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Citations de Ivan Jablonka (426)


Tout le monde se souvient d'eux, et pour cause : ce sont les concierges des trois immeubles. Ils s'expriment par borborygmes, elle n'est pas aimable, lui est un rustre. (...)
Pourquoi ces concierges mal aimables, tout droits sortis d'une hutte au fond des bois, mènent-ils une existence digitale dans le centre de documentation juive ? Parce que, pendant la guerre, ils vont avertir les locataires juifs chaque fois qu'une rafle se prépare. Ils montent l'escalier, grattent à la porte et repartent sans un mot. Plusieurs familles sont ainsi sauvées, à plusieurs reprises. M. Georges aide aussi les mères à prendre le train pour aller voir leurs enfants cachés à la campagne. (...) Non pas des gardiens : des anges gardiens.
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mes livres sont plusieurs choses à la fois, histoire, sociologie, anthropologie, enquête, récit, journal de bord, biographie, autobiographie, oraison, littérature, avec des trucs qui s'ouvrent et des trucs qui coulissent.
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Petite fille, elle est restée timide, inhibée, impressionnable, dissociée d’elle-même, spectatrice de la violence et des actes de maltraitance qu’on lui infligeait. Elle a été d’autant plus oubliée dans son coin qu’elle ne réclamait rien ; on l’a d’autant moins consolée qu’elle semblait passive, absente à sa propre vie. Toutes ces choses inexplicables, les cris, les coups, les larmes, les changements, l’indifférence, ont fait naître en elle ces axiomes monstrueux, ces vérités nichées au plus profond de son être, jusqu’à devenir la substance même dont elle était faite : 
Papa a raison
Papa a raison, sinon il tape
Papa a toujours raison, sinon il tue maman
Les hommes ont toujours raison, sinon ils nous tuent
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De nos jours, les gens meurent à l'hôpital ; parfois chez eux, dans leur lit. Qu'ils soient seuls ou entourés de leurs proches, leur décès est un drame privé, un malheur qui appartient à l'intimité des familles. Laëtitia, elle, est morte publiquement.
Son décès a été un évènement médiatique. Ses parents ont suivi l'enquête à la télévision. Ses proches l'ont pleurée au vu et au su de tous, entourés de dizaines de voisins, de milliers d'anonymes et de millions de téléspectateurs. Les journalistes se sont invités aux marches blanches et à l'enterrement. Des chaînes de télévision ont commenté sa personnalité, glosé sur sa fin, sur un mode tantôt grave et contristé, tantôt voyeuriste et anxiogène.
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Le plus fascinant sont les communautés Facebook auxquelles [Laetitia] appartenait. Communautés informelles, non contraignantes, mais communautés culturelles au sens fort, clubs qu'on rejoint par un clic, affinités électives où se révèlent un état d'esprit, une philosophie, un humour.
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Mes parents ont eu une enfance intégralement populaire. Les parents de ma mère étaient de petits artisans sans le sou, tandis que mes grands-parents paternels, ceux que je n'ai pas eus, vivaient dans des conditions encore plus précaires, lui bourrelier, elle couturière, tous deux sans travail dans le Paris troublé des années 1938 – 1943. Quant aux tuteurs de mon père, c'étaient des artisans du cuir, diplômés de de la rue, de l'établi et du syndicat ; ils ont vécu toute leur vie dans un petit deux-pièces avec W-C sur le palier, rue Saint-Maur à équidistance de la place de la République et du métro Ménilmontant. L'ascension sociale, dans notre famille, ce sont mes parents qui l'ont accomplie. A Noël, ils n'avaient pas le vingtième de ce qu'ils m'ont offert plus tard. Les matins de concours, personne ne leur a pressé le jus d'orange.
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Je suis un petit garçon sage et obéissant. J'écoute ce qu'on me dit . Je suis content de contenter les autres. Je ne fais pas de vagues. Mon père a assez souffert pour cela. Ma mère espère beaucoup de moi. Je suis en proie à la quête de perfection qui est la maladie des aînés.
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Je ne fantasme pas la résurrection des morts; j'essaie d'enregistrer, à la surface de l'eau, les cercles éphémères qu'ont laissés les êtres en coulant à pic. (Page 10)
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J'avais beau me laisser pousser les cheveux, faire des blagues follement drôles, marcher dans la rue avec nonchalance, je n'étais aimé de personne. C'était incompréhensible : quelle qualité me manquait-il ? Je savais faire des dissertations, des poèmes, des exercices de maths compliqués, des devoirs de physique à 9 heures du matin, je savais tout faire -sauf dire à une fille que j'étais amoureux d'elle. On prétend que les hommes doivent « faire le premier pas » ; à cet égard, je ne savais pas marcher.
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Ce n'est plus aux femmes de se remettre en cause, de se torturer sur leurs choix de vie, de se justifier à tout instant, de s'épuiser à concilier travail, maternité, vie de famille et loisirs. C'est aux hommes de rattraper leur retard sur la marche du monde. A eux de s'interroger sur le masculin, sans souscrire à la mythologie du héros des temps modernes qui mérite une médaille parce qu'il a programmé le lave-linge.
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Grâce au camping-car, j'ai pu découvrir le monde, la lecture, mais aussi l'histoire, c'est-à-dire le raisonnement historique : étonnement, question, collecte, expériences, déplacements, rencontres, écriture. L'histoire de notre enfance, mais aussi celle de nos étés, avec sa morale d'oisiveté, sa révocation des emplois du temps, sa dynamique des corps offerts à la nature. Une histoire à pleins poumons; des sciences sociales ressourcées au contact d'Hérodote. Et cela, ce n'est certainement pas en khâgne qu'on l'apprend. (p. 147)
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Raconter la vie d’une fille du peuple massacrée à l’âge de 18 ans était un projet d’intérêt général, comme une mission de service public.
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Il n'y a pas d'élément structurant dans leur enfance. Tout est perte, absence de repères. L'histoire de Laëtitia et Jessica est cabossée de coups, de chocs, de commotions, de chutes dont on ne se relève que pour tomber à nouveau. Leurs premières années n'ont été qu'une suite de bouleversements incompréhensibles. On ne leur a expliqué ni les causes de leurs déménagements successifs, ni les raisons pour lesquelles maman était à l'hôpital et papa "au coin". On ne leur a pas parlé du tout.
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Pour détruire quelqu'un en temps de paix, il ne suffit pas de le tuer. Il faut d'abord le faire naître dans une atmosphère de violence et de chaos, le priver de sécurité affective, briser sa cellule familiale, ensuite le placer auprès d'un assistant familial pervers, ne pas s'en apercevoir et, enfin, quand tout est fini exploiter politiquement sa mort.
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p. 165 Faire de l’histoire, c’est prêter l’oreille à la palpitation du silence, c’est tenter de substituer à l’angoisse, intense au point de se suffire à elle-même, le respect triste et doux qu’inspire la condition humaine.
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Vivre dans le passé, tout particulièrement dans ce passé, rend fou. Mais la vraie cause de mes insomnies, c'est l'échec. Au cours de cette recherche qui m’a fait explorer une vingtaine de dépôt d'archives, qui m'a fait rencontrer toutes sortes de témoin, qui m’ a mené en Pologne, en Israël, en Argentine, aux États-Unis, qui m'a fait travailler sur des textes en yiddish, hébreu, polonais, espagnol, anglais, allemand, j'ai donné le meilleur de moi-même, petit-fils et historien, attiré par la flamme nue de la vérité à laquelle nos cœurs tentent vainement de se cautériser. J'ai cherché à être non pas objectif -cela ne veut pas dire grand-chose, car nous sommes rivés au présent, enfermés en nous-mêmes -, mais radicalement honnête, et cette transparence vis-à-vis de soi implique à la fois la mise à distance la plus rigoureuse et l'investissement le plus total. La double nécessité de dire « je » et de fuir le ton emphatique et larmoyant que les circonstances pourraient justifier, le devoir de faire part de mes certitudes comme de mes doutes, de mes intuitions comme de mes renoncements, rendent mon travail intransigeant, un peu comme je me figure mon grand-père. Il est vain d'opposer scientificité et engagements, faits extérieurs et passion de celui qui les consigne, histoire et art de conter, car l'émotion ne provient pas du pathos ou de l'accumulation de superlatifs : elle jaillit de notre tension vers la vérité. Elle est la pierre de touche d’une littérature qui satisfait aux exigences de la méthode.
Pourtant je n'éprouve aucune satisfaction. Je ne sais rien de leur mort et pas grand-chose de leur vie. (....) Après avoir brassé, réuni, comparé, recousu, je ne sais rien. La seule consolation c'est que je ne pouvais faire mieux.
Je suis historien comme, à sept ou huit ans, je regardais avec terreur un livre d'astronomie annonçant, dans un milliard d'années, la destruction de la vie sur Terre par un Soleil devenu géant. Mais alors, il ne restera rien de nous, de notre maison, de notre rue, de nos livres et même de nos tombes?
.. Je suis historien pour réparer le monde.
Réparation du monde, tikkun olam en hébreu. Suis-je moi-même un de ces « Juifs non juifs », aussi radicaux que leurs pères parce que tout leur être se consume dans la recherche de la vérité ? Ce livre exprime ma fidélité au judaïsme, moi qui ne parle pas yiddish et qui me contrefiche de fêter Pessah. C'est le seul judaïsme dans lequel je me reconnaisse, avec celui de la mémoire et de l’ étude. Ni mes grands-parents, ni mon père, ni moi ne sommes « nés juifs », et la plaque commémorative scellée à l'entrée de l'école primaire de ma fille ne devrait pas cautionner cette interprétation : « Assassiné parce que les juifs. » Ceux qu'on pousse dans la chambre à gaz, c'est moi et ma famille, bien sûr, mais c'est aussi vous, avec vos enfants, vous, avec votre mère, votre frère, vos petits-enfants. Pourquoi vous ? Je ne sais pas, mais c’est vous. Et vous souffrez pour rien, et vous mourrez avant l'heure, sans laisser d'autres traces d'un dossier médical ou militaire, des lettres insignifiantes et une poignée de photos dans un album ou sur un compte Facebook. Mon histoire ne parle pas des juifs et encore moins « des juifs qui ont tellement souffert ». Dans la famille, on ne va pas la synagogue. Quel rapport Matès et Idesa ont-ils avec les notables juifs de Parczew sous qui voudraient les voir en prison, avec les bourgeois israélites de Paris effrayés par ces hordes de miséreux -sinon, justement, qu’on les enferme dans les mêmes wagons pour les mettre à mort ? Mais n'envisager que leur fin, c'est prendre le point de vue des bourreaux.
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[ ...]" une biographie ne vaut que si elle donne lieu à des comparaisons entre individus. L'étude de la neige humaine doit révéler en même temps la force d'entraînement de l'avalanche et la délicatesse irréductible du flocon." p.95
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[l'écrivain français] La condition sine qua non du bon écrivain est qu'il écrive de bonnes oeuvres, et c'est sans nul doute le cas de Genet. Mais le bon écrivain, pour être reconnu comme tel, pour satisfaire à sa condition de possibilité sociale, doit se prétendre autonome, insoucieux des conventions, scandaleux ; il doit revendiquer haut et fort son indépendance totale par rapport à l'ordre établi, c'est-à-dire sa révolte, - sans risque aucun d'être censuré, puisque cette attitude lui attribue précisément un capital symbolique propre à faire naître la considération de ses pairs et des acteurs des autres champs, notamment politique et judiciaire. Le scandale qu'il soulève n'engendre pas la censure, comme l'affirme Sartre, mais la protection des pouvoirs publics. Le succès qu'il recueille n'annonce pas un embourgeoisement, une castration littéraire, comme le regrette Dutourd et comme l'espère Becker, mais plutôt la remise d'un sauf-conduit contresigné par l'ordre établi qui est une reconnaissance et un encouragement. Cocteau avait raison : on ne peut pas condamner Rimbaud. A sa suite, Malraux dira qu'on ne peut pas condamner Baudelaire, c'est-à-dire Genet, et en 1968 de Gaulle répétera qu'on ne peut pas condamner Voltaire, c'est-à-dire Sartre.

p. 367
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La pétition de 1948 [Sartre / Cocteau], pour sauver Genet, ne doit pas l'innocenter ; elle ne doit pas non plus le réhabiliter ou l'ancrer sur les rivages du Bien ... Il suffit qu'elle définisse le cadre dans lequel l'exercice du mal est possible. Une fois défini ce mal légitime, il sera affermé au poète-voleur. Dans l'éventail des actions mauvaises que Genet s'attribuait au début des années 1940, Cocteau et Sartre ont éliminé la seule qui pouvait effectivement lui nuire : ses sympathies nazies. En permettant l'affiliation de Genet à Combat et aux barricades d'août 1944, ses protecteurs le font entrer à la lumière du seul Bien qui compte, celui de la Résistance ; le reste est littérature. Après le baroud d'honneur pronazi de l'Enfant Criminel, le seul mal que ses tuteurs autorisent à Genet est un mal symboliquement lucratif et politiquement inoffensif : l'éloge du vol, de l'homosexualité, etc. L'usurpation de 1948 constitue donc le sous-sol invisible sur lequel s'appuie la légende du poète-voleur , elle permet la régénération ... de l'effroi et de la pitié grâce auxquels s'opère l'envoûtement de la littérature de Genet.

p. 260
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Les sœurs Perrais n'appartiennent pas à la jeunesse riche des centres-villes, qui grandit entre cafés et lycées ultra-sélectifs, ni à la jeunesse populaire des banlieues, symbolisée par le streetwear, la tchatche et le béton.
La jeunesse périurbaine, celle des cars de ramassage et des CAP, n'a pas d'emblème. C'est une jeunesse silencieuse qui ne fait pas parler d'elle, qui boss tôt et dur, alimentant les secteurs de l’artisanat et les services à la personne dans les campagnes et petites villes où elle est née. Si ces classes populaires rurales maritimes forment ce que Christophe Guilluy appelle la "France périphérique", alors l'affaire Laëtitia est un meurtre chez les "petits Blancs" ou, plus exactement, entre "petits Blancs", un homme du quart-monde en situation d'échec s'étant attaqué, par frustration machiste ou par vengeance sociale, à une fille du quart-monde courageuse et bien intégrée. "Des cas sociaux se sont entre-tués", soupire-t-on dans la bonne société nantaise, deux mois avant que l'affaire Dupont de Ligonnèse ne vienne rappeler que le milieu des notables catholiques abrite aussi son lot de perversions sanglantes.
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