Citations de Inès Cagnati (41)
Vous savez, docteur, quelquefois on croit que les gens sont morts et ils ne sont pas morts. Ils en ont juste l’air.
Regardez dans les rues, c’est le pauvre qui a honte d’avoir faim, d’être mal habillé et d’avoir les yeux qu’il a et non pas celui qui mange trop et qui ne sait plus comment utiliser son argent et pourtant, je le demande aujourd’hui, à qui revient la plus grande honte ?
Dans une vie, pour vivre vraiment, il faut au moins avoir un arbre pour que la pluie n’entre pas dans les yeux, un banc ou un vieux mur pour s’asseoir au soleil et regarder, et puis, aussi, une poignée de terre pour se couvrir le visage une fois mort. Voilà ce qu’il faut, si on veut vivre un peu.
Je voulais toujours lui dire que j’étais là à l’attendre, que j’étais si contente, si contente qu’elle soit revenue ce soir encore, que moi je l’aimais. Mais elle avait le visage plein de silence.
Plus jamais d'école, plus aucune maîtresse pour me traiter de gourde ou pire encore, et moi je ne peux jamais répondre
Pierre parlait. Ses yeux devenaient plages veloutées où dansait l'eau habitée d'étoiles. Dans la gare désertée, ses yeux se veloutaient du soleil des plages. J'étais la nuit, au bord des plages, oiseau rouge dans la musique des vents dans les filaos.
L'enfant, c'est la mémoire de la vie.
Elle ne me parlait pas. Parfois, le soir, elle pleurait. Je me souviens. Je disais :
- Pourquoi tu pleures ?
Elle ne répondait pas. Je disais :
- Ne pleure pas.
Je voulais aller vers elle, lui dire :
- Moi tu m'as.
Mais elle pleurait loin. Il y avait, partout, beaucoup de silence, les saules fous de la rivière, les aboiements des renards affamés sur la colline, et elle qui pleurait loin et qui disait parfois :
- Et moi, je n'ai rien eu. Rien eu.
J'aurais voulu aller vers elle.
Je cherchais les nids de corbeaux, je me disais comment je les apprivoiserais aussi, je leur apprendrais à parler, à rester percher sur mes épaules ou sur ma tête, et tous, les renards et les corbeaux et moi, on s'aimerait tranquillement, comme des familles heureuses.
Quand on me demande comment c'est, à la maison, mes parents, toutes mes sœurs, et notre vie, je pars sans répondre. Et si je réponds, j'invente des histoires en ajoutant beaucoup de détails pour faire vrai. Parce qu'enfin, on n'a pas à me demander ici ce qui se passe à la maison. Ce qui se passe à la maison ne regarde personne.
Ses yeux heureux et lumineux sont plus vivants que ceux qui voient.
Lorsqu'on déteste les gens, on leur en veut d'être là, même si ce n'est pas du tout de leur faute.
Je ne comprends même pas comment elle peut m'aimer. Moi, si j'étais aussi merveilleuse qu'ellr, je ne m'aimerais pas, je me détesterais d'être si noire, avec ces cheveux noirs, ces yeux noirs, et ce tablier de cuisine si vert toujours. Lorsque je pense à moi, je me déteste bien plus que ne font les autres. Oui. Bien plus.
A force de vivre au cœur de ces terres gorgées d'eau sauvage où poussent de si étranges fleurs taciturnes, où vivent des oiseaux fantômes dont on ne connaît que les cris qui peuplent certaines nuits plus vagues que les autres, et ces brumes folles où se perdent les arbres et nos collines, à force de vivre au milieu de ces terres d'eau sans jamais rencontrer personne, je crois qu'on ne sait plus comment est la vie, ailleurs, ni même si ailleurs des gens et des villes existent.
Les chiens deviennent très fatigués, quelquefois, comme les gens, mais on ne peut pas pendre les gens quand ils ne servent plus à rien. aux animaux, on peut faire tout ce qu'on veut, les pendre lorsqu'ils deviennent vieux et fatigués.
Tu sais comment tout le monde t'appelle, Génie la folle. Génie la folle, c'est bien trouvé. Je peux te faire enfermer à l'asile. Une folle en liberté, tout le monde la regarde. Mais une folle enfermée, on l'oublie.
Je n'ai pas remarqué ce jour plus que les autres, sur le moment, parce que rien jamais n'avertit qu'on est en train de vivre un jour particulier, un commencement et une fin, ni même si un commencement heureux parce que certaines choses ont l'air normales ou heureuses et après on voit qu'elles deviennent terribles.
C'était une lettre officielle, dactylographiée, écrite par personne. Elle disait : Pierre était mort plein d'honneur et serait enterré avec tous les honneurs qui lui étaient dus.
L'enfance, c'est la mémoire de la vie.
Pauvre petite Antonnella. Moi je sais ce qu'elle a. Elle croyait qu'elle faisait partie de moi et maintenant que je suis partie sans elle, elle s'aperçoit qu'elle n’est pas moi. On ne s'en console jamais. Je le sais parce que j'ai été longtemps comme ça avec ma mère. Je croyais que j'étais elle. C'est amusant à penser et même un peu dégoutant. Je ne me souviens pas du temps où je croyais faire partie de maman, et je me rappelle le jour où j'ai compris qu'elle et moi on était deux personnes distinctes, et après le monde n'a plus jamais été pareil. Jamais plus.
J'ai marché. Longtemps, j'ai marché dans le froid de la terre et du ciel.
La neige s'est mise à tomber, tendre, silencieuse. Je suis devenue bloc de glace déséquilibré à la dérive de la neige. Il neigeait sans fin et moi je marchais sans fin.
Et puis, à la fin de la nuit, je suis arrivée au bord des marécages immobiles de gel sous un ciel froid d'étoiles. J'ai pensé à Daisy qui dormait dans son nid, le chiot au creux de son ventre doux. Je me suis dit : c'est une bonne mère, Daisy, c'est une bonne mère.