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Critiques de François Schuiten (481)
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Les Cités obscures - HS, tome 2 : L'Archiviste

En 1987, Benoît Peeters et François Schuiten réalisent 2 albums du cycle des Cités Obscures : La tour (le troisième tome permettant de découvrir une nouvelle cité sous forme de bande dessinée), et "L'archiviste", un volume hors série. La particularité de ce tome qui induit sa qualité d'hors série est qu'il ne s'agit pas d'une bande dessinée traditionnelle. Dans le cadre de la réédition du cycle entamée en 2007, ce tome a été réintégré à part entière dans la série comme étant le troisième volume "La Tour" devenant le quatrième).



L'ouvrage commence par un page de bande dessinée traditionnelle (sans phylactère, les textes sont en dessous des cases) montrant un fonctionnaire montant une importante quantité de dossier volumineux dans son bureau sous les combles. Il s'agit d'Isidore Louis, chargé de recherches à l'Institut Central des Archives, sous-section des mythes et légendes. Sa hiérarchie vient de l'assigner sur un cas déconcertant et il doit établir un rapport sur "Les Cités Obscures", un curieux cas de superstition.



Le lecteur découvre ensuite une mise en page particulière pour les 20 pièces de son rapport. Page de gauche, il y a une case en noir et blanc occupant un quart de la page qui montre Isidore Louis dans sa mansarde, en train de compulser les pièces du dossier. Sous cette case centrée, il y a un texte de 3 ou 4 paragraphes, un fac-similé de son rapport qui est descriptif (en rapport avec l'illustration de la planche de droite), et qui comporte également l'avis du rapporteur. La page de droite consiste en une illustration pleine page en couleur sur un site des cités obscures. La pièce numéro 1 concerne représente la faille de Chula Vista. En fonction de la narration, chaque pièce peut porter sur un site différent, ou il peut y avoir plusieurs pièces portant sur un même site, par exemple les pièces 5 à 8 sont relatives à Brüssel et les pièces 13 à 16 à Mylos. Isidore Louis rend son rapport page 48, séquence qui prend également la forme d'une bande dessinée traditionnelle de 4 pages. L'histoire se poursuit toujours sous la plume de Louis, avec 6 autres cas, s'achevant sur une résolution explicite.



Avec le recul, le lecteur comprend facilement que les auteurs aient choisi d'identifier ce tome comme étant hors série, puisqu'au premier abord il semble d'un simple prétexte servant d'écrin aux illustrations pleine page de Schuiten, visions singulières du monde des cités obscures. L'approche de Schuiten évoque irrésistiblement celle de l'illustrateur Wojtek Siudmak par la capacité de l'image à raconter une histoire, sa force d'évocation, ou la représentation d'un décor aussi plausible que fantastique.



La première illustration représente un mur monumental coupé en deux par une faille dont la cause n'est pas discernable. En arrière plan, le lecteur apprécie un ciel bleu limpide. Au premier plan, l'œil finit par assimiler qu'il voit des oiseaux d'une taille démesurée sellés, portant sur leur dos un ou deux individus. L'observation du dessin permet également de repérer plusieurs aérostats de type dirigeable rigide, obligeant le lecteur à reconsidérer la taille titanesque du mur ouvragé. Il y a là une histoire singulière qui restera mystérieuse, le titre "Chula vista - La faille" (pièce n° 1) ne permettant pas de faire des conjectures.



La pièce n° 2 "Xhystos - Vue de la grande halle de Zarbec" permet au lecteur de saisir un moment unique et paisible, le vol de l'homme aux oiseaux, dans son étrange aéronef (évoquant les aérodynes de Clément Ader, mais en plus gracieux), au dessus des constructions à base de poutrelles métalliques et de verrières de Xhystos, accompagné par un vol d'oiseau. Il s'agit à la fois d'un monde proche du notre, d'une déclaration sur l'architecture de Xhystos, et sur le niveau technologique de ce monde.



La pièce numéro 5 est consacrée à Brüsel et intitulée "Vue du quartier des Marolles et du palais des trois pouvoirs" ; elle rentre dans la catégorie des paysages aussi plausibles que fantastiques, avec une dimension onirique enchanteresse. Schuiten représente un palais blanc immaculé dominant une ville sombre, une allégorie d'une forme de pouvoir intouchable s'appuyant sur le peuple grouillant.



Mais il serait injuste de réduire "L'archiviste" à un simple portfolio assemblé à la va-vite. Peeters a bel et bien conçu un dispositif narratif qui raconte une histoire assez ambitieuse. Les dessins en noir & blanc sur les pages de gauche, représentent Isidore Louis à sa table de travail, et pourtant il y a bel et bien une progression narrative de page en page, dans laquelle le lecteur peut apprécier l'évolution de l'implication de Louis dans sa mission, ainsi que la nature extensive de ses recherches. Cet élément constitue bien une narration séquentielle en bonne et due forme, une bande dessinée pour être plus clair.



Les extraits du rapport d'Isidore Louis, associés aux illustrations pleine page, fournissent également un trésor d'informations pour le lecteur désireux de découvrir l'environnement de ces Cités Obscures. Il y a bien sûr l'évocation des cités déjà parcourues dans les 2 premiers tomes (à savoir Xhystos et Urbicande), ainsi que des citations du Carnet de voyage d'Eugen Robick, l'urbatecte, le personnage principal de la "Fièvre d'urbicande". Il y a la découverte d'autres cités, certaines qui auront droit à un album par la suite (Brüsel), d'autres peut-être jamais (Mylos). Peeters prend bien soin de créer des liens solides avec la "Fièvre d'Urbicande") par les manifestations du réseau (manifestation de la troisième accalmie, ou émergence dans eaux du Lac Vert, cette dernière également évoquée dans l'additif de 1997 de la "Fièvre d'Urbicande", rédigé par Isidore Louis). Le lecteur peut donc apprécier cette composante ludique de l'ouvrage, lui permettant de découvrir et d'assembler quelques pièces du puzzle.



Ces extraits constituent également une histoire à part entière d'un fonctionnaire sans gloire effectuant la mission qui lui a été confiée avec zèle et talent, et des changements que ce travail va générer. Pour cet axe de lecture, les influences de Peeters ressortent : de Jules Verne à HP Lovecraft ("J'attends leur arrivée. Je sais qu'ils ne tarderont plus.", ou encore le double niveau d'ouvrage fictif entre le Carnet de Voyage de Robick et "Le mystère d'Urbicande" de R. de Brok, évoquant le Nécronomicon d'Abdul al-Hazred). Peeters trouve également le moyen d'insérer une page dédiée à "La Tour" permettant de rendre explicite les sources d'inspiration de Schuiten : Jean-Baptiste Camille Corot (1796-1875), Gustave Courbet (1819-1877), Édouard Manet (1832-1883), Eugène Delacroix (1798-1863), et Gustave Doré (1832-1883).



Au fur et à mesure que le lecteur plonge dans ce mode des Cités Obscures, au travers de remarques et observations d'Isidore Louis, il prend conscience que Peeters a introduit un métacommentaire espiègle. Avec un peu de recul, la démarche d'Isidore Louis se confond très exactement avec celle du lecteur : découvrir les Cités Obscures par le biais d'extraits de textes d'origines variées et d'une collection hétéroclite de représentations. Aussi quand Louis reproduit un texte comme " l'acte de création, un univers imaginaire si foisonnant qu'il ne peut être l'œuvre d'un seul individu" (pièce n° 19), le lecteur sourit à ce qui peut s'apparenter à des rodomontades de la part de Peeters. Cette forme de fanfaronnade atteint encore un autre niveau avec la pièce n° 17 : "Une légende peut-être, mais d'une telle ampleur, d'une telle qualité de présence, qu'elle se distingue de toutes les inventions similaires. [...] Mais un monde complet avec ses architectes et ses lois, ses techniques et ses scandales, ses religions et ses folies [...] qui semble s'être développé de façon plus systématique, et oserais-je le dire, plus harmonieuse." Peeters écrit clairement que Schuiten et lui-même ont créé un monde tellement complet qu'il ne peut être l'œuvre de 2 simples créateurs.



Mais il est également possible de voir dans ces déclarations, autre chose qu'un sentiment de supériorité démesuré. Peeters continue de développer les réflexions d'Isidore Louis en introduisant le concept de Passage (entre notre monde et celui des Cités Obscures), des passerelles. Il semble prendre à son compte que le don de créer, correspond à une capacité de l'artiste d'accéder à une dimension de l'imaginaire, à se connecter à une source infinie d'inspiration qui effectivement ne peut être l'œuvre d'un ou mêmes plusieurs individus.



Loin d'être un simple supplément destiné à faire fructifier la marque "Cités Obscures", "L'archiviste" se révèle une œuvre complexe, savamment construite, développant le point de vue de Peeters et Schuiten sur l'acte de création, tout en servant également de déclaration d'intention quant aux ambitions de la série. Peeters n'hésite pas à faire remarquer que les différents documents relatifs aux cités obscures proviennent de sources hétérogènes, racontant des événements parfois incompatibles et contradictoires). Il s'agit d'un avertissement à destination des lecteurs, de ne pas prendre chaque déclaration comme argent comptant, et de ne pas vouloir à tout prix rechercher une cohérence entre les différents tomes, dans l'espoir fallacieux d'y découvrir une vérité ésotérique.
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Les Cités obscures, Tome 4 : La route d'Armilia

La route d’Armilia raconte l’histoire de Ferdinand, enfant mandaté par son oncle pour aller porter d’urgence à une cité nordique et isolée une formule qui permettra de la sauver. Le voyage en zeppelin, de plus en plus dur et chaotique, sera raconté par Ferdinand dans son journal de bord.

L’album a donc cette particularité de ne contenir que trois ou quatre planches «classiques» où la partie écrite se limite aux dialogues et où l’action se fait au niveau des dessins. Pour le reste, l'histoire est en fait constituée des extraits du journal de Ferdinand, qui prennent un peu le pas sur les dessins. Attention ces derniers ont évidemment toujours leur importance et mieux vaut rester attentif tout au long de l’album pour éviter de risquer un sentiment de confusion sur la fin.

Au final, j'ai aimé tant pour l'histoire que pour la beauté de la partie architecturale des dessins de Schuiten et dont je ne me lasse pas.
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Les Cités obscures, tome 12 : Le retour du ca..

Malgré l'idée du retour de Nemo intrigante, j'ai trouvé que c'était très très court à lire. On me l'avait vendu comme un roman illustré mais c'est plutôt de l'ordre de la nouvelle. Les illustrations de Schuiten sont magnifiques mais je suis resté sur ma faim, je m'attendais à autre chose.

La première moitié est consacrée à l'histoire et la seconde à Jules Vernes et son Paris du 20e siècle

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Jim

Pour avoir douloureusement traversé 4 fois cette terrible épreuve qu'est la perte d'un chien, je ne peux qu'avoir été touchée par ce récit imagé "Jim" compagnon de François Schuiten.

Cette "lettre d'amour" dessinée est vraiment très représentative des moments poignants par lesquels on passe lors de la disparition de son compagnon.



En fait, j'envie ces auteurs, dessinateurs qui peuvent, grâce à leur art, rendre un si bel hommage à leur ami. Car oui, écrire ou dessiner ce que l'on a vécu avec lui est une façon de prolonger l'Amour et le temps passé ensemble : quand l'animal part, on n'a pas fini d'aimer, et même si cela ne s'arrête pas même après, au moins c'est toujours "un peu" ça de gagné.



François Schuiten représente parfaitement la douleur qui reste après, quand l'absence s'installe. Il a dessiné ces tranches d'existence "à l'encre de ses larmes", et cela se ressent. Les dessins en noir et blanc, en clair/obscur sont forts, puissants d'émotions et émeuvent profondément tout amoureux des chiens.

Il n'y pas pas que les dessins, les mots de François Schuiten parlent tout autant par exemple lorsqu'il dit :

" Il me faut apprendre à avancer depuis qu'une partie de moi-même s'en est allée."



Je vis actuellement entourée de mes 5 chiens,... autant dire que je ne me prépare pas un bel avenir ! Mais, bon... pour l'heure, ne pas penser au moment de la déchirante séparation. Je profite pleinement et à chaque instant de leur présence.



Pour ma part, je dessine très mal et ce ne serait pas vraiment ce que j'appellerais un hommage que de décider de dessiner mes précédents compagnons, alors, chacun à sa façon, on tente de prolonger leur présence : je leur ai fait de beaux albums photos convoquant ainsi les

doux moments de leurs existences et je me dis pour chacun d'eux :

"TU n'es plus là où tu étais, TU es PARTOUT là où je suis".

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Jim

Jim est un objet et un projet des plus singuliers, c'est ce qui m'a attirée vers lui, car on a rarement de livre aussi personnel sur la relation entre un maître et son animal de compagnie en BD et que pour les amoureux de animaux comme moi, cela a un charme tout particulier.



Arrêtons-nous un instant sur l'objet livre. Un format atypique proche du A5, un belle couverture texturée très sobre avec un petit bandeau décrivant l'intention et à l'intérieur, sur papier épais, un ensemble de doubles pages en noir en blanc décrivant la relation entre François Schuiten et son chien disparu. Il n'en fallait pas plus pour que l'émotion nous guette.



L'auteur explique très sobrement qu'il s'agit avant tout, ici, d'un projet thérapeutique pour lui. Eh bien, je l'en remercie car il a su transcender cela pour nous offrir une oeuvre universelle. On y suit son cheminement dans le deuil de ce chien qui l'a accompagné sur de longue année, de la douloureuse sensation du manque, en passant par le souvenir omniprésent, l'absence terrible et enfin l'acceptation et la mémoire plus douce grâce aux hommages des amis. Ces étapes, nous pourrions les retrouver dans tous les deuils, alors les évoquer pour un chien permet de relativiser et prendre de la hauteur pour réaliser qu'on n'est pas seul face à ces émotions, peu importe à quel moment de notre vie.



Graphiquement et narrativement, j'ai beaucoup aimé la mise en scène de l'auteur. Je l'ai trouvée douce et pleine de poésie, une poésie mélancolique et douloureuse, mais parfois belle et curative. J'ai beaucoup les jeux d'ombres pour symboliser le manque et la présente absente de Jim. J'ai aimé la fusion qui s'opère entre le texte très simple et les dessins très sobres. Cette présence de l'ombre chinoise de Jim sur chaque double page dans une position différence donne la sensation de le voir bouger et donc de l'avoir encore vivant quand on fait défiler les pages en mode « flip book ».



Certaines pages m'ont bien sûr plus parlé que d'autres. C'est le cas par exemple lorsque Jim regarde par la fenêtre de la voiture avec un regard mélancolique qu'il ne devrait pas avoir, ou quand son maître caresse son canapé avant de réaliser qu'il n'y ait plus. C'est également le cas quand il fait le lien entre le nom de la race de Jim (Flat-coated retriever) et les larmes qu'il verse actuellement, mais aussi quand il se rappelle sa présence à ses pieds quand il travaillait, ou ces nombreuses pages marquant son absence, physiquement avec un bout de lui en moins, une absence dans le lit. Cette alternance entre souvenir et absence m'a souvent bouleversée.



Je m'imagine pas combien cet exercice a pu être complexe pour l'auteur et la force qu'il faut pour surmonter ce moment si intime et pudique. Mais je le remercie d'avoir dépassé cela pour nous offrir une oeuvre pleine d'émotion qui nous va droit au coeur. Je suis plus une femme à chats qu'à chiens et pourtant j'ai partagé ses sentiments dans cette poétique interprétation mélancolique de son deuil en cours que j'ai également vécu avec mes animaux et vis encore quand des souvenirs me reviennent. Bravo pour avoir osé publier un tel OLNI.
Lien : https://lesblablasdetachan.w..
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Autour de Blake & Mortimer : Le dernier Pha..

"Le dernier pharaon" se positionne en tant que hors-série par rapport à la continuité classique des aventures du duo Blake et Mortimer. Ainsi, ce sont des héros âgés que l'on retrouve pour un mystère scientifico-mystique inédit.



Cette série créée par Edgar P. Jacobs m'est souvent apparue affublée d'un hermètisme exaspérant. Bien que je souhaite découvrir les différents albums, je me retrouve inéxorablement repoussé pour x ou y raison.



Et plutôt que de forcer ma lecture d'un tome classique, j'ai opté cette fois-ci pour un des hors-séries publiés ces dernières années. Si le présent album s'offre comme point de départ la conclusion du diptyque "Le mystère de la Grande Pyramide", la double rupture visuelle et temporelle permet d'aborder cet univers d'un regard différent.



Et ce changement dans le dessin est plus que bienvenu. Les planches de François Schuiten sont vraiment belles, tout du long. L'ensemble permet un ressenti plus cinématographique que la ligne claire.



Côté scénario, l'idée d'un monde remodelé et d'une capitale belge abandonnée est intriguante. Le mystère autour du palais de justice et de ce qu'il renferme, connecté aux Grandes Pyramides égyptiennes, nous tient en haleine. La conclusion reste abrupte et légérement surprenante mais profondément dans l'air du temps.



Un bon moment de lecture qui fait grandement plaisir et relancera peut-être mes incursions sporadiques dans l'univers Edgar P. Jacobs.
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Aquarica, tome 2 : La baleine géante

Ce tome 2 conclut un diptyque débuté en 2017. Cette belle couv cache un album onirique et sensible, empli d'une double émotion.



D'abord une émotion liée à ses auteurs. Benoit Sokal n'a pas eu le temps de finir les dessins de ce tome final, emporté par le crabe, il a passé la main à son compère et ami François Schuiten.12 pages pour conclure cette histoire et graver une amitié indéfectible comme le rappelle le sublime cahier graphique qui clôt le livre.



Ensuite une émotion liée au récit. Difficile à raconter… Aquarica ramène le professeur Greyford et le lieutenant O'Bryan dans son monde. Un univers et un peuple vivant à dos de baleine géante. Un écosystème fragile, en danger, métaphore de notre planète…



Le dessin est sublime, qu'il soit signé Sokal ou Schuiten, et on termine cet album le coeur lourd, touché par un flot d'émotions contenues.



Un très beau récit qu'il faut appréhender dans sa globalité, un diptyque à lire et à savourer.

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Revoir Paris - Intégrale

Paris serait-elle devenue une cité obscure ? Pour la Ville Lumière, l'écriture de ces deux albums relève quelque peu du paradoxe. L'intrigue se déroule au XXIIème siècle. Chargée de veiller sur les membres nonagénaires d'un vaisseau spatial, Karinh épuise ses heures de solitude en immersions hallucinées, permises par l'ingérence de psychotropes, dans un Paris fantasmé. Dépassée par ses voyages intérieurs, elle se brouille avec Mikhaïl, qui semble avoir eu pour elle le rôle d'un père, avant de se perdre, littéralement, dans un Paris futuriste qui n'est, à dire vrai, qu'une illusion.



A bien des égards, le voyage de Karinh est une quête. Les membres de la mission cherchent à reprendre contact avec la Terre, eux qui ont passé leurs vies sur une station spatiale appelée l'Arche, située à huit mois de vol de la Terre. Pour Karinh, ce retour vers la Terre relève de la quête des origines, et donc de la quête du sens. Karinh serait d'origine terrienne, même si elle n'a jamais connu ses parents. Les rares informations dont elle dispose lui indiquent que ses parents venaient de Paris : au-delà du fantasme esthétique, Karinh cherche donc à savoir d'où elle vient réellement. Cette quête des origines est une quête du sens qui vaut tant pour Karinh que pour tout le genre humain. Même si l'Arche est une construction merveilleuse, elle ne peut remplacer la Terre. Cette quête, cependant, n'est pas un voyage idéal : c'est aussi une fuite en avant pour Karinh, qui honnit sa vie dans l'espace. Son rêve parisien a des revers sombres : c'est bien par la drogue qu'elle parvient à visiter l'ancienne capitale de France, et ces égarements éthérés lui vaudront une perte de contact avec la réalité.



La deuxième partie, qui se passe entièrement à Paris, prend des airs de réflexion sur la muséification des grandes villes dont Paris serait le parangon. La ville que découvre Karinh n'est plus qu'une façade, une collection de monuments où ne vivent même plus les Parisiens. Il n'est symboliquement pas anodin que Paris soit sous une bulle protectrice ; mais en mettant sous cloche quelque chose, on avoue sa fragilité. La réflexion et l'esthétique de cet album sont animés par d'autres réflexions et d'autres esthétiques plus anciennes, lesquelles sont développées dans un dossier documentaire à la fin de l'intégrale. Revoir Paris s'inscrit donc dans une ligne historique qui, depuis l'époque du baron Haussmann, interroge l'urbanisme de Paris. A travers cette réflexion séculaire sont questionnées la place et la relation entre l'homme et la machine dans l'espace urbain ; si certaines conceptions urbanistiques tendaient même à perdre le sens de l'humain (les projets du baron Haussmann ou du Corbusier), la réflexion de Schuiten et Peeters règle simplement le problème, en ôtant de la ville son caractère humain.



Ouvrir un album de Schuiten et Peeters est toujours un voyage en soi. L'intrigue deviendrait presque secondaire ; dans cet album, beaucoup d'éléments demeurent flous. Qu'est-ce que l'Arche ? Quelle est l'organisation politique sur Terre ? A vrai dire, ce n'est pas le plus important. On se contente de suivre Karinh dans cette exploration urbaine ; comme nous, elle ne connaît rien de ce monde. Cette exploration urbaine est bien équilibrée entre un Paris ancien (par les monuments ou les styles vestimentaires qui démontrent la muséification de la ville) et un Paris futuriste, s'étendant jusqu'au Havre, désertique à certains endroits.



Avec son ambiance très onirique, Revoir Paris est une sorte d'objet narratif difficile à définir, car l'album semble être davantage une projection narrative d'une réflexion intellectuelle sur l'urbanisme qu'une véritable mise en séquences d'une intrigue maîtrisée. Les personnages sont quelque peu naïfs et bruts, qu'il s'agisse de l'héroïne Karinh ou de son guide parisien, Matthias, dont on ne comprend pas vraiment les motivations. Les séquences s'enchaînent parfois abruptement, ce pourquoi l'on sent bien que l'important est de nous faire découvrir le Paris du XXIIème siècle et non de ciseler l'intrigue. Revoir Paris possède la poésie des objets un peu flous, qui ne sont pas vraiment ce que l'on attendait et sont donc, en miroir, ce que l'on attendait pas. Par sa thématique, son contexte et son traitement visuel, l'album trouve en tout cas pleinement sa place dans la série des Cités obscures.
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Les Cités obscures, Tome 1 : Les murailles de..

Ce premier album de la série des « Cités obscures » m’a fasciné par la beauté du dessin et des couleurs . Le scénario est moins convaincant : ces villes simulacres renvoient à des références historiques (les villages « Potemkine ») ou philosophiques ( par exemple le Baudrillard de « Simulacres et simulation » ) ,l’histoire est intemporelle et allégorique.
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Les Cités obscures, Tome 1 : Les murailles de..

BD où les grandes mégalopoles tiennent incontestablement le premier rôle. C’est une sorte d’hommage aux grands architectes du siècle dernier.



L’histoire se situe dans une sorte de monde parallèle au nôtre mais pas tellement différent en ce qui concerne ses lois et ses codes. Chaque tome est indépendant bien qu’on retrouve des personnages ici où là en clin d’œil. C'est une oeuvre qui pousse à une véritable réflexion philosophique. L’approche ne sera pas aisée pour tout le monde, il faut le savoir.



Malgré un certain classicisme du dessin, l’architecture des cités est vraiment soignée. Les personnages sont au contraire raides et inexpressifs. Ce n’est pas une de mes séries préférés, je dois le concéder ! Je reconnais une certaine qualité mais c’est quelquefois beaucoup trop abstrait et froid pour moi.



L'achat se justifie pour quelques tomes emblématiques mais pas sur toute la collection. Pour ma part, je possède les titres suivants: les murailles de Samaris, la fièvre d'Urbicande, la Tour, Brüsel.



Note Dessin : 4.5/5 – Note Scénario : 3/5 – Note Globale : 3.75/5
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Revoir Paris, tome 2 : La nuit des constell..

Raté... pas plus de réponses que dans le T2.

Une rencontre avec un terrien, la découverte d'un Paris attrayant, protégé... jusqu'à une attaque finale qui fera éclater le dome protecteur... mais dans quel but et par qui?

Encore et encore des questions.

Oui le dessin est attrayant mais cela ne suffit pas pour vous conseiller une lecture
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Autour de Blake & Mortimer : Le dernier Pha..

C'est plus fort que moi : quand un Blake et Mortimer sort en librairie, je me précipite pour l'acheter. C'est ma madeleine de Proust... Cette fois, avec le dernier pharaon, nous ne sommes pas dans un BLake et Mortimer à la manière d'E P Jacobs, mais dans un album s'inspirant de ses personnages.

En effet, le dessin n'est pas dans la tradition de la ligne claire, ce qui peut un peu déstabiliser les fans. Ce dernier n'est pas mauvais, mais ce n'est pas ce que je préfère. le graphiste abuse un peu trop à mon goût de la rayure et du pointillé comme trame de fond. Les personnages sont reconnaissables, mais pas tout à fait fidèles au trait d'E P Jacobs. le fait de les avoir vieilli facilité peut-être un peu le travail. L'atmosphère de l'album est apocalyptique dans un monde soumis à l'influence de la technologie. La philosophie de l'album est celle de la décroissance. le tout est sur fond plus scientifique qu'archéologique et ce sont justement les albums relatifs à l'archéologie que je préfère. La trame narrative est très cohérente et l'album copieux : une centaine de pages, ce qui laisse un peu plus de plaisir au lecteur.

Les auteurs utilisent quand même l'intrigue du mystère de la grande pyramide, qui inspire beaucoup les auteurs modernes. L'aventure imaginaire repartait également de cet album. J'ai pour ma part largement préféré l'aventure imaginaire qui avait su tisser une aventure toute de nostalgie et très fidèle à l'univers d'E P Jacobs.
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Les Cités obscures, Tome 8 : La frontière invis..

Yves Lacoste écrivait que la géographie servait à faire la guerre. Comme une illustration de la formule du géopoliticien, l'album La frontière invisible met en scène un jeune cartographe, Roland de Cremer, envoyé au Centre de Cartographie d'un Etat en pleine mutation, la Sodrovno-Voldachie. Travaillant sur des cartes et des photographies, Roland prend part à un projet plus important : l'élaboration d'une maquette qui représente la Sodrovno-Voldachie. Derrière cet ouvrage, il y a une volonté politique de marquer et d'élargir les frontières de cet Etat. Cette politique expansive a pour but de mettre la main sur le continent des cités obscures : autant d'occasions pour Schuiten et Peeters de glisser, ça et là, des références à leurs précédents albums.



Au Centre, Roland fait la connaissance d'une jeune femme, Shkôdra, qui possède sur le bas du dos un tatouage - ou une tâche de vin - qui semble représenter la Sodrovno-Voldachie. Très vite, les événements politiques qui agitent le Centre de Cartographie font croire à Roland que Shkôdra est en danger. Lorsque les militaires viennent prendre le contrôle du Centre, Roland s'enfuit à travers les paysages de Sodrovnie avec Shkôdra.



Ce sera peut-être là le seul défaut de l'album : le scenario. La narration pâtit d'une fin qui fait pschitt, sans réel dynamisme. Le secret de Shkôdra devient soit incompréhensible, soit d'une triste banalité. Toutefois, la BD présente de très nombreuses qualités qui justifient non seulement sa lecture mais également son approfondissement intellectuel. Nombreux sont les thèmes exploités : la géographie et ses possibilités, une interrogation sur la représentation cartographique et son lien avec la réalité (notamment dans la fuite de Roland dans des paysages qu'il est censé bien connaître), la question du progrès et de ses conséquences : déshumanisation (par le rôle accru de la statistique ou de la donnée pure, par l'évincement de la part artisanale dans les travaux du Centre), utilité réelle ... Par ailleurs, La frontière invisible présente toutes les caractéristiques du récit d'initiation. Ici, Roland apprend non seulement son métier mais il apprend aussi de lui-même, sur l'amour et la relation au pouvoir.



Mais l'oeuvre n'est pas qu'intellectualisante. Elle est aussi d'une beauté esthétique qui est devenue une habitude dans les œuvres de Schuiten et Peeters. On retrouve donc le trait rond, souple, évasif parfois mais précis toujours, légèrement appuyé par les couleurs pâles et pourtant chaudes (on est en plein désert !) de la Sodrovnie. François Schuiten maîtrise aussi bien les extérieurs (magnifiques planches sur la deuxième partie de l'album) que les intérieurs. Le récit invite au voyage par sa grande inventivité mais aussi par l'ambiance qui s'en dégage : on est au début de notre 20ème siècle, entre Art Nouveau et progrès technologiques (le zeppelin stylisé du maréchal), avec ses beautés et ses guerres (les champs de bombe, les champs de tombe, très métaphoriques et très graphiques), souvenirs d'une époque qui jongle dans notre inconscient avec la tendre nostalgie et l'horreur de la mort.
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Les Cités obscures, Tome 2 : La fièvre d'Urbica..

09.12.2016. année terrienne / 19h50 temps terrien, hémisphère nord, température extérieure : 7 °c , température relevé à l'intérieur du cerveau : 37.2 °C ../ Rapport Atos /// - Une PNI ( polution non identifiée ) m’oblige a maintenir mon cerveau en vol stationnaire au dessus de la Terre. Ces quelques heures de repos forcé, me donne l'occasion de mettre à jour le carnet de mon dernier voyage.

Cela fait maintenant 10 jours que j'explore peu à peu le monde des cités obscures. Mondes découverts par les deux capitaines de vaisseau : Schuiten et Peeters.

Urbicande , une des cités obscures, a connu une terrible fièvre. Cette cité coupée en deux, a vu se développer un réseau dont la nature, et la structure n'avaient jamais pu être observées jusqu'à lors ni dans le monde visible, ni dans aucun monde invisible.

Un cube pouvant se reproduire de façon autonome a pu tisser un réseau à travers les mondes. De l'infini petit à l’infiniment grand, à partir de son état de cellule embryonnaire, elle a pu par son expansion libérer chaque cité.

Nul ne sait d'où provient cet objet, nul ne comprend son but, nul ne sait quelle force le régit. Une seule certitude : cette force a la faculté de former un corps par la création d'un tissu urbain et de relier les points d'un ensemble. Les conséquences de son évolution, de ses transformations, provoquent des bouleversements d'ordre structurel, social, spatial, politique, culturel, , économique, tels qu'ils est impossible de prévoir encore aujourd'hui avec certitude leurs retombées.

En architecturant l'espace, ce cube permet aux habitants des cités de se déplacer librement, d'échanger, de se rencontrer, de communiquer, ouvrant des voies de communications nouvelles. M Robick est à ce jour le dernier urbitecte a suivre l'évolution de ce réseau. Il a pu cartographier son évolution naturelle. Les plans sont actuellement entre les mains du nouveau pouvoir politique d'Urbicande. Leur projet ? Reconstruire à l'identique le réseau à l’échelle de la cité. Permettant par conséquent au nouveau pouvoir politique de maîtriser l'ensemble du réseau.

D'après Robick La réalité de cet objet ne pouvant s’inscrire que dans un développement naturel et vivant tout maintien ou recréation artificiel de ce réseau ferait basculer la cité dans le chaos.

A ce jour seul le rapport de Robick a pu être retranscris. Je n'ai à ce jour reçu plus aucune tinformation d'Urbicande. Toute communication semble malheureusement coupée…

Vous l'aurez sans doute compris j'ai de nouveau fait un étonnant voyage grâce au talents conjugués de Schuiten et Peeters. Le graphisme est admirable. Le scenario est, je trouve, pour l'instant le plus riche et le plus complexe de la série des cités obscures. Mais je ne présume de rien, il me reste toute une galaxie à visiter !

Les hypothèses émises dans la partie consacrée à la légende du réseau valent leur pesant de philo.

J'ai, je l'avoue, un faible pour un des parcours idéologique de l’hypothèse, à savoir :

«  Dans une société capitaliste et pré-nazie, avec la complicité objective d'individualistes décadents, une structure dissidente s'impose et conduit droit au fascisme »...Intéressant non ? Terrifiant.

Je vous invite à aller découvrir les autres parcours, on bien à en inventer.



Astrid Shriqui Garain .
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Revoir Paris, tome 1

Schuiten - revoir Paris - Tome 1 - Schuiten – Peeters



Très belle BD.

L'action se passe, comme dans beaucoup de BD de ces auteurs dans un passé-futur ou futur-passé. Une jeune femme dans un vaisseau spatial tente, grâce à une drogue, de joindre ou rejoindre sa mère qui est sur Terre, à Paris, mais dans le passé.

Si la jeune Karinh voyage grâce à sa drogue, nous nous voyageons à travers les yeux de la jeune femme et c'est magnifique ;

J'ai beaucoup aimé le graphisme, les couleurs, les détails architecturaux, l'arche. C'est vraiment super.

J'ai hâte de lire le second tome pour connaître le fin mot de l'histoire
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Les Cités obscures, Tome 4 : La route d'Armilia

Il s'agit du cinquième tome dans le cycle des Cités Obscures, dans le cadre de la réédition entamée en 2007. Ce commentaire porte sur l'édition de 2010 qui comprend le récit principal "La route d'Armilia", ainsi que 3 récits courts : Mary la penchée (un conte pour enfants paru précédemment comme un album pour la jeunesse), Les chevaux de Lune et un conte inédit "La perle".



L'histoire s'ouvre avec une séquence de 2 pages en bandes dessinées traditionnelles. Dans la cité industrielle de Mylos, l'inspecteur Helmut se rend sur le site de production dont les cadences présentent des anomalies. Il est accompagné par Rainer le contremaître. Pour la séquence suivante, la forme de la narration change, avec un texte sur les 2 tiers de la page en grands caractères, et une unique illustration en haut de page sur la largeur de la page. Par la suite cette répartition pourra aller jusqu'à un texte d'une page avec une illustration pleine page en vis-à-vis, en passant par quelques illustrations sur une double page. Le récit change également de centre d'attention et narre le voyage en dirigeable de Ferdinand, de Mylos à Armilia (une cité située au pôle Nord). Au cours de ce voyage, il découvre Hella une passagère clandestine qu'il invite à voyager avec lui. Le parcours du dirigeable passe au dessus de cités comme Brüsel et Bayreuth, et comprend un arrêt à København.



Comme pour "L'archiviste", Benoît Peeters et François Schuiten ont décidé de jouer avec le format de la narration et de s'affranchir de la bande dessinée. Le récit comporte 60 pages dont 8 sont en bandes dessinées, les autres s'apparentant plus à des textes illustrés avec des dessins grands formats. Ils brouillent un peu la frontière entre ces 2 formes lorsqu'une page comporte une grande image centrale couvrant la page de bas en haut, bordée par 2 cases rectangulaires (elles aussi de la hauteur de la page) très fines. Du coup, le rapport du texte aux dessins ne relève plus de la présentation d'une bande dessinée, mais il conserve malgré tout quelques réglages en relevant.



Bien sûr les images créées par François Schuiten sont magnifiques, à la fois par les visions qu'elles proposent, mais aussi par la minutie de leur réalisation, et leur douceur onirique. Schuiten réalise ses planches au crayon à papier, puis les colorie au crayon de couleur, éventuellement rehaussé par des touches de peinture, avant de détourer les formes à l'encre de Chine. Cette technique confère une apparence délicatement texturée, légèrement surannée, assez douillette. Les dessins pleine page permettent d'apprécier de nouvelles vues de quelques cités obscures, comme les portes de Porrentruy, les gratte-ciels de Muhka, quelques bâtiments de Brüsel, le microclimat de København. Ils exposent également l'intérieur de l'aérostat : sa salle de balle, sa charpente métallique, la vue depuis le restaurant. Le lecteur se repaît avec délice de ses tableaux mélangeant science rétro-futuriste et architecture monumentale, pour une vision décalée et nostalgique de notre propre environnement.



En termes de narration, Peeters rend un hommage appuyé aux voyages extraordinaires de Jules Verne, avec une référence particulière à Cinq semaines en ballon (Voyage de découvertes en Afrique par trois anglais). Comme dans les tomes précédents la narration intègre une part de sous-entendus et d'implicite, à commencer par la raison pour laquelle la mission a été confiée à Ferdinand, ou même comment il a acquis la formule qui doit permettre de refaire fonctionner Armilia, ainsi que la nature de cette fonction. Ferdinand doit faire un effort de mémoire pour essayer de retrouver la formule, cela place le récit à mi-chemin entre la récitation de leçon et le conte avec une formule magique. Le contexte de l'histoire place Ferdinand dans une position matérielle privilégiée : il voyage sans avoir à se soucier de logistique, de travailler ou de payer quoi que ce soit. De ce point de vue, il s'agit d'une forme de récit qui semble plus destiné à la jeunesse qu'à des adultes.



Le lecteur du cycle des cités obscures repère facilement les références aux autres cités, et regarde avec attention l'apparition (1 image) de Régis de Brok (doyen de la Faculté des Sciences de Brüsel), déjà mentionné dans "La fièvre d'Urbicande"). Il s'attarde sur la carte où est tracé l'itinéraire du dirigeable pour situer chaque cité et découvrir d'autres noms. Il y a également cette inspection d'usine à Mylos qui introduit un rapport à l'imaginaire, un autre point de vue entre le réel et l'appétence de l'humanité pour toute forme de récit, d'invention narrative de l'esprit. Cette fois-ci Peeters et Schuiten mettent en scène comment l'individu utilise sa capacité à appréhender le réel (avec ses limitations, sa compréhension partielle, ses systèmes de pensée limités et erronés) pour transformer ses expériences en un récit, sa pulsion de narration, la transformation de l'expérience en une histoire plus séduisante. La chute du récit complexifie également le sens politique donné à l'exploitation de la main d'œuvre. La nature du produit construit vient pratiquement justifier l'effort des travailleurs, obligeant le lecteur à s'interroger sur la fin par rapport aux moyens, à contempler le résultat d'un labeur collectif.



Après "La tour" une bande dessinée traditionnelle, Benoît Peeters et François Schuiten proposent de découvrir une nouvelle cité Mylos et peut-être une deuxième Armilia, dans ce qui s'apparente par la forme à un conte illustré à destination de lecteurs plus jeunes. À nouveau les illustrations de Schuiten sont magnifiques invitant le lecteur au voyage dans des lieux à la fois palpables et oniriques. La narration reprend les conventions des romans de Jules Verne, tout en incorporant un commentaire politique ambigu sur le modèle industriel de la ville de Mylos et le conditionnement qu'elle induit sur la vie de ses citoyens. Dans les commentaires lors des rééditions, les auteurs ont explicité le fait qu'ils avaient voulu regrouper dans ce tome tous les récits destinés à des lecteurs plus jeunes. Le tome suivant invite le lecteur à visiter la cité obscure de Brüsel.



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- Mary la penchée (18 pages) - Initialement ce récit est paru en 1995 dans la collection jeunesse de Casterman, dans un format à l'italienne. Il met en scène le personnage de Mary von Rathen qui est également l'un des personnages principaux de L'enfant penchée. Il s'agit d'un récit illustré, et non d'une bande dessinée.



Un matin en se levant Mary découvre qu'elle penchée. Elle n'est pas malade mais son corps est incliné de 30 degrés par rapport à la verticale, n'obéissant plus aux lois élémentaires de la gravité. Après le passage du médecin, les parents de Mary doivent se rendre à l'évidence : leur fille ne simule pas. Ils décident de la placer dans une institution scolaire à la campagne en espérant que l'air frais lui fera du bien. Mary finit par s'échapper et fuir.



L'histoire est racontée du point de vue Mary, avec ses émotions, mettant en avant son sentiment de ne plus appartenir au monde des gens normaux, et d'être devenue une curiosité, une bête de cirque. Comme toujours, les dessins de François Schuiten sont d'une grande délicatesse et d'une grande finesse, représentant des intérieurs et des vêtements qui évoquent les années 1930 ou 1940. Dans la première moitié, il utilise régulièrement la couleur orange dans plusieurs teintes (abricot, tangerine, mandarine, orange brûlée, poil de chameau). La deuxième moitié du récit (celle où Mary ne subit plus, mais devient moteur de sa vie) devient un peu plus sombre, Schuiten recourant à des teintes de la famille du marron. Chaque illustration joue habilement sur l'inclinaison que ce soit celle de Mary, celle du l'environnement, ou les 2.



Le récit en lui-même est très linéaire, Mary suivant les déplacements de Mary, les différents stades de rejet dont elle fait l'objet, jusqu'à ce qu'elle trouve un environnement accueillant. Le thème principal est de celui de la différence et de l'appartenance, développé par le biais des réactions des individus de son entourage, et son propre besoin de trouver un lieu où elle se sente bien. Il n'apparaît qu'une seule image d'une cité obscure qui n'est pas nommée.



J'avais acheté cette histoire pour la lire à mes enfants qui ne l'ont jamais apprécié sans pouvoir dire pourquoi. L'image de l'enfant penchée leur est restée en mémoire, mais l'ambiance du récit, le degré de sophistication des illustrations et peut-être même les compositions de couleurs ne les ont pas séduits. Pour un adulte, il s'agit d'une lecture très rapide, et de dessins agréables à regarder et à contempler, mais dont le thème reste sous-développé.



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- Les chevaux de Lune (8 pages sans paroles) - Une jeune fille se réveille pendant la nuit. Elle voit un cheval tout blanc qui est entré par la fenêtre. Elle monte sur son dos et il l'emporte dans les airs.



Il s'agit également d'un conte pour enfants, cette fois-ci dénué de texte. La lecture en est très rapide. Il s'agit d'un voyage onirique illustrant la capacité des enfants à imaginer et intégrer le merveilleux dans leur vie quotidienne. Le choix des couleurs est à nouveau un peu sombre pour un ouvrage destiné à la jeunesse, et les dessins peut-être pas forcément adaptés à un jeune lectorat, même s'ils contiennent moins d'informations visuelles que ceux de "Mary la penchée".



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- La perle (12 pages) - Dans le royaume de Transsyldurie, la reine et le prince consort s'inquiètent de ce que leur fils Arnold VII, maintenant régent (la reine ayant abdiqué en sa faveur) ne soit toujours pas marié. Alors qu'il revient d'un long voyage diplomatique, il est toujours seul. Un soir une jeune femme se présente au château, elle s'appelle Ève-Marie, et est danseuse de son état. Le prince la connaît déjà et l'invite à passer une nuit au château. La reine mère n'ayant pas confiance dans cette demoiselle glisse une perle sous son matelas.



Benoît Peeters et François Schuiten adaptent à leur sauce (c'est-à-dire dans ce passé récent légèrement suranné) le conte de "la princesse au petit pois" d'Hans Christian Andersen. Le lien avec les cités obscures est bien présent même s'il se réduit au fait que le prince revienne d'un congrès numismatique dans la cité d'Alaxis, en dirigeable royal. Les dessins de Schuiten sont plus fournis que ceux des "Chevaux de Lune", et plus évocateurs que ceux de "Mary la penchée. La forme du conte est respectée, avec un zeste d'espièglerie qui en rend sa lecture fort agréable, y compris pour un adulte.
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Les Cités obscures, Tome 3 : La tour

Un univers à part, immersif. Je n'ai pas encore eu l'occasion de lire les autres tomes des cités obscures, il va falloir que j'y remédie. La reprise du mythe de la tour de babel est ici prodigieux, avec une fin qui ne déçoit pas. Si on y rajoute le travail graphique impressionnant, on obtient un petit bijou.
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Jim

couverture m'avait instantanément attirée. Oui, du temps car Jim évoque ce que tout compagnon d'un chien cherche le plus à tenter d'oublier: "Pourquoi la temporalité de l'existence des chiens est-elle  si différente de la nôtre ? On est condamnés à les voir vieillir si vite...". Car il s'agit du deuil de Jim,  Flat-Coated Retriever (chien d'eau, race dont j'ignorais l'existence) , qui durant treize ans a ala vie de François Schuiten.

A raison d'un dessin par jour, l'auteur nous rend palpable des petits moments d’existence de ce compagnon qui préférait les humains aux chiens , moments tendres, douloureux parfois quand le manque se fait trop difficile...Une merveille de sensibilité poétique, à mille lieues d'un roman qui en devient parfois illisible tant l'écriture en est travaillée: Son odeur après la pluie.

Et zou, sur l'étagère des indispensables.
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Les Cités obscures, tome 12 : Le retour du ca..

Pour cet hommage à Jules Vernes, Schuiten semble avoir sorti du placard sa vieille provision de plumes "Sergent-major" et avoir rempli son encrier de Chine avant de s'attaquer à ses compositions, toutes plus époustouflantes les unes que les autres...



Il fait équipe avec Peeters pour la conception d'une résurrection du Nautilus en un hybride...mécanitentaculaire (?) plus vrai que nature, qu'ils placent dans des situations improbables donnant naissance à des scènes insolites, aussi grandioses que bluffantes pour notre regard euh...ébaubi comme disait Dino.(Dino, le comparse de Shirley dans les années 2000, que les moins de 20 ans ne peuvent pas connaître peut-être...)



Le texte sobre nous invite à renouer avec l'immersion dans des mondes fabuleux, ceux-là même que nous découvrions au sortir de l'enfance. En fin d'ouvrage, un appendice nous donne à connaître la nature de la relation d'amitié et de respect qui lia Jules Vernes à son éditeur.



C'est autre chose qu'une BD, autre chose qu'un roman graphique. C'est comme le Nauti-poulpe en fait, c'est une espèce d'hybride, un magnifique OVNI (objet à voir non identifié) peut-être, en tous cas un pur plaisir des yeux.





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Les Cités obscures, Tome 1 : Les murailles de..

Ah cette histoire est inoubliable pour le dessin et pour le scénario, mais c'est bien là la marque des deux auteurs.

Intemporelle, le scénario démarre d'une cité mystérieuse, Xhystos, pour enquêter sur une cité non moins mystérieuse, Samarcande. Les décors, les engins, les personnages traduisent une esthétique rétrofuturiste tout à fait marquante et visuellement inspirante.

On reste dans le mystère tout au long du scénario. Et puis, on passe "de l'autre côté du décor" en quelque sorte. Une fois passé de l'autre côté du miroir, il semble impossible d'en revenir. Imaginatif et mystérieux jusqu'au bout. Une belle réussite!
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