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Citations de Jean-Pierre Guéno (232)


Merci parce que au-delà des lignes de fêlures, être une femme, être cette femme là, être moi, plus que jamais j'en suis fière et je l'effeuille pour imposer la vue à cette existence aveugle.

J'ai vingt ans.
Demain j'irai porter plainte au commissariat.

Marguerite
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16 avril 1917 - Chère femme et chers parents et chers tous, Je suis bien blessé. Espérons que ça ne sera rien. Elève bien les enfants, chère Lucie, Léopold t'aidera si je ne m'en sortais pas. J'ai une cuisse boyée et suis seul dans un trou d'obus. Je pense qu'on viendra bientôt me sortir. Ma dernière pensée va vers vous.

[Mais Jean Louis Cros mourut sans doute d'une hémorragie. Ses camarades venus le secourir trouvèrent cette carte dans ses mains et l'envoyèrent à sa famille avec ses papiers militaires.

714 - [Librio n°245, p. 163]
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Nous sommes dimanche matin et nous sommes descendus en ville.
C'est merveilleux ! C'est n'importe quel dimanche matin.
Il fait froid, chaud, gris, nuageux, pluvieux..... C’est toujours un ciel lumineux lorsque nous partons tous les deux !
Je me moque complètement de la raison qui nous mène en ville.
Nous achetons du pain, parfois un bouquet de fleur pour maman, faisons un tiercé....
Je ne vois que des rues que nous empruntons, main dans la main. C'est cela que tu ignores, Papa!
Cette petite main qui se glisse dans la tienne, large, ferme et douce : elle tient elle-même ainsi le monde à sa portée.
Elle, toute menue, trouve dans cette grotte protectrice, formée par ta paume, toute la force et la légèreté de l'univers. Tu me tiens la main. Tu sembles aérien, insouciant. C'est dimanche. Tu ne travailles pas.
Nous savons tous les deux que c'est un entrebâillement sur la désinvolture et le futile. Et pourtant, nous sentons bien que cette matinée est chaque fois notre rencontre, un grand moment, notre petit bonheur partagé.
Lorsqu’un danger survient, si tu savais comme j’aime cette pression qui serre mes doigts. Tant, que je crains le relâchement qui va forcément succéder à la voiture ou au chien hargneux qui s'éloigne. Je relance alors la fermeté par un serrement qui semble te dire "ne me relâche pas, Papa!" Ce sont ces premiers enchantements des dimanches matin qui m'ont conduite vers la délectation des petits ravissements qui font que l'on se sent heureux, comme ta main qui me guidait sur les trottoirs de la ville.
Toute une vie dans une main ! Tu imaginais cela, toi, Papa ?
Une main qui fait oublier pourquoi on est là, où l'on va, simplement parce qu'il suffit que l'on existe et que l'on avance, la serrant et se sentant serrée par elle !
Catherine.
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L'enfance est tout ce qui s'enfuit. Nous avions comme beaucoup d'autres fait la promesse de la retenir, de nous moquer du temps, et nous avons refusé de grandir, mais les années se moquent des promesses des enfants, la vie nous a fait un sale coup en nous laissant vieillir...
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Page 69
Alors mon père m’a expliqué d’une manière tout à fait simple et sereine que si quelqu'un devait avoir honte, c’était les autres pas nous ; que cette étoile n’était pas un signe d’infamie ; que la discrimination était monstrueuse en tant que telle, mais que je n’avais pas à en avoir honte
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Robert Milliat est le sous-préfet de Saumur, et il est mobilisé comme préfet délégué du Maine-et-Loire ; il suit donc encore les affaires saumuroises et devient le témoin de la belle conduite des cadets de l'Ecole de cavalerie et du Cadre noir de Saumur : le 17 juin 1940, alors que le maréchal Pétain a adressé un message aux armées françaises demandant de cesser les combats dans la perspective de l'armistice, le colonel Michon rassemble ses cadets pour leur exposer la situation : tous sont volontaires pour poursuivre la réistance armée, malgré des moyens très faibles, et faire ainsi honneur, dans un esprit de sacrifice, à l'armée française. L'école de cavalerie, qui a reçu l'ordre d'évacuer Saumur, va défendre la ville. C'est le premier acte de résistance armée sur le territoire national. Deux mille cinq cents hommes armés de vingt-quatre blindés, cinq canons de 75, treize canons antichars et quinze mortiers tiennent tête, les 19 et 20 juin 1940, à plus de deux divisions allemandes, soit environ quarante mille hommes, équipées de cent cinquante blindés et trois cents pièces d'artillerie, sans oublier l'appui de la Luftwaffe. En deux jours les combats font deux cent cinquante tués ou blessés du côté français et cent trente-deux tués et plusieurs centaines de blessés du côté allemand.
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Notre âme se nourrit du regard des autres. Regards d'amour et d'amitié. EN nous offrant le regard de mon Petit Prince, je nous rappelle que l'essentiel est invisible et que l'on ne voit bien qu'avec le cœur. Je nous aide alors à construire nos âmes et à dessiner nos jardins. Perdre notre âme, n'est-ce pas en fait perdre l'autre, perdre le sens de l'autre ?
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Aliénor: " Pour la vie, pour la durée de notre pays sans retard, nétoyons la gangrène juive. Débarassons nous de cette vermine comme l'ont fait des hideuses punaises et des rats." page36

Lily: " Ils sont venus en france, pensant qu'ici tout serait bien, que ce serait le pays du lait et du miel. " page16

Angélica: " Les drapeaux et les religions, je m'en méfie comme de la peste. La personne que j'ai devant moi, ca m'est égal de savoir ce qu'elle pratique. C'est un être humain." page137
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Dans la plaine naît un bruit.
C'est l'haleine de la Nuit.
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Alors que la spirale du sang et de la violence aurait pu pousser ces hommes à devenir des bêtes assoiffées de vengeance, la plupart comprenaient à quel point leurs ennemis étaient des gens comme eux, victime d'un processus qui les broyait.
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Chaque putain de guerre représente les mille douleurs de celui qui la porte, mille morts de ceux que le combat a fauchés, et les mille jouissances des ventres et des bas-ventres de l'arrière. Voilà ce qu'elle crie cette putain de guerre : celui qui me porte est un naïf qui croit que les mots cachent des idées, que les idées feront du bonheur, et qui n'a pas vu quelles bacchanales son dévouement permettait derrière le mur formidable des discours, des proclamations, des compliments et de la censure.
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Le vrai bonheur, c'est d'être, d'exister par l'autre, pour l'autre et à travers lui...
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J'avais tout le temps faim et soif alors j'ai fait une liste de tous les plats que ma mère préparait...
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« Extrait de la lettre du Caporal Xavier Geoffroy, casque bleu – Sarajevo, 1995
Souvent, de retour à la caserne, je m’enferme dans ma chambre. Je me surprends à écrire des bribes, comme pour cracher quelque chose qui me gêne au niveau de l’estomac.
Sur les feuilles de papier blanc, je vomis des mots. La nuit venue, je m’allonge et verrouille mes paupières tout en laissant une lampe de chevet allumée.
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« Extrait de la lettre du Caporal Xavier Geoffroy, casque bleu – Rwanda, été 1994
L’écriture est ma meilleure thérapie. Mémoires de casque bleu : Mémoires de larmes d’un casque lourd. Ecrire, c’est hurler en silence ! Comme j’aime dire qu’un écrivain est un silencieux hurleur.
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« Extrait du journal intime du Caporal-chef Jean-Marie Feneuil (Vannes, Portsall, Djedda, Mururoa, Nouméa, Bangui, Koweït, Caudan, 1978-1933 – 1993-2014»
Sur les armes :
Sans manquer de déplorer les maux que les armes traînent après elles, comment ne point saluer leur rôle prodigieux ? La destruction est leur œuvre. A leur bilan s’inscrit un total odieux de vies brisées, de biens disparus, d’Etats mis en poudre. On ne compterait point ce qu’elles ont gaspillé de travaux, éteint d’efforts, empêché de bien-être. Friches, incendies, famines, voilà leurs beaux résultats. Mais, à combien d’hommes leur protection permit-elle de naître, de vivre et de vivre ? Sans leur concours quelle tribu, quelle cité, quelle nation se fussent établies ? Que de moissons ont pu croître, d’artisans produire parce qu’elles les gardaient ! A quel progrès matériel n’ont-elles pas lié leur destin ? Comment mesurer ce que les richesses, les voies, les navires, les machines doivent aux désirs des conquérants ?
Les armes furent, de tout temps, les instruments de la barbarie. Elles ont assuré contre l’esprit le triomphe de la matière, et de la plus pesante. Constamment la raison en fut opprimée, le jugement bafoué, le talent meurtri. Point d’erreurs qu’elles n’aient défendues, point d’ignorants qui n’y recourussent, point de brutes qui ne les aient brandies. Cependant, les lumières qui en ont jailli éclairèrent bien souvent le domaine de l’intelligence. A leur appel, la science et l’art ont ouvert aux humains des sources merveilleuses de connaissance et d’inspiration. (…) Les armes remuent au fond des cœurs la fange des pires instincts.
Elles proclament le meurtre, nourrissent la haine, déchaînent la cupidité. Elles auront écrasé les faibles, exalté les indignes, soutenu la tyrannie. On doit à leur fureur aveugle l’avortement des meilleurs projets, l’échec des mouvements les plus généreux. Sans relâche, elles détruisent l’ordre, saccagent l’espérance, mettent les prophètes à mort. Pourtant, si Lucifer en a fait cet usage, on les a vues aux mains de l’Archange. De quelles vertus elles ont enrichi le capital moral des hommes ! Par leur fait, le courage, le dévouement, la grandeur d’âme atteignirent des sommets. Noblesse des pauvres, pardon des coupables, elles ont, du plus médiocre, tiré l’abnégation, donné l’honneur au gredin, la dignité à l’esclave. Portant les idées, traînant les réformes, frayant la voie aux religions, elles répandirent par l’univers tout ce qui l’a renouvelé, rendu meilleur ou consolé. Il n’y eut d’hellénisme, d’ordre romain, de chrétienté, de droits de l’homme, de civilisation moderne que par leur effort sanglant.
Les armes ont torturé mais aussi façonné le monde. Elles ont accompli le meilleur et le pire, enfanté l’infâme aussi bien que le plus grand, tout à tour rampé dans l’horreur ou rayonné dans la gloire. Honteuse et magnifique, leur histoire est celle des hommes. Elles sont générales, multiples, éternelles, comme la pensée et l’action (…) Il est bon que les peuples aient des remords, et si les hommes, dans leur ensemble, ne rêvaient que de se détruire, il y a beau temps que leur race aurait pris fin. (…) Une sorte d’équilibre de tendances est nécessaire dans l’Etat, et l’on doit secrètement approuver que les hommes qui le conduisent et ceux qui en manient la force éprouvent les uns pour les autres quelque éloignement.
Dans un pays où les militaires feraient la loi, on ne peut guère douter que les ressort du pouvoir, tendus à l’excès, finiraient par se briser ; au-dehors, les voisins coaliseraient leurs alarmes. D’autre part, il convient que la politique ne se mêle point à l’armée…
Encore faut-il que l’on puisse s’entendre. Politiques et soldats ont à collaborer.
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« Extrait du journal intime du Soldat Claude P – Algérie Janvier-Décembre 1961 »
19 heures. A table, toute la section mange de bon appétit. Les émotions, « ça creuse ».
La conversation roule sur le pendu : « Ah, le salaud, il s’est pendu, mais il a donné des bons renseignements. » Devant la feuille blanche, face au problème de la torture, ma main qui tient la plume, mon cerveau qui guide et mon cœur qui bat ne sont pas d’accord. Disserter sur la torture en classe de philosophie est une chose, y être confronté en est une autre :
« Un terroriste pose une bombe dans un lieu public. Est-il permis de le torturer pour éviter le massacre ? » Tranquille devant ma copie, j’étudiais alors tous les aspects du problème.
Sur ce piton, les faux-fuyants n’existent pas. Pratiquer la torture ou la tolérer, où est la différence ? Y assister ou fuir en se bouchant les oreilles et en fermant les yeux, où est la différence ? Je n’ai ni assez de courage, ni assez de force, ni assez de sadisme pour accepter d’être bourreau. La faiblesse peut être une qualité.
« Et si ton meilleur copain … Et si ton enfant … Et si tes parents … »
Je sais, la relativité de la morale m’apparaît dans toute son horreur. Les certitudes sont un luxe de salon. Les valeurs n’ont cours qu’en temps de paix, quand personne ne les conteste.
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« Antoine de Saint-Exupéry – 29 Mai 1944 -Extrait de Lettre à un Américain »
Amis d’AMERIQUE, je voudrais vous rendre pleinement justice. Un jour, peut-être, des litiges plus ou moins graves s’élèveront entre vous et nous. Toute nation est égoïste.
Toute nation considère son égoïsme comme sacré. Il se peut que le sentiment de votre puissance matérielle vous fasse prendre aujourd’hui ou demain des avantages qui nous paraîtront nous léser injustement. Il se peut que s’élèvent u jour, entre vous et nous, des discussions plus ou moins graves. Si la guerre est toujours gagnée par les croyants, les traités de paix quelquefois sont dictés par les hommes d’affaires. Eh bien, si même un jour je forme dans mon cœur quelques reproches contre les décisions de ceux-là, ces reproches ne me feront jamais oublier la noblesse des buts de guerre de votre peuple. Sur la qualité de votre substance profonde, je rendrai toujours le même témoignage. Ce n’est pas pour la poursuite d’intérêts matériels que les mères des ETATS-UNIS ont donné leur fils. Ce n’est pas pour la poursuite d’intérêts matériels que ces garçons ont accepté le risque de mort.
Je sais, et je dirai plus tard chez moi, en vue de quelle croisade spirituelle chacun de vous s’est donné à la guerre.
J’ai, parmi d’autres, deux souvenirs à verser comme preuves.
Voici la première.
Au cours de cette traversée en convoi, mêlé comme je l’étais à vos soldats, j’ai été nécessairement le spectateur de la propagande de guerre qui leur était destinée.
Or, toute propagande est un monstre amoral qui, pour être efficace, fait appel à n’importe quel sentiment noble, vulgaire ou bas. Si vos soldats étaient partis en guerre pour la seule défense des intérêts américains, la propagande eût avant tout insisté chaque jour sur vos puits de pétrole, vos plantations de caoutchouc, vos marchés commerciaux menacés.
Or c’est à peine si elle effleurait de tels sujets. S’il était parlé d’autre chose, c’est que les garçons de chez vous désiraient entendre autre chose. Et que leur disait-on qui pût motiver à leurs propres yeux le sacrifice de leur vie ? On leur parlait des otages pendus de POLOGNE. On leur parlait des otages fusillés de FRANCE. On leur racontait quelle nouvelle forme d’esclavage menaçait d’étouffer une partie de l’humanité. On leur parlait non d’eux-mêmes, mais des autres. On les faisait solidaires de tous les hommes de la terre. Les cinquante mille soldats de mon convoi partaient en guerre pour sauver, non le citoyen des ETATS-UNIS, mais L’HOMME lui-même, le respect de L’HOMME, la liberté de L’HOMME, la grandeur de L’HOMME. La noblesse de votre peuple imposait la même noblesse à la propagande. Si même un jour vos techniciens de la paix lèsent quelque chose de la FRANCE au nom de ces intérêts politiques et matériels, ils trahiront votre véritable visage. Comment oublierais-je pour quelle grande cause le peuple des ETATS-UNIS a combattu ?
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« Autre Extrait de la lettre d’Antoine de Saint-Exupéry – Tunisie, Juin 1943 »
Dans cette époque de divorce, on divorce avec la même facilité d’avec les choses.
Les frigidaires sont interchangeables. Et la maison aussi si elle n’est qu’un assemblage.
Et la femme. Et la religion. Et le parti. On ne peut même pas être infidèle : à quoi serait-on infidèle ? Loin d’où et infidèle à quoi ? Désert de l’homme.
Qu’ils sont donc sages et paisibles ces hommes en groupe. Moi je songe aux marins bretons d’autrefois, qui débarquaient, lâché sur une ville, à ces nœuds complexes d’appétits violents et de nostalgie intolérable qu’ont toujours constitués les mâles un peu trop sévèrement parqués. Il fallait toujours, pour les tenir, des gendarmes forts ou des principes forts ou des fois fortes. Mais aucun de ceux-là ne manquerait de respect à une gardeuse d’oies.
L’homme d’aujourd’hui on le fait tenir tranquille, selon le milieu, avec la belote ou le bridge. Nous sommes étonnement bien châtrés.
Ainsi sommes-nous libres. On nous a coupé les bras et les jambes, puis on nous a laissés libres de marcher. Mais je hais cette époque où l’homme devient, sous un totalitarisme universel, bétail doux, poli et tranquille. On nous fait prendre ça pour un progrès moral !
Ce que je hais dans le marxisme, c’est le totalitarisme à quoi il conduit. L’homme y est défini comme producteur et consommateur, le problème essentiel étant celui de la distribution.
Ce que je hais dans le nazisme, c’est le totalitarisme à quoi il prétend par son essence même. On fait défiler les ouvriers de la RUHR devant un VAN GOGH, un CEZANNE et un chromo. Ils votent naturellement pour le chromo. Voilà la vérité du peuple ! On boucle solidement dans un camp de concentration les candidats CEZANNE, les candidats VAN GOGH, tous les grands non-conformistes, et l’on alimente en chromos un bétail soumis. Mais où vont les ETATS-UNIS et où allons-nous, nous aussi, à cette époque de fonctionnariat universel ? L’homme robot, l’homme termite, l’homme oscillant du travail à la chaîne système Bedeau à la belote. L’homme châtré de tout son pouvoir créateur, et qui ne sait même plus, du fond de son village, créer une danse ni une chanson. L’homme que l’on alimente en culture de confection, en culture standard comme on alimente les bœufs en foin.
C’est cela l’homme d’aujourd’hui.
Et moi, je pense que, il n’y a pas trois cent ans, on pouvait écrire la PRINCESSE DE CLEVES ou s’enfermer dans un couvent pour la vie à cause d’un amour perdu, tant était brûlant l’amour. Aujourd’hui bien sûr les gens se suicident, mais la souffrance de ceux-là est de l’ordre d’une rage de dents intolérable. Ce n’a point à faire avec l’amour.
Certes, il est une première étape. Je ne puis supporter l’idée de verser des générations d’enfants français dans le ventre du moloch allemand. La substance même est menacée, mais, quand elle sera sauvée, alors se posera le problème fondamental qui est celui de notre temps. Qui est celui du sens de l’homme et auquel il n’est point opposé de réponse, et j’ai l’impression de marcher vers les temps les plus noirs du monde.
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« Extrait de la lettre d’Antoine de Saint-Exupéry – Tunisie, Juin 1943 »
Aujourd’hui, je suis profondément triste. Je suis triste pour ma génération qui est vide de toute substance humaine. Qui n’ayant connu que les bars, les mathématiques et les Bugatti comme forme de vie spirituelle, se trouve aujourd’hui plongée dans une action strictement grégaire qui n’a plus aucune couleur.
On ne sait pas le remarquer. Prenez le phénomène militaire d’il y a cent ans.
Considérez combien il intégrait d’efforts pour qu’il fût répondu à la vie spirituelle, poétique ou simplement humaine de l’homme. Aujourd’hui nous somme plus desséchés que des briques, nous sourions de ces niaiseries. Les costumes, les drapeaux, les chants, la musique, les victoires (il n’est pas de victoire rapide), tout lyrisme sonne ridicule et les hommes refusent d’être réveillés à une vie spirituelle quelconque. Ils font honnêtement une sorte de travail à la chaîne. Comme dite la jeunesse américaine, « nous acceptons honnêtement ce job ingrat » et la propagande dans le monde entier, se bat les flancs avec désespoir.
De la tragédie grecque, l’humanité, dans sa décadence, est tombée jusqu’au théâtre de M. LOUIS VERNEUIL (on ne peut guère aller plus loin). Siècle de publicité, du système BEDEAU, des régimes totalitaires et des armées sans clairons ni drapeaux, ni messes pour les morts. Je hais mon époque de toutes mes forces.
L’homme y meurt de soif.
Ah ! Général, il n’y a qu’un problème, un seul de part le monde. Rendre aux hommes une signification sprirituelle, des inquiétudes spirituelles, faire pleuvoir sur eux quelque chose qui ressemble à un chant grégorien. On ne peut vivre de frigidaires, de politique, de bilans et de mots croisés, voyez-vous ! On ne peut plus vivre sans poésie, couleur ni amour. Rien qu’à entendre un chant villageois du XVème siècle, on mesure la pente descendue. Il ne reste rien que la voix du robot de la propagande (pardonnez-moi). Deux milliards d’hommes n’entendent plus que le robot, ne comprennent plus que le robot, se font robots.
Tous les craquements des trente dernières années n’ont que deux sources : les impasses du système économique du XIXème siècle et le désespoir spirituel. Pourquoi MERMOZ a-t-il suivi son grand dadais de colonel sinon par soif ? Pourquoi la RUSSIE ? Pourquoi l’ESPAGNE ?
Les hommes ont fait l’essai des valeurs cartésiennes hors des sciences de la nature, cela ne leur a guère réussi. Il n’y a qu’un problème, un seul : redécouvrir qu’il est une vie de l’esprit plus haute encore que la vie de l’intelligence, la seule qui satisfasse l’homme. Ça déborde le problème de la vie religieuse qui n’en est qu’une forme (bien que peut-être la vie de l’esprit conduise à l’autre nécessairement). Et la vie de l’esprit commence là où un être est conçu au-dessus des matériaux qui le composent. L’amour de la maison – cet amour inconnaissable aux ETATS-UNIS – est déjà de la vie de l’esprit.
Et la fête villageoise, et le culte des morts (je cite cela car il s’est tué depuis mon arrivée ici deux ou trois parachutistes, mais on les a escamotés : ils avaient fini de servir). Cela c’est de l’époque, non de l’AMERIQUE : l’homme n’a plus de sens.
Il faut absolument parler aux hommes.
A quoi servira de gagner la guerre si nous en avons pour cent ans de crise d’épilepsie révolutionnaire ? Quand la question allemande sera enfin réglée tous les problèmes véritables commenceront à se poser. Il est peu probable que la spéculation sur les stocks américains suffise au sortir de cette guerre à distraire, comme en 1919, l’humanité des ses soucis véritables. Faute d’un courant spirituel fort, il poussera, comme champignons, trente-six sectes qui se diviseront les unes les autres. Le marxisme lui-même, trop vieilli, se décomposera en une multitude de néo-marxismes contradictoires. On l’a bien observé en ESPAGNE. A moins qu’un César français ne nous installe dans un camp de concentration pour l’éternité.
Ah ! quel étrange soir, ce soir, quel étrange climat. Je vois de ma chambre s’allumer les fenêtres de ces bâtisses sans visages. J’entends les postes de radio divers débiter leur musique de mirliton à ces foules désœuvrées venues d’au-delà des mers et qui ne connaissent même pas la nostalgie.
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