Dans la chambre pleine d’une odeur douceâtre de pharmacie et de cuisine, Palabaud comprit que sa fin allait commencer ; ce n’était ni plus inquiétant, ni plus douloureux que le reste. Il arrivait simplement au bout de l’insoupçonnable randonnée commencée six mois plus tôt lorsque le docteur Klein lui avait dit : « Vous avez un gros foie. » Il se souvenait de son déchirement, la voix du médecin usurier, pourtant sourde et rocailleuse, avait retenti comme le cri d’un enfant qui se noit. A ses inflexions, Palabaud avait prêté l’expression d’une solitude et d’une angoisse qu’il éprouvait lui-même. Puis la paix était revenue ; il n’acceptait ni ne refusait l’inévitable ; en réalité, il entrait dans le monde des agonisants. Car l’agonie peut durer une seconde ou des années ; elle commence à l’instant où l’homme croit sa mort possible ; la longueur du temps qui l’en sépare n’importe, et quiconque a saisi le sens de l’écoulement, du passage, est perdu pour les vivants. Et du jour où la mort triomphe et s’installe en maîtresse dans un cerveau, c’est pour abolir – à l’exclusion d’un exact sentiment de fluidité de l’existence- toute lutte, tout désir, toute affirmation de soi et aussi toute angoisse.
Très tard, au décours de ma vie, à l’âge des grandes sécheresses, il m’advint de vouloir écrire. Non une page, mais des pages, un livre, des livres. Projet encombrant que longtemps je traînai derrière moi, hésitant à m’en délester : le seul poids d’un stylo me brisait le poignet. Et cependant un soir, surmontant ma lassitude, je me mis à l’ouvrage.
J'ai trop peiné et la fatigue a gagné ma mémoire, qui n'a retenu que l'essentiel de ceux que j'ai trouvés sur ma route : leur mort et ce qui l'annonçait.
Jean Reverzy