Citations de Jean Follain (170)
LE PAIN
Elle disait : c’est le pain
et de son lit étroit
le garçon répondait : merci
et la porteuse lisse et noire
déposait la livre à la porte
en bas se crispait
un jardinet sans fleurs
d’elle à lui il n’y eut jamais
que ces paroles sans aigreur
et qui montaient parmi tant d’autres
dans les matins blancs échangées
pour la vie
des corps par le monde.
p.67
OISEAUX
Ramasse la plume cendrée
enfant terreux
à l'ombre rouge
le bourg cuit dans le feu du soleil
le cœur des bois
palpite d'oiseaux fins
ils ne regrettent pas
la couronne ou le haut casque à la Minerve
passant autrefois sous les branches
ne revoient-ils pas les troupeaux
devant les eaux taries
le mariage des branches
une biche alertée ?
p.121
PAYSAGE HUMAIN
O paysage humain
une femme y entre puis en sort
et sourit vers l'horizon
alors on revoit les arbres
la plaine
et la route dure
la maison avec ses nids
la bête un peu alarmée
qui boit le lait sous la lune
avec un bruit si léger
puis revoilà le corsage
et le corps de la beauté.
p.171
extraits du livre Exister de Jean Follain. Éditions Gallimard, 1969.
Quand un client parfois dans un restaurant sombre
décortique une amande
une main vient se poser sur son étroite épaule
il hésite à finir son verre
la forêt au loin repose sous les neiges
la servante robuste a pâli
il lui faut bien laisser tomber la nuit d'hiver
n'a-t-elle pas souvent vu
à la page dernière
d'un livre à modeste savoir
le mot fin imprimé
en capitales ornées ?
Un jour, je sentis que sous le pavé de Paris, il y avait la terre, la vieille terre des propriétaires et des partageux ; souvent le pavé s’est gonflé sous sa poussée ; au soir de révolution on arrache les pavés, l’on casse l’asphalte, et la terre apparaît, une terre maigre certes, mais qui tend à conquérir les sucs du ciel.
Un pigeon échappé d’un laboratoire et à qui on a enlevé le bulbe rachidien titube sur un trottoir. Plusieurs filles l’examinent avec cruauté, l’une d’elles, suave comme une madone d’Italie, porte le bras en écharpe parce qu’elle a été blessée par un amant féroce à peau ambrée.
Sur les avenues et boulevards, le souffle des dormeurs sur les bancs agite une seconde une feuille morte. Dans le fond des cafés, au coeur noir des petits hôtels, des gens rêvent tout haut.
L’arôme vanillé des chocolats de qualité à la fumée dense, consommés encore dans quelques discrets salons de thé, n’est perçu que des chiens errants qui jouissent d’un odorat plus délicat que celui de l’homme.
Au jardin du Palais-Royal, l'on comprend l'inclusion des secrets magnificents dans la pierre. Le petit canon dans la poussière d'or de midi surprend les enfants blonds arrêtant leur grand cerceau sous l'arbre au feuillage terni. La légère odeur de poudre ne s'allie pourtant plus aux riches fumets qui montaient autrefois des cuisines de traiteurs considérables; néanmoins, les vapeurs des rôts ont patiné les vieux moellons; chez Véfour, dernier refuge des joueurs d'échecs, le bruit des noces bourgeoises s'est tu; le restaurant persiste pourtant la tête hasardée hors de sont trou; un rat assiste à la confection de la blanquette à l'ancienne cependant que, dans la chambrette donnant sur le jardin, au-dessus d'un magasin de dentelle, un amant organise sur le sein mignard de sa maîtresse des courses de coccinelle.
LA COUR MURÉE
Il est seul dans la cour murée
avec un jouet dont bat
le ressort fatigué
une plume s'envole
qui s'en vient retomber
sur la terre où s'affrontent
les forces de l'amour
celles aussi de la peur.
Le mur étincelle
son faîte est recouvert
de ces gros tessons verts
arrêtant les voleurs.
p.25
extraits du livre Exister de Jean Follain. Éditions Gallimard, 1969.
DES HOMMES
Au milieu d'un grand luminaire
on voyait discuter des hommes
en proie à la grande peur
d'autres pleuraient ,
on trouvait aussi les amants
de la secrète beauté
ils gagnaient les anciens faubourgs
et rejoignaient leurs compagnes
marchant pieds nus
sur les planchers de bois blanc
pour ne pas réveiller.
p.40
Extraits Exister suivi de Territoires. Éditions Gallimard, 1969.
L’ANECDOTE
L'unique peintre de ce bourg
repeignait la boutique austère
et fredonnait
quand de la gare s'en revenaient
les deux uniques voyageuses
indifférentes à cet amour
que mettait partout le printemps
mais il est des chants qui poursuivent
et que nous ramène une brise.
O monde je ne puis te construire
sans ce peintre et sans ces deux femmes.
p.89
CROISÉE DES ROUTES
Le soleil blanc des jardins
réchauffe les invalides
haute et touffue une haie
cache l’endroit des fusillés
devant les barrières on parle
du prix du blé
il passe des porteurs d’outils
des poules égarées aux ailes
couvertes de poussière
des écoliers à sang figé
sur leurs égratignures foncées
qui ouvrent leurs yeux pour tout voir
sous l’azur qui brûle.
DES HOMMES
Au milieu d’un grand luminaire
on voyait discuter des hommes
en proie à la grande peur
d’autres pleuraient
on trouvait aussi les amants
de la secrète beauté
ils gagnaient les anciens faubourgs
et rejoignaient leurs compagnes
marchant pieds nus
sur les planchers de bois blanc
pour ne pas réveiller.
PAYSAGE DE L’ENFANT ALLANT CHEZ LES REGENTS
Ce grand silence liquide
habitant les tonneaux,
ces minuscules insectes
s’essayant en vain à dévorer la peau des vierges,
les charrons buvant près du chardon bleu,
les frelons fabriquant leur miel blanc,
l’abeille distillant son miel blond,
les chaudrons fulgurants
que l’on frotte de cendre mouillée,
les bruits de fin d’orage,
l’âcre fumée
de la mauvaise herbe brûlée
en tas dans les jardins à buis
et le portrait d’un roi
au mur de la cuisine
et l’argile et le plâtre
dans les royaumes humides,
tout est Courrier d’une impossible aurore ;
voilà qu’elle est déjà tout en haut de la côte
la veuve
qui conduit par la main jusqu’au lointain collège
l’enfant à tignasse rouge.
Mélancolie d'automne
Dans ses châles la dame
Surveille les combats de nuages
Avec une douceur japonaise
(...)
Balade des petites vierges
Jeunes filles qui delaciez
Ensemble vos corsets puérils
Avec un même bruit de fouet
[dans le silence
Près des globes de noce
Faites l'obole de vos mains
Autour de vos nombrils glorieux
Poussent les plantes de l'ennui
En vos vertugadins soyeux
Furent vos blancheurs de
[ minuit
Sous les courtines vieil or
Votre sein s'enfle ô douces.
L’HISTOIRE
Comme l’histoire au monde
par moments apparaît triste
le dîner lourd refroidit
le tribun ne revient pas
sa maîtresse suit ses rêves
plus tard
c’est l’arrachement
la fusillade étouffée
les cloches d’un grand congrès
sur lequel la nuit tombe
alors que dans les champs
de son enfance éternelle
le poète se promène
qui ne veut rien oublier.
QUELQUE CHOSE
Appelé mangeur de pierre
un petit ver se repaît de l'ardoise
où il se cache
de minute en minute se resserre
l'étau du temps
les bijoux remués font leur bruit
des fourmis habitent une ruine
toujours se passe
quelque chose.
Au pays
Ils avaient décidé de s’en aller
au pays
où la même vieille femme
tricote sur le chemin
où la mère
secoue un peu l’enfant
lui disant à la fin des fins
te tairas-tu, te tairas-tu ?
Puis dans le jeu à son amie
la fillette redit tu brûles
et l’autre cherche si longtemps
si tard – ô longue vie –
que bientôt les feuilles sont noires.
Ombres
Guerriers gaulois et romains
marchent avec selon l’heure
devant ou derrière eux leurs ombres
et celles de leurs boucliers
aux mêmes lieux plus tard
arriveront des couples
porteurs de lourds bouquets.
Sur un terrain vague
où sèche du sang
frémit l’arbuste d’aujourd’hui.
Imperturbable ciel …
À quelques lieues d’une couche vide
coule un fleuve sacré
près des éclairs de couteaux
de nourritures offertes aux Dieux
au zénith des oiseaux
couleur d’ardoise ou de limon
une brume sur les confins
demandes et réponses se croisent
la terre l’eau le feu
se détruisent sous d’imperturbables cieux.