Quartier, s’il en est, au cœur troué d’un dépotoir, avalanche de merde là où certains se rappellent une rivière. À moins de dix mètres du Théâtre Mare d’Eau Sale, le seul théâtre – qui n’en est pas un, à la vérité, sauf si théâtre est bordel – que l’État a mis en place, ce bassin d’immondices offrant un singulier spectacle à la moindre pluie venue, semble avoir décroché la bonne place. Tout de même, notre carte de visite. Quand on arrive sur le boulevard du Bicentenaire, on voit, sans effort, une armée de débris partant vers la mer dans une lente marche, une armée dont l’arme de combat est une puanteur à défoncer les narines. On peut la suivre, on peut la suivre pour arriver jusque chez nous. Nous avons l’habitude de partir avec elle, aller vers quelque lieu innommable, aller chaque jour vers où nous perdre. Nous marchons le long de la terrible ravine Bois-de-Chêne, pèlerins de la décadence. Nous sommes d’une ville qui marche dans ses pas fourvoyés, nous sommes d’un pays qui vogue vers ses ruines.
L’enfance est une blessure dont on ne peut se laver.
Rhapsodie rouge, crépuscule fantasmé par l’horizon. Sa vingtaine se balade parmi la foule, s’arrête à une terrasse : radeau pour les noyés. Elle ouvre ses ailes, à dépecer les collines embourbées d’idées fixes. Les ténèbres espèrent en vain la conquérir, la séquestrer : aucun nuage ne peut contrarier un oiseau ivre
tu raconteras à tes écorces la traversée étoilée, négocieras avec l’enfer les clefs d’une nouvelle odyssée
syntaxe entaillée
je me corrige
dans ma grammaire de sang
tous les pays blessés
ont une place sous ma peau
j’ouvre mes yeux
l’espoir est un café rouge
dans mes matins fêlés
je marche
mes pas dessinent mon néant
nous nous découvrons à nouveau mirages devant le souffle
sommes-nous des branches qui ne savent raconter le vent
Tout ce qu'on apprend ici n'a rien à voir avec ce qui se passe ailleurs, en dehors de ce bâtiment. Comme si on allait resté planté dans l'univers scolaire.
Une question qui lui revient chaque fois qu'il lui arrive le malheur de réfléchir à la vie qui l'héberge. Qu'ai-je fait de ma lumière humaine ?
La plus lointaine branche de son histoire qui nous parvienne, c'est son alliance avec la rue. Et, comme dit l'Ange du Métal, on n'est plus un enfant quand seule la rue nous berce.
C'est rituel depuis longtemps. Je me lave. Parce que vêtue des traces d'une sale vie. Parce que mon ciel traîne sous des nuages boueux. Je me lave. J'ai appris à me laver, me laver malgré tout.
Et je ne suis pas pas la seule peau soumise
Aux épines mortelles de ce système
Et il n'y a pas que ma bouche
Qui se trouve coincée entre leurs dents
Et je ne suis pas le seul
À devenir cette douce chair sous le train de la torture
Ils peuvent me menotter
Ils peuvent me foutre en prison
Mais le poème explosera la nuit barbelée
Rachida debout,
parce qu'elle sait qu'être humain
c'est le métier le plus rentable pour le cœur.
Elle voit la pluie qui sans salaire
travaille la beauté sur la vitre.
Quand elle se lève le matin,
tout le monde lui dit qu'il fait moche.
Mais Rachida n'apprend pas
la formule du désastre.
Elle sait que
le rêve n'a point de météo.
- C'est quoi la migration ?
- Une petite fille qui rêve de marcher.
fêle l’amour
nuage bercé par l’hiver
bête parvenue à la furie
c’est qu’on attache le cœur
‘a des rives mortes
tel bourgeon muselé dans l'arbre
au corps usé
il convient d'enseigner certitudes brisées
lieu d'espérer failles et monts fluants
forêt brûlée par la dérive
fumée
insaisissable oiseau
l’éternité se penche
pour peupler passages
brûlé mon sang nouveau-né
ai grandi dans le manque
membre trop lourd pour le corps
ma mère a coupé la canne à sucre
nulle récolte pour l’Histoire
foutue muette dans le conte scolaire
ma chair rumine encore l’amer
que l’historien a archivé dans l’oubli
maintenant suis-je pauvre
n’attrape pas ta machine à calculer
acquittée toute taxe de me taire
dépensée ma honte
il me reste ces quelques crachats
à jeter dans la nuit pleine de ton capital