Les Bienveillantes nous raconte l'histoire de Maximilien Aue, un soldat nazi de la Wafen-SS pris dans l'engrenage de la seconde guerre mondiale, de 1941 à 1945. C'est un parti pris unique que choisit ainsi d'adopter
Jonathan Littell puisqu'il choisit de nous raconter l'histoire de cette guerre et de la Shoah à travers les yeux d'un bourreau -et pas n'importe lequel : Maximilien est probablement un des personnages de roman les plus détestables que j'ai jamais rencontré. En plus d'être un officier SS aux actions intolérables, il a également la personnalité la plus insupportable du monde (oui, j'épuiserai tous les synonymes de « détestable » dans cette chronique). C'est en effet un homme ayant de sérieux troubles psychiatriques, moraux et comportementaux. de la relation malsaine qu'il entretenait avec sa soeur jumelle découle en effet une sexualité très troublée, ses relations familiales sont quant à elles très affectées par la disparition de son père et sa double nationalité franco-allemande nourrit ses penchants pour la controverse et la polémique. Bref, jusqu'à la dernière scène, Maximilien Aue est une ordure.
Et ce qui est pire que d'avoir comme personnage principal d'un roman une telle ordure, c'est que l'histoire nous soit racontée de son point de vue : Maximilien Aue est en effet le narrateur des Bienveillantes. Avec ses mots, son flot de paroles parfois ininterrompues, il assemble ainsi sa petite histoire à la grande Histoire, avec un « H » majuscule. Il nous raconte ainsi ses missions effectuées sur le front Russe, la bataille de Stalingrad, les maladies et blessures qu'il a endurées, son ascension dans la hiérarchie militaire, la façon dont il a participé à l'organisation de la solution finale, son retour à Berlin, sa perception des camps de concentration… C'est toute l'Histoire du côté nazi et tout ce vécu qui est englobé dans l'expérience de Maximilien -en plus de ses troubles personnels.
Je pourrais en dire des tonnes sur ce personnages méprisable -car malgré son côté haïssable (on monte en gamme, là), il est tellement bien construit et fouillé qu'il en devient presque fascinant (mais alors jamais attachant). En plus d'être probablement un cas d'école pour les psychologues, c'est aussi et surtout un personnage de roman particulièrement intéressant. Déjà parce que, lisant l'histoire de son point de vue, on est tentés de croire ce personnage qui se veut érudit et cultivé sans remettre sa parole en doute. S'il décrit ainsi très souvent les autres tuer, c'est en revanche très rare qu'il se décrive le faire… on le croirait presque spectateur passif, tiens ! le rôle d'intellectuel qu'il veut ainsi se donner peut ainsi avoir tendance à tromper le lecteur, à le manipuler.
En plus de nous raconter la traversée d'un personnage fictif à travers le nazisme,
Les Bienveillantes rassemble également une tonne d'informations historiques particulièrement intéressantes. S'il est parfois difficile de faire la distinction entre la fiction et l'Histoire, on est en tout cas épaté de constater à quel point le roman est riche de précisions historiques et rigoureusement documenté. C'est passionnant ! On y retrouve ainsi des personnalités connues (Himmler) ainsi que des événements marquants de l'Histoire (le discours de 4 octobre 1943), on y découvre de même que « le nazisme » est en réalité « les nazismes », et qu'il y avait mille et une façons d'être nazi entre 1941 et 1945. C'est un aspect du livre que j'ai énormément apprécié et qui contribue à en faire un roman très abouti et fouillé. Petite anecdote : c'est assez surprenant de voir écrit « les ennemis » en parlant des alliés !
L'écriture de
Jonathan Littell est très dense -cela vient d'ailleurs en partie du caractère et du style de son personnage lui-même. La lecture est parfois faite de paragraphes interminables et de phrases dont la longueur ferait presque pâlir
Proust, mais j'ai trouvé que la lecture restait dans l'ensemble assez fluide. La seule (et vraie) difficulté que j'ai rencontrée venait du caractère et des propos imbuvables de Maximilien Aue. C'est parfois très difficile de lire ses pages de délire, ses souvenirs pernicieux et les soucis de santé à caractère très scatologique qu'il nous fait souvent partager. Si vous êtes sensibles ou que vous êtes un peu déprimés en ce moment, ce n'est pas forcément un livre que je vous recommanderais.
En revanche, si vous aimez les lectures exigeantes, si vous n'avez pas peur de lire des choses éprouvantes et parfois insoutenables, que vous aimez les histoires et personnages marquants, les intrigues qui vous prennent aux tripes et vous hantent -et accessoirement que vous n'avez pas peur des pavés de 1390 pages–
Les Bienveillantes est certainement à ajouter à votre « liste de livres à lire ». J'ai ressenti pendant ma lecture des émotions assez similaires à celles que j'avais ressenties pendant Voyage au bout de la nuit de Céline, mais en encore plus intenses.
Les Bienveillantes est un livre que j'ai adoré. Je n'ai pas besoin d'avoir un héros aimable pour apprécier ma lecture, un personnage principal odieux comme Maximilien ne me fera pas fermer un livre à tout jamais. Au contraire, il provoque en moi des réactions et émotions fortes et me laisse un souvenir impérissable. J'aime les histoires dérangeantes, qui embarrassent et font réfléchir, qui invitent à prendre parti et à se faire sa propre opinion. J'essaye d'être exigeante avec mes lectures, et j'attends qu'elles le soient aussi de moi : qu'elles me donnent l'occasion de réfléchir, qu'elles me sortent de ma zone de confort. Je suis souvent plus épanouie dans les lectures qui exigent de moi beaucoup d'attention, de discernement et de prudence. En cela,
Les Bienveillantes a parfaitement rempli son rôle : j'ai l'impression d'en ressortir grandie, un peu plus réfléchie peut-être, satisfaite d'y avoir mis un peu d'effort et d'avoir repoussé mes limites. C'est un livre qui ne plaira peut-être pas à tout le monde à cause de son côté profondément déprimant et de la personnalité déséquilibrée du narrateur, mais qui vaut toutefois vraiment le coup d'être lu tant il est impressionnant et passionnant.
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