Citations de John Burdett (60)
Nous vivons à une époque de psychose imposée.
Vivre à Hong Kong, c'était comme camper devant l'entrée de la grotte d'un cyclope. Survivre requérait une étude méticuleuse des habitudes du monstre, mais tout le monde tirait tôt ou tard la même conclusion : le cyclope était fou.
Nous devons oublier un moment la négligence professionnelle et regarder les choses dans une perspective personnelle. Pence à ton organe préféré , Ben.
Je dois préciser qu'il existe deux façons d'échapper à la mort sur nos routes : pop pong et pop gun. Pop gun, c'est recourir à tous ces moyens inefficaces et ennuyeux consistant, par exemple, à boucler sa ceinture et à ne pas conduire trop vite. Nous préférons généralement pop pong, une protection spirituelle inviolable. Convenablement pratiqué, non seulement pop pong protège votre vie mais il peut aussi sévèrement châtier ceux qui la menacent.
Appeler ce méli-mélo de vanité, de désespoir et d'apitoiement sur soi-même le moi est non seulement le comble de l'orgueil mais aussi la preuve (si tant est qu'il en faille une) que nous sommes avant tout une espèce en proie à l'illusion.
[...] - Bon, d'accord [...] pour toi, l'esprit occidental est le croisement digne de Frankenstein d'une religion mal ficelée et des idées d'une bande de pédophiles grecs [...] ?
- Oui, à peu près.
[...] La Thaïlande ne retire pas grand chose d'industries comme celles du vêtement. Les sociétés occidentales se réservent la part du lion. C'est pourquoi nous voyons dans l'industrie du sexe une façon de redistribuer la richesse mondiale de l'Occident vers l'Orient.
[...] L'Occidental fait généralement observer que le Thaï vit dans un paradis de dupes. Peut-être, mais le Thaï n'est-il pas fondé à rétorquer que l'Occidental s'est construit un enfer de dupes ?
[...] Nous sommes un peuple superstitieux pour lequel quelque chose d'aussi intime que le nom doit nécessairement posséder un pouvoir magique. X demande ce qu'il en est des noms occidentaux. Ils reflètent généralement le fait que les Occidentaux sont obsédés par l'argent, en ceci qu'ils rappellent le métier que faisait un de leurs ancêtres : Smith, Woodman, Baker, Meunier, etc. C'est donc l'argent qui compte pour eux, et pour nous c'est la magie ? On peut le dire ainsi, bien que ce soit peut-être trop simplifier.
[...] Quoique la Thaïlande soit une société bouddhiste et humaine soucieuse des droits de l'homme et de la dignité de ses citoyens, les pays riches doivent comprendre que nous n'avons pas toujours les ressources nécessaires pour faire appliquer la loi comme il le faudrait. C'est un luxe que seules peuvent s'offrir les nations qui se sont industrialisées les premières.
-Mais qui apporte ici tous ces braquemarts ? Qui les orne de fleurs fraîches ?
-Les femmes du cru.
-Des femmes apportent des godemichés géants pour les dédier à l'esprit masculin du ficus ? Hmm, ça donne à réfléchir.
[...] Tu es le fils d'une pute, proxénète, tu diriges un bordel, tu fais partie d'une des polices les plus corrompues d'Asie, mais tu es innocent.
Je n'ai jamais enfreint une loi, fraudé, menti ni participé à une affaire tordue de ma vie, et pourtant je suis corrompue, je me sens sale.
Les farangs ne nous comprennent pas. Ils croient que parce qu'une fille vend son corps, elle n'a aucune dignité, elle ne connaît pas de limites. En fait, c'est le contraire qui est souvent vrai. Des femmes comme ta mère sont des esprits très libres. (…) Il arrive qu'une femme vende son corps parce qu'elle trouve ça plus digne et plus sûr que d'être mariée à un pochtron qui va aux putes sans protection.
Il découvrit que la télévision était destinée à des cerveaux épuisés par une journée de travail. Maintenant qu'il avait la malchance de pouvoir lui accorder son attention, il constatait que les messages avaient la consistance de la barbe à papa. Est-ce que quelqu'un, au-dessus de douze ans, regardait vraiment MTV?
"[...] la société occidentale pose de multiples problèmes, mais il y en a sans doute un qui détruira la civilisation. Je veux parler de votre incapacité à concevoir que vous pouvez vous tromper." (10/18 - p.332)
[…] Cloué sur place, je suis stupéfait de ce qui est arrivé au type qui me regarde dans le miroir, celui-là même qui, de temps en temps au cours de sa vie, a paru vraiment près d’atteindre le plein éveil spirituel promis par le Bouddha.
[...]- Franchement je donnerais dix ans de ma vie pour rester à Hong Kong.
- Sur ce rocher pollué, infesté de chinetoques, superficiel, grossier, matérialiste, étouffant ?
- Vous savez pourquoi ? Parce qu'il grouille de vie, nuit et jour. Il en déborde. Les gens courent dans tous les sens pour gagner leur croûte, personne n'a le temps de rester assis à gémir. L'Angleterre est au Vallium, l'Amérique au Prozac. Ici, les gens se comportent encore en êtres humains. Il y a de la jeunesse, de l'ambition, de l'énergie. Quatre-vingts pour cent de la population ont moins de trente ans.
[...] Chan avait lu un poème contemporain dans lequel le vent était comparé à la ruée d'un milliard d'hommes invisibles écrasant tout sur leur passage. Le poète n'avait pas besoin d'être plus précis : dans la mythologie ancienne, le vent est une manifestation du Dragon, et le trône du Dragon appartenait à l'empereur de Chine.
— Des trois religions universelles, l’une est fondée sur une compréhension profonde de la psychologie humaine, une autre sur la connaissance intuitive profonde de la structure sociale nécessaire pour que les gens vivent en paix et en harmonie. Vous me suivez ?
— Je crois.
— La première est le bouddhisme, l’autre l’islam. La troisième est un fatras de magie primitive et de charabia, où les cadavres ressuscitent et se baladent le corps percé de trous, où les lépreux guérissent subitement et où les aveugles voient tout d’un coup, où les vierges enfantent et où les serpents parlent. Comme tout ça est un mensonge éhonté, il faut faire quelque chose pour que les fidèles continuent à déposer des pièces dans le tronc des églises, sinon le modèle économique sur lequel repose tout ce pieux édifice s’effondrerait en moins d’une génération.
- Pour un moine, vous passez beaucoup de temps dans un café internet. Vous êtes un bouddhiste moderniste ?
- Bien sur que non. Le modernisme est pour l'essentiel une forme de divertissement, superficielle de surcroit. Il ne survit pas aux désastres écologiques et à la pénurie de pétrole. Pas même aux attentats terroristes. Et certainement pas à la pauvreté, qui est le lot de la plupart d'entre nous. Rien qu'en appuyant sur un bouton l'image disparait de l'écran. Les vieilles questions recommencent alors à nous tourmenter : Qui suis-je ? D'où viens-je , Où vais-je ? Mais sans sagesse, ces questions deviennent empoisonnées. Qui est en proie à la confusion cherche refuge dans la bigoterie et le sectarisme, sources de conflit comme chacun sait. Une guerre high tech et nous voilà revenus à l'âge de pierre. Tel est le lien entre le bouddhisme et le modernisme. Autrement dit, il n'y en a pas, sauf à considérer que ce dernier est le remède au premier.
"La renaissance, voilà comment cela se passe, farang (au cas où tu te poserais la question) : tu te prélasses sur un magnifique balcon ouvert sur le ciel étoilé, on entend une musique divine, si parfaitement jouée que c'en est presque insoutenable, quand il se produit tout à coup quelque chose de terrible : l'harmonie magique se rompt en une innommable cacophonie. Que se passe-t-il ? Es-tu en train de mourir ? Tu peux le dire de cette façon. Ce bruit affreux est le premier cri du bébé : toi. Tu es né dans un corps humain où toutes les fautes commises dans ta vie antérieure ont laissé leur empreinte, et il te faut maintenant passer les soixante-dix ans qui suivent à tenter péniblement d'entendre à nouveau la musique. Pas étonnant que nous pleurions." (10/18 - p.116)
[…] Des routards farangs cheminaient pesamment sous leurs énormes sacs à dos pleins de vêtements de rechange pour six mois et de produits pharmaceutiques pour un an.
Ce qui m’ennuie vraiment, c’est le ton avec lequel elle a dit : « L’asservissement sexuel est bien la dernière chose dont j’ai besoin » - un ton maternel. C’est comme si elle m’avait mal habillé pour aller à l’école et que j’allais être mal à l’aise toute la journée. Me voilà écartelé entre indignation rageuse et fascination érotique. Je n’ai jamais rencontré une femme comme elle. J’ai évidemment envie de la revoir. Le mieux serait qu’elle soit elle aussi en manque, mais c’est trop espérer dans cette ville himalayenne où l’attention est dirigée vers le ciel.