retrouve un jour, la mémoire comme les hommes. C'est ça la magie de l'art, du 7e comme du 9 e et de tous autres, la magie de la lumière !

On peut tout remonter ...le courant, le temps , les dessins, les images, les souvenirs.

Alors à présent ? J'espère pourvoir découvrir toutes les autres cités obscures de Schuiten et Peeters.

Alors je marche, je déambule, je flâne, et puis un jour devant un livre je pousserai à nouveau une porte.



à noter : "Le Musée des arts et métiers de paris présente, du 25 octobre 2016 au 26 février 2017, Machines à dessiner, une exposition exceptionnelle, fruit d’une collaboration avec François Schuiten et Benoît Peeters, auteurs des Cités obscures et de Revoir Paris. Pivot de l’exposition, le dessin s’y dévoile comme une activité à la fois technique et poétique, entre précision et imagination."



Astrid Shriqui Garain



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Les Cités obscures, Tome 4 : La route d'Armilia

Schuiten - Les Cités obscures Tome 4 - La route d'Armilia - Schuiten – Peeters



L'histoire, deux adolescents, un garçon et une fille, se retrouvent à bord d'un Zeppelin et partent à la recherche de la cité d'Armilia. Mais les apparences sont quelques fois trompeuses...



Encore une très belle BD de Schuiten et Peeters où l'on se perd autant dans l'histoire que dans les dessins magnifiques. J'ai remarqué quelques clins d’œil aux épisodes précédents. Les couleurs sont douces et agréables. Ce n'est pas une BD classique, en effet quelques pages se présentent comme une BD ordinaire mais la plus grande partie du récit est extraite du journal de Ferdinand, le jeune adolescent. Des pages entières ne sont que texte mais il ne faut pas négliger les dessins qui les entourent.



Vraiment une belle BD et une agréable lecture et une fin surprenante.
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Les cités obscures : La théorie du grain de sable

Ce tome fait suite à La frontière invisible. Il regroupe les 2 parties de l'histoire : La théorie du grain de sable, première époque (2007) + La théorie du grain de sable, deuxième époque (2008), dans un format portrait traditionnel. Chaque page de la présente édition regroupe donc 2 pages, l'une au dessus de l'autre, de l'édition originale à l'italienne.



Sur une passerelle piétonne surplombant un grand espace vert, chemine un homme basané de haute stature, coiffé d'un turban, arborant un riche manteau et une barbe bien fournie. Il croise plusieurs personnes dont Constant Abeels. Le 21 juillet 784 AT (après la Tour), Kristin Antipova peste contre ses enfants : elle est en train de passer l'aspirateur parce qu'il y a du sable partout dans son appartement dans les derniers étages d'un immeuble de grande hauteur. En rentrant chez lui, Constant Abeels retrouve une pierre sur son bureau, apparue mystérieusement sans explication. Maurice (patron du restaurant "Chez Maurice") constate qu'il a perdu 100 grammes après un repas consistant.



Gholam Mortiza Khan arrive enfin à destination, au domicile d'Elsa Autrique, avec qui il parle affaires. Il lui amène des bijoux du Boulachistan pour qu'elle les fasse reproduire par un orfèvre, afin de les vendre. Il accepte de lui confier un étrange bijou (le Nawabi), une prise de guerre que le chef des Moktars portait à son cou.



Quand le lecteur découvre un nouveau tome du cycle des Cités Obscures, il dispose d'une seule certitude, c'est que Benoît Peeters et François Schuiten auront été fidèles à leur credo qui est de ne pas refaire 2 fois la même chose. Première surprise : la couleur du papier qui est beige ou châtain très pale, ou ivoire, mais pas blanc. Deuxième surprise : les 2 premières pages établissent sans contestation possible que le récit se déroule à la fin du vingtième siècle (présence d'une moto de modèle récent, utilisation d'un aspirateur ou encore d'un téléphone filaire). Le lecteur n'est pas au bout de ses surprises.



À regarder les images, le lecteur prend conscience que François Schuiten a troqué la plume pour le pinceau. Ses traits sont plus lâches, un peu moins minutieux, au profit de dessins un peu plus expressionnistes. Ce glissement reste très relatif. Le lecteur retrouve des bâtiments dessinés avec une très grande précision, des intérieurs dans lesquels chaque pièce d'ameublement et chaque aménagement sont rendus avec un réalisme criant. Pour un habitant de Bruxelles, il est possible de reconnaître l'immeuble abritant le restaurant de Maurice. Lors de la nuit dans la maison Autrique, Schuiten réalise une myriade de traits pour figurer le faible éclairement, rappelant les hachures utilisées dans "La Tour".



François Schuiten expérimente également avec les aplats de noir qui mange les décors et parfois les personnages. Loin de constituer un raccourci pour gagner du temps dans la réalisation des dessins, il s'agit d'un mode de représentation qui lui permet de rendre ses dessins plus expressifs. Ces ombres qui gagnent du terrain au fur et à emsure du récit rendent la cité de Brüsel plus obscure, plus étrangère, plus inquiétante. Tout se passe comme ci les événements surnaturels rendaient la réalité moins compréhensible, plus arbitraire, plus difficile à discerner. Les ombres mangent également tout ou partie de la silhouette de certains des personnages. Ainsi Mary von Rathen n'est plus qu'une silhouette noire à contrejour, dans la salle de réunion du conseil municipal. Elle est devenue totalement insondable pour les conseillers.



Schuiten utilise également ces aplats de noir pour obscurcir une partie du visage et de la silhouette des 2 représentants du Boulachistan. Il figure ainsi le mystère de ces 2 étrangers. Leur appartenance à une race différente les rend inaccessibles et incompréhensible. Peeters et Schuiten jouent sur leur taille imposante, sur leurs mœurs respectables mais incompréhensibles, sur la possibilité qu'ils détiennent la clef du mystère. Schuiten les pare de superbes manteaux, d'une barbe leur mangeant une partie du visage, d'un turban. Ils sont une présence massive et élégante, tout en restant une énigme indéchiffrable.



Cet album est à nouveau l'occasion d'admirer les dessins de bâtiments réalisés par François Schuiten. Ce séjour dans Brüsel est pour lui l'occasion dessiner le vieux Bruxelles, ses façades et ses toits. L'état de Maurice invite à survoler la ville et à en admirer ses tuiles, et quelques enfilades de façades. Il y a bien sûr plusieurs scènes se déroulant dans la Maison Autrique, ce qui permet d'en admirer l'escalier, le dallage, les boiseries. D'ailleurs, Schuiten apporte un soin maniaque à représenter cette maison (conçue par l'architecte Victor Horta), maison dont lui et Peeters ont réalisé la sauvegarde, la restauration et la scénographie (voir La Maison Autrique : métamorphose d'une maison Art Nouveau). Le récit comprenant un voyage vers le Boulachistan, le lecteur peut apprécier le goût de Schuiten pour les moyens de transports (train, bateau), ainsi que le retour de belles formes noires pour figurer les ondulations des dunes, et les ruines d'une tour.



De ce point de vue, le lecteur retrouve bien l'un des attraits principaux de la série : les images soignées et minutieuses de François Schuiten, ainsi que sa mise en scène et son découpage des planches qui invitent le lecteur à prendre le temps de la contemplation, qui lui permettent de se sentir sur place, de voir évoluer les personnages. Il pourra également repérer les leitmotivs visuels propres à la série : des transports futuristes ou rétro-futuristes (le tramway 81, les dirigeables), le bijou Moktar dont la forme rappelle celle d'Armilia, la représentation d'un quarx (objet étrange, du nom d'une des premières séries de dessin animé en 3D, réalisée par Maurice Benayoun, Schuiten et Peeters).



Le lecteur retrouve également Constant Abeels (le personnage principal de Brüsel), Mary von Rathen (personnage principal de L'enfant penchée), et les mentions de cités comme Pâhry et Galatograd. Les tribus Bugti et Moktar avaient déjà été évoquées dans Le guide des Cités.



Peeters et Schuiten avaient expliqué qu'ils ont conçu le scénario à partir de dessins réalisés par Schuiten montrant des événements étranges. Les auteurs mettent en scène ces éléments exogènes par la couleur blanche qui ressort fortement sur les pages ivoire. Les personnages principaux (Kristin Antipova, Constant Abeels, Maurice et Elsa Autrique) subissent ce dérèglement de la réalité, sur lequel ils n'ont aucune prise.



Dans une interview, les 2 créateurs avaient également indiqué que ce nouveau récit s'articule autour de 2 thèmes centraux : (1) des phénomènes, des petits incidents qui s'amplifient, qui s'aggravent dans des proportions effrayantes, et (2) l'introduction d'un élément non-européen pour éviter le nombrilisme culturel présent dans les tomes précédents.



Avant même les phénomènes surnaturels, les petits incidents qui s'amplifient pour le lecteur se trouvent dans l'irruption de plusieurs objets modernes dans le récit. Il y a ensuite l'apparition d'un étranger (phénomène rare dans le cycle). Puis arrivent Maurice perdant du poids, les pierres et le sable. On ne peut pas dire qu'il s'agisse de petits incidents. Il y a bien là des phénomènes surnaturels contrevenant aux lois établies de la physique. Peeters prend même un malin plaisir à adapter une démarche scientifique pour cerner ces phénomènes (en particulier Abeels pesant les pierres pour s'apercevoir qu'elles pèsent toutes exactement 6.793 grammes, ce qui correspond à un nombre premier). On a déjà largement dépassé le stade d'un simple grain de sable faisant dérailler un quotidien bien réglé, prévisible ainsi que peuvent l'être les phénomènes physiques rendus prévisibles par les sciences physiques.



La réalisation du deuxième objectif est plus évidente. En intégrant le personnage de Gholam Mortiza Khan, Peeters et Schuiten créent un personnage d'origine arabe, très impressionnant (sa taille est supérieure à celle de tous les habitants), en conservant une forme d'exotisme (turban, barbe, vêtement fastueux) d'un siècle passé, sans trace de colonialisme. Ils inversent d'autres stéréotypes, puisque ce sont les blancs (par l'intermédiaire d'Elsa Autrique) qui achètent la verroterie et les colifichets qu'il amène. Même Carl Dyrioux (le directeur de la galerie des mondes lointains) est obligé de reconnaître que finalement il ne sait pas grand-chose de cette civilisation. Malgré toute leur technologie, les blancs occidentaux restent ignorants de la culture des Bugti. Ce n'est donc pas une coïncidence si le récit commence avec Kahn avançant sur une passerelle, construction qui permet d'unir 2 endroits différents. À nouveau, les auteurs mettent en scène la maxime d'Isaac Newton : les hommes construisent trop de murs et pas assez de ponts.



Schuiten et Peeters ne limitent pas la critique de leurs récits passés à l'intégration d'un individu d'une autre race, ils donnent le rôle principal à une femme (Mary von Rathen), du jamais vu dans le cycle des Cités Obscures. Il s'agit d'une remise en question de la convention qu'ils avaient perpétuée quant au rôle de la femme dans le récit d'aventure pour adolescent mâle. Mary von Rathen ne remplit plus le rôle de la muse, encore moins celui de la mère, mais bien celui de l'héroïne.



La lecture réserve la découverte d'autres thématiques, ainsi que d'éléments récurrents finissant par acquérir une dimension symbolique. Étrangement, Peeters développe une vision politique assez conservatrice. En regroupant les informations relatives au Boulachistan et les réactions des protagonistes, il émerge une image paradoxale. D'un côté les frères Mortiza déclarent que "personne ne connaît le Boulachistan " et que "le Boulachistan n'a besoin de personne". Cela évoque une volonté de repli sur soi, de communautarisme, renforcée par l'attitude von Rathen et Abeels persuadés qu'il n'est pas possible d'établir une passerelle vers cette culture. Plusieurs éléments du récit renforcent cette idée : le sable au cœur de Brüsel crée des dunes que la cité ne peut pas assimiler, les dérèglements introduits par le bijou Nawaby sont incompatibles avec la rationalité de la civilisation occidentale. Plus tendancieux encore, l'intrigue établit que la tribu Bugti est en guerre contre la tribu Moktar, une guerre de territoire, entre 2 cultures guerrières. Il y a comme une forme de condescendance coloniale envers ces indigènes.



D'un autre côté, Peeters développe le thème de l'interdépendance entre les tous les êtres vivants de la planète. La guerre entre Moktar et Bugti n'est possible que grâce aux armes vendues par Brüsel. Les dérèglements se produisant à Brüsel sont les conséquences directes de cette guerre tribale. Enfin, Constant Abeels décide d'étudier la civilisation Bugti, il devient un étranger faisant la démarche de comprendre d'autres étrangers. Par ces éléments, Peeters joue à la fois sur le stéréotype du sauvage à la civilisation inférieure à celle de l'occident, mais aussi sur des savoirs d'une autre nature maîtrisés par les Bugti, sur le nombre de points d'interconnexion limité qui peut exister entre 2 cultures (presqu'exclusivement le commerce), mais aussi sur l'impérieuse nécessité d'apprendre à coexister (les actes des uns ayant des conséquences sur la vie des autres, quelle que soit la distance qui les sépare).



Ce rapport à l'étranger (ou plus simplement à l'autre) constitue le thème principal et le plus visible. Schuiten et Peeters intègrent d'autres thèmes plus discrets. À plusieurs reprises, un personnage s'inquiète du passage des éboueurs, les pierres sont autant de déchets à évacuer, ainsi que le sable. Il y a là une production de matière non désirée, sans utilisation possible. Cet aspect n'est pas développé mais plus avant, mais la notion de déchets est assez répétée pour qu'elle forme un motif symbolique dans le récit.



De la même manière, plusieurs personnages subissent l'intrusion d'éléments dans leur foyer, leur chez-soi. Il y a bien sûr le sable, les pierres et les phénomènes étranges dans la maison Autrique. Il y a également cette situation étrange où Elsa Autrique subit la présence dominante des 2 frères Mortiza chez elle, générant un trouble ineffable en elle et le lecteur. Elle subit à nouveau une intrusion dans son intimité domestique lors de l'irruption de Mary von Rathen qui pénètre chez elle par la persuasion. Ces événements amènent à considérer avec plus d'attention la manière dont les personnages s'approprient les lieux pour en faire leur foyer, en particulier Maurice s'installant dans une mansarde.



Il est également possible de détecter la réémergences discrète des thèmes récurrents dans le cycle des Cités Obscures. Il y a bien sûr l'importance de l'imaginaire, la nécessité de raconter la réalité sous forme de narration pour la rendre intelligible, la source d'inspiration du créateur (cette fois ci, ce n'est pas une femme, mais le Nawabi, un bijou). Toujours discrète, l'autodérision reste présente (la maxime du cuisiner : la méthode des 3M, Maurice Maigrir en Mangeant, ou l'image de Maurice se retenant à l'aile d'une statue pour ne pas être emporté plus loin).



Avec beaucoup d'habilité, Schuiten et Peeters réussissent à conserver le fil directeur de leur série (la ville comme source de norme sociale pesant sur les citoyens, comme modèle politique régissant leur vie), tout en remettant en cause la plupart des conventions de genre qu'ils avaient adoptées jusqu'alors. Ils ont à nouveau tenu leur pari de changement dans la continuité. Dans ce récit labyrinthique (il y a en a même un à la fin, de labyrinthe), le lecteur s'interroge avec les personnages sur sa capacité à comprendre le réel, à l'interpréter, à influer dessus, à établir un rapport avec autrui, à la consistance de ce rapport et à sa nécessité inéluctable. Une seule certitude le tome suivant sera différent : Souvenirs de l'éternel présent (2009).



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- Ce tome se termine avec un additif de 13 pages qui n'était pas présent dans l'édition initiale en 2 parties, format paysage. Il est consacré à la restauration de la maison Autrique. Il comprend 4 dessins originaux pleine page de François Schuiten, ainsi que quelques dessins repris de l'histoire, et 11 photographies de la maison, de ses intérieurs et du jardin.



Le texte s'ouvre avec une citation de Gaston Bachelard sur la maison comme lieux privilégié du rêve. Puis Benoît Peeters retrace chronologiquement comment il a appris que cette maison (sise 266 chaussée de Haect, à Schaerbeek, construite en 1893) conçue par l'architecte belge Victor Horta (19861-1947) était à vendre en 1994, comment la ville s'en est portée acquéreuse et le rôle que Schuiten et lui ont joué dans sa restauration.



Dans ce texte concis et précis, le lecteur apprend qui a financé la restauration, comment l'équipe a pu retrouver la vérité du lieu (sa décoration intérieure originale), les contraintes découlant de son classement en monument historique le 30 mars 1976, etc., toutes ces choses qui ont conduit à une ouverture au public 8 ans plus tard, soir le 02 décembre 2004.



Il s'agit d'un texte facile à lire, très didactique et vivant qui constitue une ouverture idéale sur l'un des personnages clefs du récit : la maison Autrique.
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La Douce

Une ode aux machines de jadis.

Encore un fois, François Schuiten nous raconte la fin d'un monde dur mais vivant, rongé par un progrès déshumanisé.

Le récit nous mène cette fois sur les rails des locomotives d'antan, vouées à la ferrailles, et des hommes qui les menaient voués à l'oubli.

Petit fils de mécanicien sur la 341 P, ce monde me fascine. C'est dire que j'ai été profondément ému par cette histoire riche en métaphores et en sous-entendus.

Merci Monsieur Schuiten.

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Autour de Blake & Mortimer : Le dernier Pha..

J'ai longtemps hésité avant de lire ce livre car j'avais un peu de peine à retrouver le monde de Jacobs avec un style graphique complètement différent, celui de Schuiten.

J'ai été séduit par l'histoire qui fait plusieurs liens avec "Le secret de la Grande Pyramide". L'idée de retrouver Blake et Mortimer plus âgés me plaît moins. J'ai eu du plaisir à lire cette histoire, mais la ligne claire m'a quand même manqué !
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Autour de Blake & Mortimer : Le dernier Pha..

On retiendra surtout de cet album le dessin superbe de François Schuiten (je suis un fan depuis toujours) et la fascination du dessinateur pour le Palais de justice de Bruxelles aussi imposant qu'inutilisable. Cela réjouira donc les amoureux des Cités obscures. Par contre l'histoire est terriblement compliquée et on a parfois un peu de mal à suivre, bien que les scénaristes s'y soient mis à trois ! Mais après tout, c'était aussi un peu abscons chez Jacobs. le dernier pharaon a toutefois le grand mérite de sortir du style « ligne claire » de tous les albums (certains très bons) qui l'ont précédé. A classer donc dans sa bibliothèque avec les ouvrages de Schuiten que plutôt que dans la série des Blake et Mortimer.
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Les Cités obscures - HS, tome 9 : Le Guide de..

Voici un guide intéressant pour qui veut "étoffer" le carnet de ses voyages dans le monde des cités obscures de Schuiten et de Peeters. On peut bien évidement parcourir ces mondes comme bon nous semble.Avec ou sans guide. Mais il n'est pas inutile de collecter de ci delà quelques informations, ma foi, ...judicieuses. Plaisir de retrouver les dessins admirables de Schuiten et le le récit foisonnant de Peeters. Tout est ici rassemblé pour nous donner la topographie des lieux et des passages. Données géographiques, l'histoire des hommes et de leurs civilisations, Les lieux remarquables, les passages clés, les personnages phares, les habitants, les langues, les symboles etc...etc...La faune, la flore, les arts, les sciences etc.... Liste non exhaustive du présent guide. Un ouvrage pour comprendre l'intelligente construction narrative de l'oeuvre de Schuiten et Peeters.

Astrid Shriqui Garain

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Les Cités obscures, Tome 3 : La tour

Ce tome est le troisième (en format bandes dessinées) du cycle des Cités Obscures, mais le quatrième dans l'ordre de lecture (version 2007). Il est initialement paru en 1987, avec un scénario de Benoît Peeters et des dessins de François Schuiten. Il est essentiellement en noir & blanc avec quelques cases dont une partie est en couleurs. Il comprend une histoire complète et achevée, qui se déroule sur un continent comprenant d'autres cités remarquables. Le tome précédent était L'archiviste (1987), le tome suivant est La route d'Armilia, et autres légendes du monde obscur (1988).



La première séquence montre Giovanni Battista (le personnage principal) sur une scène dépouillée (un simple rideau derrière lui) délivrant un monologue cryptique servant d'introduction, dans lequel il est question de colonne délabrée, d'inspecteur qui ne vient pas, d'abandon de poste, et de tableaux. L'ouvrage comporte 6 chapitres ; le premier s'intitule "Où Giovanni Battista, mainteneur de son état, comprend qu'il a trop mangé d'œufs". Le lecteur découvre un grand gaillard quadragénaire, doté d'un fort embonpoint qui vit seul dans une maison en bois munie d'une cheminée, nichée au milieu d'imposants piliers en pierre, d'arches monumentales et d'arcboutants. Il est réveillé d'un lourd sommeil par le bruit d'une chute de matériaux. Il inspecte son secteur et effectue le ravalement nécessaire en constatant qu'il n'aura bientôt plus de mortier. Lorsqu'il se produit une autre chute, sa décision est prise : il ne peut plus attendre la venue hypothétique d'un inspecteur, il doit avertir les autorités sur l'augmentation des incidents attestant du vieillissement de l'édifice. Son voyage commence.



La présente édition (2008) comprend une postface concise de Benoît Peeters qui indique que l'inspiration pour "La tour" provenait du souhait de Schuiten de dessiner des architectures plus anciennes que dans les 2 premiers tomes, et du tableau La tour de Babel (vers 1563) de Pieter Bruegel. À partir de là, Schuiten et Peeters ont repris cette idée de Tour colossale, en y incorporant d'autres influences picturales. En particulier, Peeters oriente le lecteur vers Les prisons imaginaires de Giovanni Battista Piranesi (1720-1778, le héros a hérité de ses 2 prénoms comme patronyme). Il est possible de reconnaître une variation sur La Liberté guidant le peuple (1830) de Ferdinand Victor Eugene Delacroix dans les 5 dernières pages. Le tome s'achève sur un facsimilé d'interview des 2 auteurs menée par Isodore Louis (le narrateur de "L'archiviste") abordant le rôle d'Orson Welles dans le récit. Schuiten et Peeters indiquent qu'ils ont modelé Battista sur son apparence physique, et qu'ils se sont inspirés du caractère de Falstaff (1965).



Plusieurs thèmes abordés dans les tomes précédents trouvent un écho dans "La tour" : l'administration désincarnée et déconnectée (avec toujours l'influence de Franz Kafka et du livre Le château, 1926), l'architecture de la Tour définissant et imposant le mode de vie à ses habitants, le voyage amenant des découvertes merveilleuses (l'influence des voyages extraordinaires de Jules Verne), la quête d'un savoir caché pour comprendre le monde. Peeters a créé un personnage immédiatement sympathique, à la forte présence, sans pour autant qu'il n'écrase les autres (moins imposant qu'Orson Welles). Son voyage étonnant fournit la dynamique du récit. Lors d'une séquence, Battista se retrouve à consulter les livres d'une bibliothèque bien fournie (dont l'un intitulé avec malice "Obscurae civitates"), une sorte du double du lecteur plongé dans "La Tour" à la recherche d'indices et pièces du puzzle. D'ailleurs, à un moment, Battista contemple un dodécaèdre représentant le continent des Cités Obscures, sur lequel figurent les villes de Samaris, Urbicande et Xhystos.



Dans le cadre de ce récit, la tour de Babel représente la soif de l'homme à vouloir entreprendre, à vouloir s'élever dans la connaissance, au risque de perdre de vue des valeurs essentielles, et de se retrouver dans un environnement pour lequel ses capacités d'adaptation se révéleront insuffisantes. Le thème de la communication se limite à cette rupture entre une bureaucratie invisible et inconsciente de la réalité de la situation. Peeters s'attache plutôt à développer un autre thème métaphysique, celui de la conception de l'univers, en reprenant un modèle à 4 étages (emprunté à Paracelse, 1493-1541), et en reprenant le thème du passage du monde clos à l'univers infini développé par Alexandre Koyré (1892-1964). À la première lecture, la conception d'une réalité à 4 étages peut faire sourire par sa vétusté et son manque de sophistication. Mais pour le lecteur ayant lu "L'archiviste", l'un de ces étages peut être assimilé à celui de la source à laquelle s'abreuvent les créateurs, telle qu'évoquée par Isidore Louis.



Outre les influences déjà citées plus haut, Schuiten s'inspire également d'un élément ou deux de Léonard de Vinci. Il est possible de repérer un hommage à Moebius (page 67) lors d'une séquence onirique. Mais il n'est pas possible de réduire la vision artistique de Schuiten à un amalgame réussi de ces différentes influences. Tout comme la narration de Peeters entraîne le lecteur dans le voyage de Battista, mais aussi dans un périple intérieur, les dessins de Schuiten immergent le lecteur dans un monde pleinement réalisé, palpable, plausible, fantastique et merveilleux. La connivence entre scénariste et dessinateur est telle que cette bande dessinée semble avoir été réalisée par un seul et unique artiste, texte et dessins se complétant en harmonie, sans répétition.



Dès la première case du premier chapitre, le lecteur prend plaisir à promener son regard dans la case, à prendre le temps de savourer la découverte du lieu (le salon de la bâtisse de Battista). Chaque case est dessinée avec une minutie soucieuse du détail juste. Chaque environnement est représenté avec le souci du réalisme plausible, de la véracité technique, de la sensation tactile de chaque texture. Schuiten force le respect du lecteur par son investissement et son implication à sculpter chaque pierre, chaque madrier, chaque éboulis. Pour Schuiten, il n'y a pas de case secondaire, ou juste fonctionnelle. Chaque case bénéficie du même degré d'attention et de soin. Il n'y a pas d'arrière plan vague, répétitif ou impersonnel. Battista (puis les autres personnages) évolue dans des lieux conçus en 3 dimensions, avec une logique architecturale. La progression de Battista dans la tour est dictée par sa conception que les images rendent limpide pour le lecteur. Par exemple, page 22, la dernière case en bas est de la largeur de la page. Battista s'apprête à descendre le long de la façade de la tour, sur des marches qui ne sont que des dalles émergeant de la façade, sans rampe, ni garde-fou. Le lecteur peut promener son regard pour regarder chacune des pierres des murs gigantesques, et constater leur degré d'érosion. Il peut apercevoir une ouverture aménagée avec sa voute en plein cintre. Il aperçoit au loin quelques oiseaux en plein vol. Il distingue les endroits où les bâtisseurs ont utilisé des pierres de module différent pour aménager une particularité. Chaque case se prête à ce type de regard scrutateur, générant une immersion sans commune mesure dans l'environnement de Battista.



Il y a encore beaucoup à dire sur cette Tour, car la narration recèle des sous-entendus, induit des implications, invite à la rêverie et à la réflexion. Cette architecture massive et à étages sous-entend en particulier un objectif fonctionnel (s'élever, prendre de la hauteur), mais aussi une structure pyramidale pour la société qui a conduit à la réalisation de cet édifice. Les déclarations d'Ellias Aureolus Palingenius impliquent un code moral, une philosophie de vie à laquelle le lecteur confronte inconsciemment ses propres convictions, guidé subliminalement par le récit. Il peut également réfléchir au rôle de la nature dans ce récit (faune et flore), rôle auquel elle est cantonnée par cette civilisation, mais également à la place qu'elle occupe en définitive. Comme les tomes précédents, ce récit clair et limpide, riche et foisonnant suggère de nombreuses interprétations au lecteur sans en imposer aucune, au travers d'une aventure grand spectacle et distrayante.
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Les Cités obscures, tome 12 : Le retour du ca..

J'étais impatient et enthousiaste à l'idée de plonger dans l'univers des Citées Obscures tout en étant un peu inquiet car je n'avais lu aucun des chapitres précédents. Mais apparemment cela n'a aucune importance car il saute au yeux que ce volume est un peu à part. Il s'agit d'un album conceptuel en plusieurs parties.

La première qui fait apparaître progressivement le capitaine Nemo au cours d'un voyage dans la géographie imaginaire de l'univers des Citées Obscures de Benoît Peeters et François Schuiten(*). Il surgit d'un gribouillage pour se concrétiser progressivement au fil des doubles pages non numérotées qui présentent d'un coté une image de l'intérieur d'un engin fabuleux, ce n'est pas exactement le Nautilus mais le Nauti-poulpe, fusion de la machine avec le moment le plus mémorable du roman, le combat avec le poulpe (**). Cette image est commentée par les réflexions du capitaine qui revient à lui. On est donc à la fois à l'intérieur du vaisseau et à l'intérieur de la tête du personnage. Et le jeu avec les espaces se développe aussi en une troisième dimension car sur la page en vis-à-vis, celle de droite donc, une gravure à la manière des illustrations de l'édition Hetzels des Voyages Extraordinaires, représente ce qui se passe au même moment à l'extérieur du bâtiment.

La seconde partie commence quand le capitaine sort du Nauti-poulpe dans un bassin qui se trouve devant la Halle Freyssinet dans la ville bien réelle d'Amiens (***) où effectivement, c'est du concret, l'installation d'une sculpture monumentale en bronze rendant hommage à Jules Verne est prévue pour mars 2025. Là, commence un nouveau déplacement, une nouvelle mutation, hybridation, transformation. le mode narratif passe d'une image par page à une série d'images séquentielles, trois par page puis quatre, toujours sous-titrées par les pensées du personnage qui perd lui aussi son identité, encore une transition, pour adopter celle de Jules Verne lui-même au fil des vignettes qui s'égrainent tout en se remplissant de couleurs (des gris colorés comme le seraient des illustrations vieillis sur un papier oxydé par le temps, le support papier du livre n'est pas parfaitement blanc non plus mais dans un ton de blanc cassé et très légèrement teinté de jaune). Cette partie se termine sur un gros plan de la rédaction en lettre cursives des premières lignes de Vingt mille Lieues sous les mers.

La troisième partie est constituée de textes autour de Jules Verne, sa relation avec son éditeur ; l'édition et le succès de son premier roman, le refus du second qui sera enfoui, caché au fond d'un coffre-fort ; la redécouverte (à la dynamite) de cet inédit : Paris au XXe siècle ; les illustrations pleine page de Schuiten de l'édition de 1994 y sont insérées. Les deux dernières illustrations font référence à une installation qui a déjà eu lieu, projections sur des jets d'eau, et au projet de sculpture monumentale en bronze du Nauti-poulpe à Amiens.



(*) Deux cartes permettent de repérer le trajet effectué, évidemment les noms qui apparaissent sont fantaisistes. Si on veut se documenter sur le sujet, Peeter et Schuiten ont créé un site internet avec une base de données très détaillée de leur oeuvre, voir le lien sous la critique.

(**) le nom Nautilus étant basé, selon toute vraisemblance, sur le mot Nautile qui désigne certes un sous-marin expérimental en bois conçu par François-Guillaume Coëssin et son frère Jean-Alexandre en 1811, mais aussi, et cela bien avant, un céphalopode à tentacules (90 quand même) sans ventouse, vivant dans une coquille spiralée à surface lisse, l'animal était déjà par certains cotés, un Nauti-poulpe.

(***) "...en cours de fabrication par le sculpteur Pierre Matter. Une oeuvre en bronze de neuf mètres de long et six de haut. Ses douze tonnes ne lui permettant pas d'être installée devant la gare comme initialement prévu, elle arrivera donc derrière, « comme si elle émergeait des hortillonnages », sourit François Schuiten". Voir article de Jean-Christophe Fouquet sur le site web de la ville d'Amiens.
Lien : https://www.altaplana.be/fr/..
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Les Cités obscures, tome 12 : Le retour du ca..

Suite à l'écrasement de la mutinerie des Cipayes par la puissance colonisatrice, le prince Dakkar, mystérieux et sombre raja indien de Bengalore aux moyens financiers illimités devient « capitaine Nemo » après s’être construit un sous-marin. Sorte de professeur Tournesol, de Géo Trouvetou, le capitaine est un personnage savant, un ingénieur misanthrope de génie qui a renoncé à la société des hommes pour écumer les mers dans un esprit de recherche scientifique au milieu d’un petit groupe de scientifiques choisis dont l’enthousiaste professeur Pierre Aronnax.



Portant son identité indienne en étendard, il voue une haine féroce à la puissance tutélaire, la Grande-Bretagne, depuis la mise en coupe réglée de son pays, le meurtre de ses parents, de sa femme et de ses 3 enfants.



Le Nautilus finalement encalminé sur une ile déserte et isolée du Pacifique sud, l’ile Lincoln, un ballon dirigeable pris dans une terrible tempête y dépose Cyrus Smith et ses 4 compagnons (Pencroff, Gédéon Spilett, Nab et Harbert)...Pour finir, le capitaine Nemo disparaitra avec le Nautilus dans la destruction volcanique de l'île Lincoln à la fin de « L'Île mystérieuse ».



Mais Schuiten & Peeters donnent vie à un poulpe géant hybride, mi animal mi sous-marin, le nauti-poulpe. Cette machine-animal vit aussi bien en milieu marin que sur terre.



Au milieu de textes elliptiques et mystérieux, synthèses magiques des 2 romans de Jules Verne, sont insérés les superbes gravures dont Schuiten a le secret. Chaque page développe une sorte d’escape game posant des jalons tantôt des personnages, tantôt de l’auteur ou du contexte, sorte de fiction construite à cheval sur 2 romans allégoriques et futuristes. Jules Verne en devient personnage lui-même.



De toute beauté. Un chef d’œuvre.
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Autour de Blake & Mortimer : Le dernier Pha..

Les premières pages , le dessin choque un peu, car on est habitué à la ligne claire avec nos fameux amis. Puis on se laisse prendre par l'histoire, il faut reconnaitre que le senario est bon. On est clairement plus dans le fantastique/SF que d'ordinaire mais l'histoire tient vraiment la route.

Au final ce fut une lecture sympa que je recommande aux amateurs de la série.
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Les Cités obscures, Tome 3 : La tour

De bas en haut et de haut en bas, nous suivons l'attachant Giovanni (moins balourd qu'il en a l'air), dans sa mission pour protéger sa demeure de la ruine. Une mission qui le conduit à sortir de son recoin de la Tour pour en découvrir l'immensité, avec toutes les questions et le désir de liberté qui en découlent. Un prodigieux parcours initiatique, fondé sur des tours et détours en noir et blanc, au fil de décors éblouissants. Jusqu'à ce que la couleur advienne. Nous tenons là le Grand Oeuvre de Peeters et Schuiten.
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