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EAN : 9782330148898
112 pages
Actes Sud (03/03/2021)
4.02/5   82 notes
Résumé :
Tu seras seule dans la grande nuit. Telle est la prophétie énoncée de longue date par Papa à la toute jeune fille qu'on appelle Tête Fêlée. Papa, qui n'est pas son vrai père, est aux ordres du pire bandit de la ville ; Fleur d'Orange, sa mère, n'a que son corps à vendre.
Dans la misère d'un bidonville haïtien, Tête Fêlée observe les adultes — leur violence, leurs faiblesses, leurs addictions... et tente de donner corps à ses fantasmes d'évasion.
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Critiques, Analyses et Avis (30) Voir plus Ajouter une critique
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Me croirez-vous ?
Me croirez-vous si je vous dis que les bidonvilles et leurs horreurs peuvent être racontés à l'aune de la poésie ? Que la crasse, la misère, la violence, les instincts les plus primaires peuvent atteindre leur paroxysme pour venir mieux nous percuter, lames d'acier, lorsque la poésie s'en mêle ?
Me croirez-vous si je vous dis que la poésie est alors une arme puissante pour scalper l'horreur, pour la disséquer au point d'en faire jaillir des gouttes d'essence, larmes noires, qui éclaboussent avant d'infuser en nous ?
Me croirez-vous si je vous promets que dans ce livre s'entremêlent poésie coup de poing, dénonciatrice et parfois crue, et poésie d'amour, lumineuse et sublime, de sorte que vous pourrez respirer et espérer, un peu, un tout petit peu ?

Le bidonville, imbroglio de lames et de larmes larvées, armé de poésie, Jean d'Amérique s'en fait le chantre.

Voilà la prouesse de ce jeune poète haïtien dont c'est le premier roman. Décrire l'horreur des bidonvilles, plus particulièrement d'un bidonville, « lieu exsangue où le parfum des soleils s'abime entre vies fangeuses et pluie de cadavres », dénoncer les gouvernements, qui « donnent des armes et quelques rations de riz pour asseoir leurs dessins malhonnêtes déguisés en démocratie », chanter l'amour aussi, espoir d'eau fraîche sur les fleurs massacrées d'une enfance, celle d'une petite fille de douze ans.
Une petite fille qui tente de coudre son soleil alors que les fils du temps s'entremêlent au lieu de se tisser. Son aiguille : l'écriture. Écrire l'amour. Envers et contre tout. Elle rature souvent, et fait « royaume de papiers froissés ».

« Je suis une épave chevauchée par la solitude dans cette vallée ténébreuse où j'écris une interminable lettre à ma bien-aimée ».

Voici l'histoire, atroce, de cette petite fille, Tête Fêlée, de sa maman Fleur d'Orange, prostituée, et de Papa, le compagnon de Fleur d'Orange mais qui n'est pas le père de la petite fille, bras droit du terrible Ange du Métal, chef de la mafia locale. Papa qui, lorsque il enfile sa robe-colère, inflige de sacrées raclées à la petite, surtout lorsqu'elle écrit ou qu'elle lit. Papa qui oblige Tête Fêlée à s'associer à ses méfaits. Kidnappings, vente de pistolets, piratages, trafics de drogues, braquages. Au mieux. Exécution sommaire sur gage. Au pire.

La poésie de Jean d'Amérique s'infiltre partout, tantôt elle laisse deviner avec pudeur, tantôt elle hurle avec ostentation, tantôt elle entremêle pudeur et cris, jugez plutôt lorsque l'auteur décrit les cases qui font office de lieu d'habitation :

« Face au mur. Dos au mur. Des mains libèrent leur saleté en l'imposant aux murs. Des bestioles se font écraser contre le mur où leur cadavre espère en vain des funérailles pendant très longtemps. Un corps – le plus souvent d'enfant ou de femme – se blottit contre les murs pour amortir une raclée. Les mains séparant la tête du mur, quelqu'un pleure. Les paumes luttant contre le mur, quelqu'un accueille le membre d'un autre par-derrière. Les murs témoignent ainsi de tant de passages. Les murs brandissent la mémoire riche d'un million d'étreintes ».

La fin du livre m'a laissée bouche bée. Glacée. Je l'ai refermé les yeux dans le vide. le coeur serré.

Ce livre est un coup de poing, ce livre est un cri, ce livre est magnifique. Ce livre montre à quel point la poésie est nécessaire pour hurler. Hurler la violence, hurler les inégalités, hurler le sexe non consenti ou tarifé. Hurler la beauté, aussi :

« Dehors, le ciel ramasse ses dentelles. Les lueurs du jour accrochent silencieusement leur voile au bout d'un vent invisible. C'est la nuit qui vient nous l'apprendre. Flots d'ombres qui épongent le crépuscule ».

Oui, les poètes ont des poings énormes !
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Tête Fêlée a douze ans et grandit dans la misère d'un bidonville haïtien. Sa mère Fleur d'Oranger fait commerce de son corps. Papa, qui n'est pas son vrai père, est l'un des hommes de main du caïd qui tient la ville sous sa coupe. Dans la nuit de sa vie sans avenir, l'adolescente s'est trouvé une étoile : Silence, une camarade de classe dont elle est amoureuse. Mais la naïveté de l'enfance survivra-t-elle longtemps à la cruauté du monde ?


Ce qui fait l'unicité de ce livre est d'abord le style sans pareil de son auteur, qui, mariant la crudité la plus directe à une poésie puissamment imagée, crée une langue originale, singulièrement travaillée, parfois déconcertante mais souvent d'une confondante beauté. Aussi chatoyante que brutale, elle assène ses vérités noires en les habillant de lumière, dans des tableaux d'une violence colorée qui évoquent tantôt la poésie contestataire du slam, tantôt le chant d'une tragédie éternelle.


Car les rêves et les espoirs qui gonflent encore le coeur de Tête Fêlée sont condamnés dans l'oeuf par l'irrépressible étau de la violence qui écrase un par un les habitants du bidonville. Misère rime avec loi du plus fort, et dans cette impasse du crime, organisé ou pas, que constitue ce quartier perdu, l'on est irrémédiablement seul et rattrapé par la nuit, même lorsqu'on a cru un temps en la beauté d'une étoile.


Désespéré et cruel, ce conte qui habille sa révolte de poésie est un cri d'une formidable puissance en même temps que d'une profonde dignité : une très belle voix pour le peuple haïtien, en proie à tant des maux, mais dont personne, parmi les autorités du pays, ne prend vraiment au sérieux les mouvements de contestation.

Lien : https://leslecturesdecanneti..
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♪ Emmenez-moi au bout de la terre
Emmenez-moi au pays des merveilles
Il me semble que la misère
Serait moins pénible au soleil ♫

Comme quoi, tout le monde peut dire des conneries…
Croyez vous vraiment qu'un SDF vive mieux la rue sous la canicule que dans le givre d'un matin d'hiver ? Croyez vous vraiment qu'une personne ayant faim, maitrise ses crampes d'estomac avec plus de joie sous le cagnard que sous la neige ?
Si vous pensez vraiment que la misère est sensible à la météo alors venez perdre vos illusions dans le premier roman de Jean D'Amérique, venez vous abimer dans les faubourgs de Port au Prince où la chaleur humaine n'amènera malheureusement aucune canicule, venez vous égarer dans un des pays les plus pauvres de la planète, Haïti en pleine mer des Caraïbes qui, elle, fait tant rêver.

« Tête fêlée » a douze ans, elle vit avec sa mère, alcoolique et prostituée, et son beau père, homme de main du caïd d'un bidonville local. Douze ans et déjà la rage, douze ans et tant de douceur, tant d'amour à donner. Tant de sordide déjà vécu, tant d'innommable et pourtant un espoir, son amoureuse. Une pensée pour elle et la petite fille que « Tête fêlée » n'est déjà plus (l'a-t-elle été un jour ?), retrouve au moins le chemin du beau, du tendre, de l'estime de soi, de l'autre.
Comment vivre la violence de la misère quand elle mêle l'exploitation de l'homme et ici plus particulièrement celle de la femme, ce commerce dans ce qu'il a de plus glauque, de plus immonde, à la peur des balles perdues par des gangs se faisant des concours bien burnés pour savoir qui a la plus grosse (des cons courts oui)… influence sur les différents trafics (what else ?).
Comment vivre le dénuement quand le mot avenir enchaîne les CDD d'une heure ou jusqu'au soir pour les plus optimistes ?
Comment garder la tête hors de l'eau quand on a douze ans ?

L'auteur donne la parole à « Tête fêlée » pendant 134 trop courtes pages et le moins que l'on puisse dire c'est que la « petite », elle envoie du force 10 !!!
Quand la poésie se met au service de la contestation, Jean D'Amérique n'est pas loin. Une écriture où la crudité du propos alterne avec quelques mots doux à l'âme et au coeur.
Chaque mot est à sa place et un chat est appelé un chat n'en déplaise aux âmes pures et sensibles. C'est rempli de poésie, de cette poésie qui crache, qui gifle le ressenti avant de l'apaiser quelques pages plus loin.
« Soleil à coudre » c'est l'humanité balafrée, c'est une blessure infectée par un système, c'est une cicatrice qui ne se refermera jamais complètement.
Oui la misère est violente et ce livre parle de cette violence faite à la vie, ce livre parle de la vulgarité de laisser se propager et d''entretenir cette misère.

J'ai « rencontré » Jean D'Amérique le mois dernier grâce à « Masse critique » et le grand « Cathédrale des cochons ». Pas loin pour moi d'être la meilleure pioche des « masse critiques » auxquelles j'ai participé. J'attendais déjà impatiemment son premier roman, me voilà déjà à scruter l'horizon, surveillant sa prochaine parution.
Finalement, âmes sensibles ne pas s'abstenir. Paru chez Actes Sud, ça devrait rassurer le lecteur hésitant quant à la qualité du fond comme de la forme… ou pas.
Une lecture coup de poing que je souhaite à tous.
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Comme un coup de projecteur éblouissant et indiscret  au fond des gouffres, voici un Soleil à coudre, de toute urgence, à la noirceur de la misère.

À coudre à poings serrés?

Coudre le sexe en rut  à la fleur délicate  d'un amour interdit.
Coudre la poésie des images à la crudité des mots.
Coudre les vertiges de l'ivresse, les vapes de l'herbe bleue à la tête froide qui condamne, à la bouche qui commande,  à  la main qui exécute.

Ou à la main qui écrit.

 C'est Jean d'Amérique l'assembleur habile et inspiré de ce  patchwork  contrasté où violence et poésie se marient dans le creuset dépaysant d'une langue neuve, forte, surprenante.

Une langue de chair et de feu, faite pour le cri ou le baiser. Une langue qui rend aux situations les plus romanesques et éculées un air de jamais vu, un air inconvenant et incongru. Une langue à  la fois brute de décoffrage et exquisement recherchée. 

 L'histoire , cette langue ne la raconte pas: elle la fait exploser dans une sorte de présent sans mémoire, dans un feu d'artifice qui éclaire l'instant.  Sans futur et sans passé.  Des tableaux vifs, colorés,  comme des morceaux d'existence qu'on n'aura jamais le temps d'organiser , de coudre ensemble.

 On va essayer pourtant.

L'histoire se passe à  Haïti, à Port-au-Prince, dans Le Quartier - un chaudron de sorcières où prostituées, drogués, ivrognes, assassins et sicaires,  petits gangs artisanaux et racailles de haut vol grenouillent et mijotent à l'envi.

Parfois certains cumulent les fonctions: Papa est un gangster et un assassin, Maman dite Fleur d'Orange,  une prostituée et une ivrognesse.

De temps en temps un politicien dont le cul est fait pour toutes les chaises passe, graisse les pattes, satisfait sa lubricité, monnaye son ascension, commande un meurtre, ou se fait bêtement trucider.

Tête fêlée, la narratrice est une toute jeune adolescente déjà rompue aux exercices du crime   -Papa a ses arguments pour la faire obéir- mais sa passion pour une petite camarade de classe riche et préservée lui donne les ailes de la poésie. Elle rêve de la retrouver dans la lointaine ville américaine où sa famille  l'a mise à l'abri. Elle lui écrit des pages fiévreuses  jamais achevées.  Elle a peur de se retrouver seule dans la nuit noire de son destin.

Un canevas des plus simple, presque simpliste.

Mais l'histoire n'est rien. C'est la façon de la raconter qui  crève le coeur, les yeux, l'imagination. Qui fait éclater temps et espace, balaye d'un revers de manche les conventions d'usage: l'effet de réel, la vraisemblance, la psychologie, la linéarité, les causes et les effets. 

Pour nous balancer sans cérémonie dans une réalité bien plus vraie, dans une sociologie brutale , une mythologie en action qui vous prend à la gorge. Rien qu'avec des images poétiques d'une inventivité foudroyante et  des ruptures narratives qui brisent en morceaux le récit comme on casse un jouet ennuyeux.

Seule la poésie a ce pouvoir-là. Elle l'a aussi, et on l'avait presque oublié

Dire autrement ce qui est tellement autre que si on s'y prenait normalement ça n'aurait aucun sens.

Merci Pascal pour m'avoir fait decouvrir ce livre inattendu, insolite.

Mon cher Henri Michaux aurait aimé je crois ce

Soleil à coudre, cette espèce de voyage en grande Garabagne..



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Tu seras seule dans la grande nuit, cette petite voix intérieure qui se répète.
Tu seras seule sous les étoiles de Port-au-Prince, la ritournelle d'Haïti.
Tu seras seule.

Tête fêlée, une jeune adolescente.
Fleur d'Orange, une mère putain et alcoolique.
Papa, un gangster qui n'en est pas à son premier meurtre.
Silence, une fleur dans cette constellation.
Silence, une beauté, un sourire aux jambes caramélisées.
Silence, une femme qui s'est enfuie et dont Tête fêlée rêve de retrouver.
De l'autre côté du rivage.
De l'autre côté des vagues.
De l'autre côté de l'océan.
De l'autre côté de la nuit.

Le soleil d'Haïti chauffe les êtres tellement qu'ils en deviennent fêlés. de cette terre qui n'est pas une terre mais un bidonville puant de merde et de désespoir, vit une belle âme à la Tête fêlée éprise d'amour dans cet immonde cloaque. Seule au milieu d'un enchaînement de violence, déchaînement de vents et de poussières, d'effluves nauséabondes et de vagues acérées. Seule dans la grande nuit.

Une histoire d'amour sous le soleil. Une histoire de pauvreté, de misère, de sexe, de violence. Un instant de désespoir, si triste mais si beau. Des immondices de la vie nait la poésie. Celle de Jean d'Amérique, un nom bien haïtien pour un portrait peu glorieux de son île. Mais quelle île ! Elle est magnifique, si belle, si chaude, si fiévreuse. Mais quelle rage, quelle intensité, quelle émotion…

La nuit t'appelle. Tu seras seule. La solitude t'attend, tu seras seule la nuit. Les étoiles éclairent les coins sombres de la rue, un chat sauvage, le chant du vent. Tu seras seule dans la grande nuit. La violence coule sur le rivage, de vieilles seringues comme des coquillages. Des cris s'immiscent dans la nuit, ébats violentés et débats éméchés. Une jeune fille à la Tête fêlée découvre ce monde, immonde. Elle rêve, d'amour, de toujours. Mais il n'y a que des corps à chevaucher, enjamber encore. En corps et en cri, la nuit. Elle change de trottoir, nouvel abattoir : la nuit est en sang, indécent. Je veux mourir comme une étoile qui brille sous ce voile noir. Cruel, ce soleil.
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critiques presse (3)
Liberation
09 septembre 2021
Ce premier roman du poète et dramaturge Jean d’Amérique serre le cœur pour ce qu’il incarne de la tragédie perpétuelle de son pays, Tête fêlée, c’est un peu Haïti. Il enchante par sa langue, qui rend les déchirements et le feu intérieur.
Lire la critique sur le site : Liberation
LeSoir
14 mai 2021
Il a 26 ans. Il vit désormais à Bruxelles. Son premier roman est empli de la violence urbaine qui frappe sa ville de Port-au-Prince.
Lire la critique sur le site : LeSoir
LeMonde
19 mars 2021
Le premier roman du jeune poète haïtien suit Tête Fêlée, fille de bidonville, dans son épopée nocturne. Fiévreux et sombre
Lire la critique sur le site : LeMonde
Citations et extraits (89) Voir plus Ajouter une citation
Chaleur qui monte, sueur qui descend, souffle qui alarme l’air, voix qui cassent l’hésitation, cris qui se libèrent, poings qui se lèvent, chant rebelle qui s’écrit, pneus en flammes, pancartes qui déchirent l’espace, slogans qui mitraillent : la rue enlace le brasier d’une foule venue cracher son besoin de vivre. On ne s’attendait pas à voir autant de gens répondre à l’appel à manifestation du petit comité citoyen de Cité Paille. C’est que leurs motifs de protestation sont communs à tous les autres quartiers précaires du pays : pas d’accès à l’eau potable et, sur leurs quelques kilomètres carrés, pas moins de cinq organisations non gouvernementales mènent depuis des années des projets à coups de millions au nom de ce problème. La foule est immense, c’est dire à quel point la population avait soif de ce moment. Tout se lit sur ces visages armés de rage et d’espoir, d’où s’élèvent des voix qui s’épaississent de plus en plus.
Et voici le silence, le silence meurtrier qui débarque. Un cortège de vautours envoyé par monsieur l’Etat pour semer la peur partout où pousse quelque bruit contestataire. Je parle de ces flics, véritables bourreaux en cagoule, je parle de ce troupeau de monstres appelés forces de l’ordre qui viennent pourtant semer le trouble au milieu d’un peuple debout pour la bonne cause. Cela fait penser aux têtes tabassées, aux emprisonnements injustes, aux cris étouffés par les bulldozers d’un système répressif, aux coups de matraque mortels, aux balles assassines qui ne ratent pas leur cible, aux voix étranglées pour avoir osé se lever, aux anges criblés de projectiles pour tentative de déploiement d’ailes, aux cadavres empilés le long des rues, à la pisse qui prend le large sur la face de la lutte… Les flics n’ont pas d’amour à partager, ni de tendresse à vendre, ils font parler la haine et portent le dégoût dans leurs gestes. De mémoire de gueule, on n’en a jamais vu d’aussi sales. Ils arrivent avec le silence dans leurs bombes lacrymogènes, ils arrivent avec des « ferme ta gueule » dans leurs bottes et des « tais toi racaille » au bout de leurs pistolets.
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Repaire de toutes vagues humaines où l'on ronge les nuits et leur mission de soleil, ce bar est un rivage au grand cœur, un ciel où des oiseaux en mal de branches dans la savane de la vie quotidienne viennent guetter un ailleurs. Ouvriers hantés par le supplice du travail, traînant la voix incendiaire du patron dans leurs carcasses cervicales même très loin de l'usine, la besogne pénible et le salaire de misère, étudiants qui en ont marre d'étudier, errants de tous les coins, abonnés de la chaîne bohémienne, chômeurs, électrons libres ou prisonniers de l'oisiveté, corps terrassés par le vide, jeunes gens à l'affût de chair neuve, célibataires à la recherche de regards d'autres délaissés, tessons de cœurs venus se recoller à l'horizon d'un verre, enfin bref, tout le monde se forge une place ici. Bazar de toutes les couleurs, de toutes les chaleurs.
C'est un peu la seconde maison du Seigneur des Entrecuisses, cet endroit. Il vient régulièrement pour escalader les portes de ses poumons, pêcher d'autres fleuves que le sang pour irriguer ses veines, mettre à jour son statut d'éméché puis se tirer par la fenêtre des illusions. Et ce soir, cloué autour de cette table encore une fois avec ses amis, il ne cherche qu'à dégainer l'arme capable de contrer les relents suffocants de la tristesse. D'un côté, un couple sirote de la bière, échange des sourires légers, comme par précaution, pour ne pas se frôler au fond. De l'autre côté, une jeune femme plonge sa tête dans un verre de whisky, vacille entre l'enfermement de soi et la brûlure d'un écartèlement, énonce sa solitude à regarder les passants qui s'invitent joyeux dans les battements des haut-parleurs, s'écorche le cœur à fixer sans relâche des ombres humaines qui, reliées d'une douce magie par les mains, disparaissent parfois pour de bonnes minutes dans la salle de danse ou dans les toilettes...
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Issue de toutes contrées, le cul botté par des plaies sociales, une marée humaine est arrivée ici au nom de la lumière un jour de ciel noir, un jour de gueule pâle. Nomade comme une vague, libre, si liberté, c'est reprendre ce que les malades du pouvoir privatisent à tort. Une foule de rejetés est arrivée dans ce coin un jour de soleil déchiré. Un jour de lutte, à marquer les vitres de l'Histoire d'un sacré coup de pierre. Un jour de poing levé, à planter un drapeau de flammes sur les collines de la mémoire. Des marginalisés sont arrivés en horde et se sont installés, pour faire valoir leur droit d'habitants de la Terre en s'offrant une parcelle. Un jour à en vouloir à la lâcheté, un jour à cracher sur l'état qui s'était décrété propriétaire, laissant des terrains vagues à la merci des bêtes et des déchets tandis que des milliers de citoyens étaient sans demeure. Il y a une vingtaine d'années, une marée humaine est arrivée ici pour forcer la ville au large, pousser la mer et en faire ligne d'habitation. Inhabitable pourtant.
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Je t'écris avec du retard dans la gorge. Je te parle avec mes oiseaux morts, mes veines blanches et mes orteils arqués: fruits amers des kilomètres jetés entre nos cœurs. J'essaie d'avancer vers toi, espérant voir se fondre nos envies dans la même eau. T'aimer est le plus doux chemin vers la vie. J'avance. J'ai, chaud en moi, le souvenir de chacun de nos regards, chacun de nos battements communs, reste encore vif en moi ce moment où on s'est frôlées la semaine dernière (...)
J'en tremble. Je tremble, pardonne moi si mes mots te parviennent trébuchants. Sache qu'ils sont nés avec la mission de te fixer droit dans les yeux et de te dire mon rêve d'y habiter. Je connais ton regard, c'est la mer qui veille sur le printemps, j'y vois le large chaque fois que je le croise et je sens s'embraser nos élans, à faire tomber les hautes murailles qui nous écartent.
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Cercueil de la tendresse, Papa ne se sent traversé par la vie que quand il cogne. Cogner... Importe peu le refuge des coups. Poétique du poing. Je frappe donc je suis. Papa ne s'adonne pas au jeu de la souplesse. Il déteste toute chose qui ne fait pas, selon lui, assez de mal aux muscles. Ne tolère pas la littérature, par exemple. Pour lui, écrire serait une vraie insulte à son corps. ll n'est pas de ces êtres qui ouvrent leur fenêtre à la poésie. Les poètes ont des poings énormes : il irait avaler Lavilliers comme du mauvais sirop pour ce vers. Il n'a pas le sens des mots. Un jour, voyant un écrivain discourir à la télé - ce n'est pas qu'il ne comprenait rien à ses propos, c'est que celui-ci le dégoûtait de se contenter d'être un écrivain il a jeté sa voix contre l'écran comme un sphinx : Si tu pensais à autre chose qu'à grossir ta bibliographie, si tu lançais autant de coups de poing que de mots, tu descendrais pas mal de ces salauds que tu voudrais voir se taire!
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Cette anthologie du Printemps des Poètes 2023 proposent 111 poètes contemporains et des textes pour la plupart inédits. La plus jeune a 20 ans à peine, le plus âgé était centenaire. Tous partagent notre quotidien autour de la thématique corrosive des frontières. Leurs écrits sont d'une diversité et d'une richesse stimulantes. Ils offrent un large panorama de la poésie de notre époque. Avec notamment des textes de Dominique Ané, Olivier Barbarant, Rim Battal, Tahar Ben Jelloun, Zéno Bianu, William Cliff, Cécile Coulon, Charlélie Couture, Jean D'amérique, Michel Deguy, Pauline Delabroy-Allard, Guy Goffette, Michelle Grangaud, Simon Johannin, Charles Juliet, Abdellatif Laâbi, Hervé le Tellier, Jean Portante, Jacques Roubaud, Eugène Savitzkaya, Laura Vazquez, Jean-Pierre Verheggen, Antoine Wauters…
Mesure du temps La fenêtre qui donne sur les quais n'arrête pas le cours de l'eau pas plus que la lumière n'arrête la main qui ferme les rideaux Tout juste si parfois du mur un peu de plâtre se détache un pétale touche le guéridon Il arrive aussi qu'un homme laisse tomber son corps sans réveiller personne Guy Goffette – Ces mots traversent les frontières, 111 poètes d'aujourd'hui
Lumière par Iris Feix, son par Lenny Szpira
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