Rwanda 2003, les Hutus ayant participé aux massacres des Tutsis sont libérés et reviennent vivre à coté des survivants Tutsis des massacres. La politique nationale de réconciliation l’a décidé, poussée par les grandes puissances qui ont financé la reconstruction et les programmes alimentaires.Jean Hatzfel a écrit en qualité de journaliste-écrivain deux autres livres sur le Rwanda. Il a publié « Dans le nu de la vie » en 2000, ouvrage dans lequel il collecte les souvenirs des survivants Tutsi. Deux ans plus tard paraît « Une saison de machettes » , dans lequel il « passe de l’autre côté » et retranscrit ses conversations avec des Hutus emprisonnés, condamnés pour crimes de guerre. N’ayant pas eu connaissance de ces deux autres livres, je ne les ai pas lu avant de lire celui-ci, trouvé par hasard.
L’auteur écrit dans « La stratégie des antilopes » un livre de témoignages des deux parties d’une part et de réflexions communes d’autre part sur cette réconciliation voulue par les pouvoirs publics, sur les conditions de la justice face à ce génocide, à tous les génocides.Témoignages d’une part des Tutsis qui se souviennent de ces semaines où, cachés dans les marécages, tels des animaux, ils craignaient l’arrivée des Hutus qui « coupaient » à la machette, ils fuyaient devant eux en courant dans tous les sens : « la stratégie des antilopes »…Il leur est impossible de pardonner, « Le temps nous oblige à tout avaler ». Ils ont l’impression que leur souffrance n’est pas reconnue : « La chance aime les Hutus : ils tuent, ils ne sont pas tués; ils s’enfuient au Congo, ils sont ramenés gratuitement ; ils vont en prison, ils sortent gras et bien reposés ; ils brûlent nos maisons, ils retrouvent les leurs sans anicroche, avec à l’intérieur les épouses pour cuire la marmite et faire les amitiés nocturnes »
Témoignages d’autre part des Hutus trop contents d’être libérés, qui parlent, mais ne demandent pas pardon, « J’ai été chargé, j’ai été condamné, j’ai été gracié. Je n’ai pas demandé pardon. Au fond, ça ne vaut pas la peine de demander pardon, s’il ne peut être accepté », qui minimisent ce qu’ils ont fait, qui en cachent une partie, qui oublient pour ne pas être de nouveau rattrapés par leurs crimes. Ils n’en parlent qu’entre eux.
Témoignages des deux parties qui suffisent largement à comprendre l’horreur de ce génocide : dans tous ces témoignages un mot employé par tous, acteurs comme victimes : le verbe « Couper »….Dans ces conditions cette réconciliation est-elle possible, est elle illusoire? Dans quelques décennies disparaîtront avec le temps, les survivants, mais la méfiance réciproque entre ces deux communautés disparaîtra t-elle ? Certes il y a des mariages inter-communautés, mais n’est ce pas une réconciliation de façade, une réconciliation fragile, dépendant d’aléas extérieurs? Le feu peut il repartir? Et là encore les témoignages sèment le doute. « La réconciliation, ce serait le partage de la confiance. La politique de réconciliation, c’est le partage équitable de la méfiance »
Un livre fort qui ne peut laisser personne indifférent, sur cette tragédie, une réflexion sur les conditions d’une justice presque impossible en réponse à ces génocides : « Rendre justice serait de tuer les tueurs, mais ça ressemblerait à un autre génocide, ce serait le chaos…..la justice ne trouve pas sa place après un génocide, parce qu’il dépasse l’intelligence humaine……on peut seulement regretter qu’ils ne montrent jamais ni regrets ni bon cœur «
« La justice passera par l’application de la loi et la loi jetterait le pays par terre »
.. Tout est dit…
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