Citations de Gustave Flaubert (2962)
"Avant les Dieux, les ténèbres étaient seules, et un souffle flottait, lourd et indistinct comme la conscience d'un homme dans un rêve. Il se contracta, créant le Désir et la Nue, et du Désir et de la Nue sortit la matière primitive. C'était une eau bourbeuse, noire, glacée, profonde. Elle enfermait des monstres insensibles, parties incohérentes des formes à naître et qui sont peintes sur la paroi des sanctuaires..."
Tout lui parut enveloppé par une atmosphère noire qui flottait confusément sur l’extérieur des choses, et le chagrin s’engouffrait dans son âme avec des hurlements doux, comme fait le vent d’hiver dans les châteaux abandonnés. C’était cette rêverie que l’on a sur ce qui ne reviendra plus, la lassitude qui vous prend après chaque fait accompli, cette douleur enfin que vous apportent l’interruption de tout mouvement accoutumé, la cessation brusque d’une vibration prolongée..
Les bonheurs futurs, comme les rivages des tropiques, projettent sur l'immensité qui les précède leurs mollesses natales, une brise parfumée, et l'on s'assoupit dans cet environnement, sans même s'inquiéter de l'horizon que l'on n'aperçoit pas.
J'ai une religion, ma religion, et même j'en aie plus qu'eux tous, avec leurs momeries et leurs jongleries! J'adore Dieu au contraire! Je crois en l'être suprême, à un créateur quel qu'il soit, peut m'importe qui nous a placé ici bas pour y remplir nos devoirs de citoyen et de père de famille; mais je n'ai pas besoin d'aller dans une église, baiser des plats d'argents et engraisser de ma poche un tas de farceur qui se nourrissent mieux que nous! Car on peut l'honorer aussi bien dans un bois, dans un champ ou même en contemplant la voûte éthérée, comme les anciens. Mon Dieu a moi c'est celui de Socrate, de Franklin, de Voltaire et de Beranger! Aussi je n'admet pas un bonhomme de bon Dieu qui se promène dans son parterre la canne à la main, loge ses amis dans le ventre des baleine, meurt en poussant un cris et ressuscite au bout de trois jours: choses absurdes en elles-même et complètement opposé d'ailleurs à toutes les lois de la physique; ce qui nous démontre en passant, que les prêtres ont toujours crouler sous une ignorance turpide, ou ils s'efforcent d'engloutir avec eux les populations.
La vie n'est supportable qu'avec une ivresse quelconque.
Il y a toujours quelque désir qui entraîne, quelque convenance qui retient.
Par une concentration plus forte, j'aurai des poèmes sublimes, des monuments éternels ; et toute la matière sera pénétrée des vibrations de ma cithare !
La conversation de Charles était plate comme un trottoir de rue, et les idées de tout le monde y défilaient, dans leur costume ordinaire, sans exciter d’émotion, de rire ou de rêverie…. Un homme, au contraire, ne devait-il pas tout connaître, exceller en des activités multiples, vous initier aux énergies de la passion, aux raffinements de la vie, à tous les mystères ? Mais il n’enseignait rien, celui là, ne savait rien, ne souhaitait rien.
Je peux faire se mouvoir des serpents de bronze, rire des statues de marbre, parler des chiens. Je te montrerai une immense quantité d'or ; j'établirai des rois ; tu verras des peuples m'adorant ! Je peux marcher sur les nuages et sur les flots, passer à travers les montagnes, apparaître en jeune homme, en vieillard, en tigre et en fourmi, prendre ton visage, te donner le mien, conduire la foudre. L'entends-tu?
C'est la voix du Très-Haut ! "car l'Eternel ton Dieu est un feu", et toutes les créations s'opèrent par des jaillissements de ce foyer.
Encore un jour ! un jour de passé !
Autrefois pourtant, je n'étais pas si misérable !
Avant la fin de la nuit, je commençais mes oraisons; puis, je descendais vers le fleuve chercher de l'eau, et je remontais par le sentier rude avec l'outre sur mon épaule, en chantant des hymnes. Ensuite, je m'amusais à ranger tout dans ma cabane. Je prenais mes outils; je tâchais que les nattes fussent bien égales et les corbeilles légères; car mes moindres actions me semblaient alors des devoirs qui n'avaient rien de pénible.
A des heures réglées je quittais mon ouvrage; et priant les deux bras étendus je sentais comme une fontaine de miséricorde qui s'épanchait du haut du ciel dans mon coeur. Elle est tarie, maintenant. Pourquoi?...
il aimait un livre, parce que c’était un livre, il aimait son odeur, sa forme, son titre. (…)
Cette passion l’avait absorbé tout entier, il mangeait à peine, il ne dormait plus, mais il rêvait des nuits et des jours entiers à son idée fixe : les livres. (…)
Il savait à peine lire.
Elle pleura en écoutant la Passion. Pourquoi l'avaient-ils crucifié, lui qui chérissait les enfants, nourrissait les foules, guérissait les aveugles, et avait voulu, par douceur, naître au milieu des pauvres, sur le fumier d'une étable ? (...) Elle avait peine à imaginer sa personne ; car il n'était pas seulement oiseau, mais encore un feu, et d'autres fois un souffle. C'est peut-être sa lumière qui voltige la nuit aux bords des marécages, son haleine qui pousse les nuées, sa voix qui rend les cloches harmonieuses ; et elle demeurait dans une adoration, jouissant de la fraîcheur des murs et de la tranquillité de l'église.
Quant aux dogmes, elle n'y comprenait rien, ne tâcha même pas de comprendre. Le curé discourait, les enfants récitaient, elle finissait par s'endormir ; et se réveillait tout à coup, quand ils faisaient en s'en allant claquer leurs sabots sur les dalles.
Ce fut comme le ciel, quand un coup de vent chasse les nuages. L'amas des pensées tristes qui les assombrissaient parut se retirer de ses yeux bleus ; tout son visage rayonna. Elle semblait déterminée sans l'interrompre. Croisant les bras et en baissant sa figure elle considérait ses sandales et elle faisait des petits mouvements, par intervales avec ses orteils.
La parole est un laminoir qui allonge toujours les sentiments.
Le poli de ses casseroles faisait le désespoir des autres servantes
Quant à Emma, elle ne s'interrogea point pour savoir si elle l'aimait. L'amour, croyait-elle, devait arriver tout à coup, avec de grands éclats et des fulgurations,- ouragan des cieux qui tombe sur la vie, la bouleverse, arrache les volonté comme des feuilles et emporte à l'abîme le coeur entier. Elle ne savait pas que, sur la terrrasse des maisons, la pluie fait des lacs quand les gouttières sont bouchées, et elle fut ainsi demeurée en sécurité, lorsqu'elle découvrit subitement une lézarde dans le mur.
Elle n'a rien d'une autre fille des hommes! As-tu vu ses grands yeux sous ses grands sourcils, comme des soleils sous des arcs de triomphe? Rappelle-toi: quand elle a paru, tous les flambeaux ont pâli. Entre les diamants de son collier, des places sur sa poitrine nue resplendissaient; on sentait derrière elle comme l'odeur d'un temple, et quelque chose s'échappait de tout son être qui était plus suave que le vin et plus terrible que la mort.
Jamais, moi vivant, on ne m’illustrera. ( Lettre à Ernest Duplan, 12 juin 1862)
Jeudi soir, 23 heures,
6 août 1846
[...] J'ai au fond de l'âme le brouillard du Nord que j'ai respiré à la naissance. Je porte en moi la mélancolie des races barbares, avec ses instincts de migrations et ses dégoûts innés de la vie qui leur faisaient quitter leur pays comme pour se quitter eux-mêmes. Ils ont aimé le soleil, tous les barbares qui sont venus mourir en Italie ; ils avaient une aspiration frénétique vers la lumière, vers le ciel bleu, vers quelque existence chaude et sonore ; ils rêvaient des jours heureux, pleins d'amours, juteux pour leurs coeurs comme la treille mûre que l'on presse avec les mains. J'ai toujours eu pour eux une sympathie tendre, comme pour des ancêtres. Ne retrouvais-je pas dans leur histoire bruyante toute ma paisible histoire inconnue ? [...]
(Editions Payot & Rivages, Paris, 2017, p. 31)
Je sens contre la bêtise de mon époque des flots de haine qui m'étouffent. Il me monte de la merde à la bouche, comme dans les hernies étranglées. Mais je veux la garder, la figer, la durcir. J'en veux faire une pâte dont je barbouillerais le XIXè siècle, comme on dore de bougée de vache les pagodes indiennes ; et qui sait ? cela durera peut-être ? Il ne faut qu'un rayon de soleil ? l'inspiration d'un moment, la chance d'un sujet ?
(Lettre 69 de Flaubert à Bouilhet le 30 septembre 1855)