La vie mondaine qui faisait naître en elle tant d’incertitudes avant qu’elle ne la connût n’était qu’un système de pactes ataviques, de cérémonies banales, de mots connus à l’avance, avec lesquels les uns et les autres s’amusaient en société pour ne pas s’entre-tuer.
Dans la solitude du palais, elle apprit à le connaître, ils se découvrirent l’un l’autre, et elle comprit soudain, débordante de joie, que l’on aime ses enfants non parce qu’ils sont des enfants mais parce qu’en les élevant on devient leur ami.
Il comprit alors que lorsqu’un homme commence à ressembler à son père c’est qu’il commence à vieillir.
Elle lui rappela que les faibles jamais n’entreraient au royaume de l’amour , qui est un royaume inclément et mesquin, et que les femmes ne se donnent qu’aux hommes de caractère car il leur communiquent la sécurité dont elles ont tant besoin pour affronter la vie.
Bien des années plus tard, face au peloton d'exécution, le colonel Aureliano Buendia devait se rappeler ce lointain après-midi au cours duquel son père l'emmena faire connaissance avec la glace. Macondo était alors un village d'une vingtaine de maisons en glaise et en roseaux, construites au bord d'une rivière dont les eaux diaphanes roulaient sur un lit de pierres polies, blanches, énormes comme des oeufs préhistoriques. Le monde était si récent que beaucoup de choses n'avaient pas encore de nom et pour les mentionner, il fallait les montrer du doigt. Tous les ans, au mois de mars, une famille de gitans déguenillés plantait sa tente près du village et, dans un grand tintamarre de fifres et de tambourins, faisait part des nouvelles inventions.