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Citations de Georges Didi-Huberman (124)


Cher Lászlo Nemes, me voici donc, pour finir, avec l'impression étrange qu'avec votre travail documentaire considérable, vous avez réussi à faire de votre film, non pas une reconstitution historique du Sonderkommando de Birkenau, mais un véritable conte cinématographique tirant sa logique de traditions littéraires à la fois très anciennes et très modernes.
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Georges Didi-Huberman
"les paléontologues estiment que l'homo sapiens doit sa survie puis son succès à sa capacité à migrer, qui lui a permis de répondre aux glaciations et aux canicules des derniers cent mille ans" Hervé Le Bras ( l'Age des migrations, extrait)
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Celui qui est ému devant les autres ne mérite pas le mépris. Il expose sa faiblesse, il expose son impouvoir, ou son impuissance, ou son impossibilité à "faire face", à "faire bonne figure", comme on dit. Éventuellement, on dira de lui : "Il ne lui reste plus que les yeux pour pleurer", façon de dire qu'il est devenu quelqu'un de pauvre devant les choses de la vie. Mais cette pauvreté, en fait, n'a rien de ridicule ni de lamentable. Bien au contraire. En prenant le risque de "perdre la face", l'être exposé à l'émotion s'engage aussi dans un acte d'honnêteté : il refuse de mentir sur ce qui le traverse, il refuse de faire semblant. Cela peut même, en certaines circonstances, apparaître comme un acte de courage que d'oser montrer son émotion.
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En quoi ce qui concerne « tous les hommes » pourrait-il apparaître dans le silence momentané de quelques paroles singulières, bref, dans l’exercice « le moins collectif » qui soit parce qu’il brise, justement la continuité du dialogue voire le lien social avec autrui ? Telle est, exactement, la question que nous adressent ici les silences de ces témoins, ces blancs soucis du témoignage. Mais qu’est-ce qu’un souci au juste? (...)
     
Le verbe latin d’où vient notre français « soucier » est le verbe sollicitare. Son sens physique (agiter, remuer) aura donné lieu a tout un vocabulaire du tourment psychique, de l’inquiétude, mais aussi – ou pour cela même – du désir amoureux (voilà pourquoi sollicitare veut également dire « exciter, provoquer, attirer »). Le souci est tourment parce qu’il est tendu vers l’autre quand l’autre ne cesse de se dérober. Il manifeste donc la sollicitude du désir, de l’amour et, en général, de l’attention accordée au monde et à autrui. (…)
     
Il y a enfin une histoire poétique du souci. Je la résumerai en trois simples moments. Le premier est celui de la beauté : c’est lorsque Malherbe invente cet admirable expression du désir ou du regard comme ce qui va et vient, comme une vague, entre le donné et le retiré : « Beauté, mon beau souci, de qui l’âme incertaine / A, comme l’Océan, son flux et son reflux... » Le deuxième moment est l’antithèse d’où je suis parti, celle de Mallarmé saluant le blanc comme cheville dialectique de tout souci : Solitude, récif, étoile / À n’importe ce qui valut / Le blanc souci de notre toile. » Le troisième moment pourrait être celui où le montage assume l’un et l’autre des deux précédents termes : c’est lorsque Jean-Luc Godard, reprenant et prolongeant la formule de Malherbe, compare le montage, son « beau souci », à un « battement de coeur », un «  raccordement sur un regard » ou encore ce qu’il nomme la « mise d’une inconnue en évidence » lorsque, dans le travail sur les images on parvient à « faire ressortir l’âme sous l’esprit, la passion derrière la machination, [et à] faire prévaloir le coeur sur l’intelligence en détruisant la notion d’espace au profit de celle du temps ».
     
*
     
Les « blancs soucis «  du témoignage témoignent eux-mêmes de « mouvements de temps » – mouvements pluriels et temps pluriels – à l’oeuvre dans la diégèse de chaque récit historique. Ils sont affaires de montages et d’intervalles, de fractures et d’assemblages anachroniquement réunis selon des processus d’attraction ou, au contraire, de conflits. Parler en général du silence dans la parole, parler du souci hors de toute « anthropologie concrète » ne nous amène pas très loin, seulement à de belles notions dénuées de chair, dénuées de gestes. Il faudrait, regarder le montage d’Esther Shalev-Gerz, savoir redescendre des grands paradigmes - « l’instant prégnant » selon Lessing ou « l’être de l’être-là » selon Heidegger – vers les petits syntagmes : descendre, en somme, depuis une philosophie du silence en général vers ces discrets segments ou brins de silence que nous découvrons, ici et là, au fil des récits produits par les témoins de l’Histoire. Le témoignage ne « sort » pas du silence comme on pourrait d’abord le croire en écoutant le récit de tous ceux qui ont décrit leur accession à la parole sur fond d’une préalable mutité ressentie comme prison, comme un camp dans le camp, si l’on peut dire. On sait bien que, à l’autre bout de ce spectre, la mémoire peut être menacée par sa saturation même : « Mémoires saturées. Nous aurions besoin de silence » , comme l’écrit Régine Robin. La mémoire elle-même a besoin de ses propres « blancs » : la réticulation de ses veines, de ses lieux intervallaires, de ses propres fêlures. (...)
     
Il n’y a donc rien de simple dans les « blancs soucis «  du témoignage. Le silence n’est pas un matériau uniforme, loin de là. Ce peut être tour à tour une impasse ou un passage, un bloc ou une respiration, une absence de son, je veux tout aussi bien dire une absence de sens, ou bien leur résonance souveraine. « Ce n’est rien dire précisément que parler d’ineffable » , écrivait Jean Paulhan en ouverture à ses Fleurs de Tarbes. Si, devant le montage d’Esther Shalev-Gerz, on décidait de se livrer à « l’anthropologie concrète », précise, micrologique, de chaque silence recueilli à chaque interruption de parole, à chaque suspension des mots – quels mots avant ? quels mots après ? quel ton ? quel phrasé ? quelles mimiques ? , on parviendrait peut-être à dresser une cartographie des champs de batailles que se livrent, au cours du témoignage, chaque silence avec chaque silence et chaque mot, chaque mot avec chaque mot et chaque silence.
     
pp. 92-97 / 101-102.
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L'urgence politique et esthétique, en période de "catastrophe" - ce leitmotiv courant partout chez Benjamin -, ne consisterait donc pas à tirer les conséquences logiques du déclin jusqu'à son horizon de mort, mais à trouver les ressources inattendues de ce déclin au creux des images qui s'y meuvent encore, telles des lucioles ou des astres isolés.
(p. 106)
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Du très grand nombre d’exemples convoqués par Klemperer, on peut extraire deux caractéristiques fondamentales de cette langue totalitaire. La première caractéristique est sa "pauvreté" intrinsèque (…)
Ainsi la langue du III° Reich réifie, mécanise toute humanité – et pour cela, elle devra se mécaniser elle-même. Sa pauvreté sera dureté inamovible, absence de fluidité ou de plasticité.
(…)
Tout cela pour tout dire – pour dire que tout est désormais « total » - de façon à la fois brève et hyperbolique, impérieuse et prétentieuse. Le paradoxe de la langue du III° Reich, c’est qu’elle ne fut « pauvre » qu’à induire cette autre caractéristique fondamentale qu’était « l’enflure ». Il ne suffisait plus d’être Allemand, il fallait être fanatiquement Allemand.
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Sur les 185 espèces de primates subsistantes, seul l'homme a un comportement migrateur. Homo sapiens n'est autre, pour finir, qu'un remarquable homo migrans. Vouloir l'oublier - le refouler, le haïr - c'est simplement s'enfermer dans les remparts de la crétinisation. Mieux vaut entendre la leçon de " ceux qui savent encore être en mouvement".
Georges Didi-Huberman - 5-14.03.2017
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Homo sapiens n'est autre, pour finir, qu'un remarquable Homo migrans. Vouloir l'oublier - le refouler, le haïr -, c'est simplement s'enfermer dans les remparts de la crétinisation. Mieux vaut entendre la leçon de « ceux qui savent encore être en mouvement ».
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Tu avais raison.
Les hommes vont oublier ces trains-ci
comme ces trains-là.
Mais la cendre
se souvient. (p. 11)

Niki Giannari - Des spectres hantent l'Europe (Lettre de Idomeni).
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C’est ce « Tout solidaire » et fluide que Hugo résume si bien dans un seul vers des Contemplations :
« À jamais ! le sans fin roule dans le sans fond. »
     
Comme souvent, Victor Hugo regarde un mot français à partir de son usage latin. Il pense donc l’immanence selon le verbe immanere, qui signifie rester, demeurer. Mais le poète regarde aussi l’adjectif latin qui se trouve juste à côté, dans le dictionnaire : c’est le mot immanis, qui signifie l’immense, le trop vaste, le monstrueux, le prodigieux, l’âpre et le farouche, bref, tout ce que Hugo prête justement aux « forces obscures » de la physis comme de la psyché, de la souveraine tourmente naturelle comme des perpétuels tourments de l’âme.
Il y eut d’autre part chez Hugo, comme chez nombre de poètes et de grands artistes, une sorte d’intuition philosophique qui le menait d’un seul geste au problème juste : il n’avait sans doute pas remarqué que l’énoncé de l’immanence, chez Spinoza, va de pair avec un vocabulaire de la fluidité (effluere) et du pli (complicare, explicare), mais il n’en fit pas moins du monde un grand tumulte de fluides et de plis. (pp. 88-89)
     
« La vague est un problème extérieur, continuellement compliqué par la configuration sous-Marine. » [Les Travailleurs de la mer*]
La vague sans cesse extravague. Elle est « errante et souple », façon de nommer sa fluidité absolue. C’est un « chaos »pour trembler, mais ce sera un « ordre » pour penser. Lorsqu’elle est « énorme », Hugo la fait rimer avec le mot « informe ». Mais elle ne manque jamais à la fin, d’imprimer délicatement ses formes froncées sur chaque coquillage qu’elle rejette sur la grève « avec un bruit vague » ... La vague — qu’il faut comprendre dans sa durée propre, dans son mouvement d’amplitude quasi sculpturale puis d’évanouissement dans le milieu océan — serait donc entre l’informe et la forme. Hugo affirme, on s’en souvient : « L’indescriptible est là [...], impossible de se le figurer. [...] Pas plus que l’immanence de la création, le travail dans cette immanence n’est imaginable.*»
Que fait l’artiste devant l’indescriptible ? Il fait mieux que décrire. Que fait-il devant l’inimaginable ? Il imagine quand même, et un peu plus encore. Il trouve tous les biais pour se retrouver dans l’œil de « la » cyclone, c’est à dire au centre du problème. La vague est insaisissable ? Qu’à cela ne tienne, le poète véritable sera vague et fera des vagues.
...
     
Être vague, faire des vagues : autre façon de dire la poétique de l’immanence qui caractérise toute cette œuvre. Quand Hugo dit « je travaille », il explique qu’il prend « du papier sur [sa] table, une plume », et qu’avec de l’encre il « songe » — « Je fais ce que je puis pour m’ôter du mensonge » —, afin que surgisse « le gouffre obscur des mots flottants ». Comme si travailler équivalait, strictement, à faire monter en soi (par la pensée flottante, par l’encre marine, dans la plume aérienne et jusque sur le papier lui-même) le travail de la mer. Et quand il appréhende le futur de sa tâche, le poète écrit : « Le travail qui me reste à faire apparaît à mon esprit comme une mer, [un] entassement d’œuvres flottantes où ma pensée s’enfonce », entassement qui aura fini par prendre Océan pour titre générique. Plus encore, l’activité artistique — activité rythmique par excellence, sismographique ou « barométrique » —sera éprouvée par Hugo comme une mer en tant même que mouvement d’immanence :
     
« L’art, en tant qu’art et pris en lui-même, ne va ni en avant, ni en arrière. Les transformations de la poésie ne sont que les ondulations du beau, utiles au mouvement humain [...]
La poésie est élément. Elle est irréductible, incorruptible et réfractaire. Comme la mer, elle dit chaque fois tout ce qu’elle à a dire; puis elle recommence avec une majesté tranquille, et avec cette variété inépuisable qui n’appartient qu’à l’unité.
Cette diversité dans ce qui semble monotone est le prodige de l’immensité.
Flot sur flot, vague après vague, écume derrière écume, mouvement puis mouvement [V. Hugo: William Shakespeare, 1964].» (pp. 101-103)
     
La vague hypocondriaque - extrait.
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Portbou, 26 septembre de l'an 1940.
Le jour où la frontière s'est fermée, Walter Benjamin s'est donné la mort.
S'il arrivait un jour avant ou un jour après ?
Car personne n'arrive à la frontière
un jour avant ou un jour après.
On arrive dans le Maintenant. (p. 16)

Niki Giannari - Des spectres hantent l'Europe (Lettre de Idomeni).
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Les lucioles ont disparu, cela veut dire : la culture, où Pasolini jusque-là reconnaissait une pratique -populaire ou avant-gardiste - de résistance, est elle-même devenue un outil de la barbarie totalitaire, confinée qu'elle se trouve à présent dans le règne marchand, prostitutionnel, de la tolérance généralisée : " La prophétie -réalisée - de Pasolini tient, en fin de compte, en une phrase : la culture n'est pas ce qui nous défend de la barbarie et doit-être défendu contre elle, elle est ce milieu même dans lequel prospèrent les formes intelligentes de la nouvelle barbarie.
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«  Make it artistic.But show the truth. » Samuel Fuller.
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Aussi poignante que la détresse endurée par Victor Klemperer demeure sans doute l'endurance avec laquelle, dans son "Journal", il oppose au régime de terreur politique nazie ce qu'il nommera avec humour, modestie et tendresse - sur la base d'un souvenir d'enfance - ses "soldats de papier".
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Là où la vie emmure, l'intelligence perce une issue, car s'il n'est pas de remède à un amour non partagé, on sort de la constatation d'une souffrance, ne fût-ce qu'en en tirant les conséquences qu'elle comporte. L'intelligence ne connaît pas ces situations fermées de la vie sans issue. M. Proust- A la recherche du temps perdu- Le temps retrouvé (1927)
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Dans un magnifique petit texte intitulé "Fouille et souvenir", Walter Benjamin a rappelé - à la suite de Freud - que l'activité de l'archéologue pouvait éclairer, par-delà sa technique matérielle, quelque chose d'essentiel à l'activité de notre mémoire. "Qui tente de s'approcher de son propre passé enseveli doit faire comme un homme qui fouille. Il ne doit pas craindre de revenir sans cesse à un seul et même état des choses - à le disperser comme on disperse la terre, à le retourner comme on retourne le royaume de la terre." Or, ce qu'il trouve, dans ce ressassement dispersé, toujours remonté du temps perdu, ce sont "les images, qui arrachées à tout contexte antérieur, sont pour notre regard ultérieur des joyaux en habits sobres, comme les torsi dans la galerie du collectionneur."
Cela signifie deux choses au moins. D'une part, l'art de la mémoire ne se réduit pas à l'inventaire des objets mis au jour, des objets clairement visibles. D'autre part, que l'archéologie n'est pas seulement une technique pour explorer le passé, mais aussi et surtout une anamnèse pour comprendre le présent.
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La réponse implicite de Klemperer (…) est que les émotions méritent d’être rappelées au même titre que tous les autres documents pour l'histoire. Elles apparaissent dans les âmes et dans les corps parallèlement aux faits effectifs qui adviennent dans la réalité concrète et aux faits de langue échangés dans l’espace social : comme des symptômes, en somme. (…) Rendre compte d’une situation, d’une atmosphère, d’un milieu d’histoire, c’est n’oublier, avec les faits ou les actes concrets qui s‘égrènent dans la chronologie, ni les faits de langue ni les faits d’affect qui leur sont concomitants.
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(p. 30)

Pour réagir de façon raisonnable, il faut en premier lieu avoir été "touché par l'émotion"; et ce qui s'oppose à l'"émotionnel", ce n'est pas en aucune façon le "rationnel", quel que soit le sens du terme, mais l'insensibilité, qui est fréquemment un phénomène pathologique, ou encore la sentimentalité, qui représente une perversion du sentiment."

(citant Hannah Arendt, du mensonge à la violence. Essais de politique contemporaine)
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Admirable vision dialectique d’un côté : capacité à reconnaître dans la moindre luciole une résistance, une lumière pour toute la pensée. Désespoir non dialectique de l’autre : l’incapacité à chercher de nouvelles lucioles une fois qu’on a perdu les premières -les « lucioles de la jeunesse »- de vue.
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"C'est que la science du XIXè siècle apparaît à ses contemporains mêmes comme une véritable féerie, tour à tour miraculeuse et inquiétante. Elle amplifie, quelquefois jusqu'au délire, la spectacularisation du savoir commentée au XVIè siècle avec les Wunderkammern, puis prolongée aux XVIIè et XVIIIè siècles à travers cette confusion du théâtre et du laboratoire {...} La bizarre "machine" mise au point par Marey pour ses photographies de volutes n'est-elle pas à la fois un appareil de laboratoire et un théâtre en miniature pour assister aux drames de deux personnages constamment affrontés, l'obstacle (immobile) et le filet (mobile) de fumée?"
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