Citations de Fritz Leiber (144)
L’Australie, l’Indonésie, les Philippines, le Japon, la Chine orientale et la Sibérie avaient glissé maintenant dans la nuit. Le Vagabond, qui dès le début avait été souvent pris pour le yin-yang ou pour le mandala, fit vibrer des cordes religieuses et mystiques dans des millions d’âmes. Et des voix d’Extrême-Orient s’ajoutèrent à celles d’Amérique pour avertir la grappe des vieux continents sceptiques de l’Occident – le noyau culturel du monde – de ce qu’ils verraient à la tombée de la nuit.
Dans une demi-conscience, Goniface comprit qu'il venait d'assister au dernier grand triomphe de la Hiérarchie.
La balance semblait pencher de leur côté – la victoire complète était à portée de leurs mains – mais cela n'y changeait plus rien. Après des débuts discrets et hésitants, la Hiérarchie s'était enfin décidée à relever le défi lancé par la Sorcellerie – mais cela n'y changeait rien non plus. Victoire ou défaite, le dernier grand moment était passé. La Hiérarchie, la forme de gouvernement la plus parfaite que le monde eût jamais connue, était maintenant sur son déclin. Des hommes ambitieux se lèveraient peut-être encore, des rivalités pour le pouvoir personnel surgiraient. Mais ce seraient des ambitions de deuxième ordre, des rivalités secondaires.
Il avait vu s'évanouir le dernier grand moment. Et ce moment même avait revêtu un caractère désespéré et spasmodique, irréel dès son dénouement comme la dernière charge d'un fauve mourant, ou le dernier effort physique d'un homme avant de se résigner à la vieillesse.
[Fafhrd] Déjà , tu aurais pu amener des renforts. Mourir en enfer ne faisait point partie de mes ambitions.
[Souricier] Ni des miennes...
- Et si tu veux de saines lectures, regarde donc ça… Il semble que le Duc Danius a deux passions… Le sexe, comme le montrent tous ces volumes chargés d’érotisme… Et la mort dans ce cabinet noir. Imagine… Danius fait une brève pause pour relire un paragraphe sur la strangulation et les poisons dans les Jungles de Klesh…
[Fafhrd] Être contremaître est une tâche qui donne grand soif.
[Fafhrd] Sérieusement Souricier, ces femmes sont des reines.
[Souricier] Si fait… Elles ne fuient pas comme le feraient des souillons.
[Fafhrd] … Quant à leurs doigts palmés et leurs ouïes, ils me semblent un sommet de beauté féminine…
[Souricier] Certes...
- Ce Nordique est adepte des transes guerrières de son peuple… que nul homme civilisé ne peut anticiper.
- La vérité, mon cher, c’est que les temps sont durs à Lankhmar.
Je vais te dire pourquoi ton mémoriseur est si populaire, Fay, dit-il doucement. Ce n'est pas parce qu'il supplée au manque de mémoire ou parce qu'il stimule l'ego avec des subliminaux. C'est parce qu'il ôte toute initiative, il prend à sa charge l'effort nécessaire pour supporter la vie. Regarde, Fay, tous ces pauvres types engagés dans une course de rat souterraine contre la mort atomique, pour arriver, s'ils échappent aux pièges du jeu de l'Oie, à gagner décorations et argent, et toutes ces règles du jeu, par millions, qu'il faut avoir à l'esprit. Bon, tu prends l'un de ces types : chaque jour, quand il se réveille, il y a toutes ces choses qu'il doit se souvenir de faire, sinon il perd trois tours et risque même d'être expulsé du jeu par quelque ange de malheur. Mais maintenant, il a son mémoriseur, et il confie à son gentil mémoriseur argenté tout ce qu'il a à faire, et le mémoriseur, lui, doit s'en souvenir. Bien sûr, le type devra faire ce qu'il a à faire au bout du compte, mais, en attendant, l'initiative ne lui revient plus, il n'a plus de soucis. Il a transféré la responsabilité.
Les deux voleurs éprouvaient un soulagement, parce que, en dehors de la satisfaction qui s’attache toujours à un travail bien fait, ils avaient celle de savoir qu’ils allaient pouvoir à présent rentrer droit chez eux ; non pas pour retrouver une épouse, qu’Aarth les en préserve ! Ou des parents et des enfants, que tous les dieux s’y opposent ! Mais la Maison des Voleurs, quartier général et caserne de la Guilde toute-puissante, qui leur tenait lieu à la fois de père et de mère, bien qu’aucune femme ne soit admise à franchir le portail toujours ouvert donnant sur la Rue aux Truands.
—Ah ! Il faudra réellement que tu apprennes à mettre ta mère au pas, Fafhrd. Mais ne t’inquiète pas pour cela, mon chéri. Il est clair que tu ignores tout des armes dont une jeune épouse infatigable peut disposer contre une vieille belle-mère. Je la remettrai à sa place, même si je dois l’empoisonner.
Le Souricier Gris regarda à travers un tube de laiton à neuf coudes un décor qui ne pouvait être que le pinacle céleste et bleu de l’univers, là où les anges volent comme des libellules avec leurs ailes chatoyantes et où quelques héros choisis se reposent de l’ascension de cette montagne en regardant d’un œil critique le labeur de fourmi des dieux, à plusieurs niveaux plus bas.
En matière de dieu raté, pour résumer, on pouvait difficilement trouver meilleur exemple qu'Issek de la Cruche, dont le prêtre, assez logiquement, cumulait toutes les tares du religieux en instance d'être défroqué. Cacochyme, sénile et enclin à marmonner sans cesse, l'imbécile passait en outre le plus clair de son temps à s'excuser d'exister.
Il est heureux que Bach ait eu l'esprit mathématique et Pythagore l'amour de la musique.
La constellation d'Orion, visible dans l'encadrement de sa fenêtre, lui annonçait l'aube toute proche. Ses neuf étoiles les plus brillantes formaient l'image d'un sablier anguleux renversé qui semblait défier les dix-neuf lumières rouges clignotantes de la tour de la télévision.
Le premier choc passé, Fafhrd compris qu'il s'agissait sûrement de goules, des créatures dont la chair et les organes, avait-il entendu dire–sans trop y croire, jusqu'à cet instant précis–, étaient transparents sauf aux endroits où leur peau devenait jaunâtre ou rose brillant–en général sur les lèvres, les parties génitales et la minuscule poitrine des femmes.
On racontait aussi que ces monstres se nourrissaient exclusivement de chair, humaine de préférence, et qu'il était pour le moins déconcertant de voir la viande crue qu'ils avalaient descendre le long de leur oesophage, se transformer en bouillie dans leur estomac et disparaître au fur et à mesure que leur sang invisible assimilait la nourriture. En supposant qu'un être humain ait le temps d'assister à ce spectacle avant d'être dévoré à son tour.
En tentant d’estropier un homme, on peut finir par le tuer.
Le châtiment du vol en indépendant est rien moins que la mort, à Lankhmar.
Un estropié est censé être faible, c’est ce qui attire la sympathie.