Dans un monde où tout va (trop) vite, où règnent souvent un manque de considération des uns pour les autres mais aussi une propension au jugement facile, Françoise Henry fait le choix de nous conter l’histoire de Marcelle qui peut paraître somme toute ordinaire mais qui mérite de ne pas être oubliée, comme celle de chacun d’entre nous.
« c’est une vie comme une autre dirait-on mais pas tout à fait non plus car aucune vie entendez-vous bien aucune vie n’est exactement comme une autre
c’est une vie qu’on peut choisir de raconter parce que justement si on ne la raconte pas, comme elle est déjà presque tombée dans l’oubli, alors là ce sera un trou noir
et bien sûr qu’on pourrait essayer de sauver une autre vie en lui consacrant un bouquin, un petit bouquin de plus, mais même en y vouant toutes ses forces en y consacrant tous ses jours et toutes ses nuits armé d’un stylo on ne pourra jamais sauver toutes les vies alors la sienne, oui »
La façon d’écrire est originale, au niveau de la ponctuation (jamais un point, sauf le final) et de la disposition des phrases dans le texte. Elle est libre et peut être un peu perturbante mais seulement un peu. On lit comme en apnée, on dévore cette vie simple en apparence quasiment d’une traite.
« parce qu’il y a quelque chose dans cette vie, quelque chose qui semble ne pas vouloir mourir
on peut même la raconter sans mettre de point car dans une vie il n’y a jamais de point si ce n’est le final quand il n’y a plus rien à dire »
Il y a de la solitude mais aussi beaucoup d’abnégation dans cette vie-là. Marcelle vit davantage pour les autres que pour elle-même, même si l’on retient bien trop facilement son « sacré caractère ». Mais ce caractère l’est-il réellement, sacré ?
Elle passera une majeure partie de sa vie dans la petite ville de D. en Saône-et-Loire, là où ses parents tenaient une chapellerie rue Nationale, près des bords de Loire. Puisque j’ai longtemps vécu au cœur de ce département, j’ai facilement pu identifier la ville de D. et cela a apporté ce petit grain de sel, cette sensation de connaître l’endroit et de vivre au plus près des personnages.
Mais revenons-en à Marcelle puisque c’est elle l’héroïne extra-ordinaire, celle qui fut aux services de tous toute sa vie, jusqu’à en sacrifier son amour de jeunesse et vivre seule, toujours, si ce n’est avec sa mère afin d’accompagner sa vieillesse. Elle fait partie de ces personnes que l’on ne remarque pas, ou si peu, que l’on ne comprend pas toujours et que l’on étiquette sans rien savoir d’elles, ou si peu de choses. Ne laissant apparaître qu’une façade lisse, peut-être fade, et l’impression que l’on ne parviendrait jamais à « atteindre le noyau tendre ».
« (…) Marcelle épousait le sort de ses parents, elle épousait leurs tracas leurs soucis au jour le jour elle épousait leurs joies aussi leurs éclats de rire leurs histoires drôles (…) elle épousait tout ça avec beaucoup de calme et sans regret semblait-il, tout ça au lieu d’épouser
Pierre Andersen »
Je trouve l’idée merveilleuse, de laisser subsister l’âme d’une personne, son histoire et ce qu’elle était alors qu’a priori elle pourrait être vite oubliée. Permettre à cette vie minuscule de se poursuivre, celle dont l’ardeur intérieure n’a pourtant jamais cessé.
La longueur du texte est juste comme il faut pour nous tenir en haleine de bout en bout, pour dévaler les phrases, sauter à la ligne suivante, au mot d’après, celui en minuscules et parfois en majuscules, pour parcourir les rues et les lieux de la vie de Marcelle Jallard, de 1922 à 2018. Quasiment un siècle, ce n’est pas rien.
N’oubliez pas Marcelle, c’est laisser l’infime prendre place dans nos vies, c’est nous questionner sur notre rapport au monde et à ses habitants, c’est regarder les autres avec bienveillance et laisser tomber les apparences. C’est considérer. Une lecture pas si ordinaire qui trotte encore un peu dans la tête, APRÈS.
Un grand merci aux éditions du Rocher !
Lien :
https://ducalmelucette.wordp..