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Critiques de Julian Barnes (533)
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La seule histoire

Certaines lectures vous bouleversent, des situations vous reviennent en mémoire, vous revenez encore et encore sur quelques phrases ciselées.

C'est une libraire qui m'a tendu le livre et m'a dit : "le récit d'un premier amour sous la plume de Julian Barnes" ; Je respecte ses choix - sa voix, son regard en disaient long, et je ne me suis pas trompée.



"La plupart d'entre nous n'ont qu'une histoire à raconter. Je ne veux pas dire qu'une seule chose nous arrive dans notre vie ; il y a d'innombrables événements, dont nous faisons d'innombrables histoires. Mais il n'y en a qu'une qui compte, qui vaille finalement d'être racontée. Ceci est la mienne". Ces quelques lignes, ce troisième paragraphe de la seule histoire résume très bien ce roman. Il s'agit de l'histoire de Paul, jeune étudiant de dix-neuf ans qui fait la connaissance de Susan, mère de famille de quarante huit ans, dans un club de tennis. Ils jouent en double, il est conquis par sa personnalité originale - peu à peu s'installe une évidence, ils s'aiment, Susan quitte son mari. Paul et Susan vont vivre ensemble quelques années heureuses, jusqu'à ce que Susan sombre dans l'alcoolisme.

Cette seule histoire, Paul nous la dépeint sous trois angles : à la première personne du singulier, une histoire qu'on décrit, dont on donne les détails, les faits précis. Puis à la deuxième personne du pluriel, le "vous" prend le relais du "je" - c'est un autre regard, une autre façon de comprendre l'histoire. Et puis, finalement, c'est le "il" qui se substitue à Paul, on pourrait croire que l'histoire est vue de l'extérieur - mais non, elle est vue de l'intérieur, les sentiments sont explorés, il ne s'agit plus de fait, c'est l'amour qui est dépeint sous toutes ses facettes.

Paul reprend la parole à la fin du roman, lorsqu'il rencontre Susan pour la dernière fois.



Julian Barnes dépeint la société anglaise de l'après-guerre, un monde disparu, Il met en scène Paul, Susan, Joan, l'amie de Susan, les parents de Paul, le mari de Susan… personnages d'une autre époque… Mais La seule histoire nous parle d'un amour qui a éclairé toute une vie. Un aspect intemporel, qui ne peut pas nous laisser indifférent.



Le texte est magnifique - bien rendu par la traduction de Jean-Pierre Aoustin.



Une lecture que je trouve exceptionnelle.

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Le fracas du temps

« L'art appartient au Peuple ». Cette phrase de Lénine aura pesé comme du plomb sur la vie et la musique de Chostakovitch.

Né en 1906 à Saint-Pétersbourg (ou Petrograd, ou Leningrad, ou, ironiquement, Saint-Leninsbourg), dans le milieu de « l'intelligentsia libérale de cette ville suspecte » (entendez : bourgeoise), le compositeur russe voit sa carrière éclore et se développer sous le régime soviétique, qui considère qu' « un compositeur était censé augmenter sa production comme un mineur de fond la sienne, et sa musique était censée réchauffer les coeurs comme le charbon du mineur réchauffait les corps ». Et donc la musique, comme les mines de charbon, les usines et tous les moyens de production, appartient au Peuple. Et le Peuple (entendez : le Petit Père des Peuples), qui est infaillible, a le droit d'exiger des compositeurs qu'ils produisent la musique que le Peuple veut entendre. Et le Peuple veut une musique optimiste. le Peuple veut donc un Chostakovitch optimiste. Autant dire une pure contradiction dans les termes, et une véritable torture pour ce dernier, pour qui « être russe, c'est être pessimiste ».

Ce roman biographique est découpé en trois parties, trois moments terriblement humiliants, lors desquels Chostakovitch dut s'écraser sous le poids du Pouvoir politique.

En 1936 d'abord, lorsque son opéra « Lady Mcbeth de Mzensk », qui triomphe dans le monde entier depuis deux ans, est joué au Bolchoï en présence de Staline. Celui-ci, qui n'y entend que cris perçants et grognements, quitte la salle avant la fin. le lendemain, l'oeuvre est descendue en flammes dans la Pravda, qui titre « Du fatras en guise de musique ». Pour Chostakovitch, désigné « Ennemi du Peuple », l'arrêt de mort est signé. Pendant des semaines de terreur, après une première « conversation avec le Pouvoir », il attendra son arrestation. Celle-ci, par une chance inouïe, n'arrivera pas, son interrogateur ayant lui-même été accusé de complot – et exécuté – quelques heures avant le deuxième « entretien ».

En 1948, alors que Chostakovitch, réhabilité après avoir « reconnu » s'être fourvoyé dans « Lady Mcbeth », est envoyé à New York avec une délégation soviétique à l'occasion du Congrès pour la Paix. Contraint de jouer les perroquets de Staline, il ânonne des discours de propagande qu'il n'a pas écrits, et est obligé de fustiger ce Traître à la Patrie qu'est Stravinsky, qu'il vénère pourtant depuis toujours.

En 1960, Staline est mort, mais le harcèlement sournois du Pouvoir continue. On lui « recommande » d'accepter la présidence de l'Union des Compositeurs d'URSS. Mais pour être digne de cet « honneur » insigne, Chostakovitch doit adhérer au Parti. Sous pression, il finira par le faire, la mort dans l'âme, des larmes de rage et d'impuissance dans les yeux.



La question centrale de ce roman, de la vie de Chostakovitch est : avait-il le choix ? Et quels choix avait-il ? Résister, jouer les héros et devenir un martyr du stalinisme ? Demander l'asile aux USA en 1948 ? Se suicider ? « Mais ces héros, ces martyrs, [...], ils ne mouraient pas seuls : beaucoup de leurs proches étaient éliminés en raison même de cet héroïsme. Et donc ce n'était pas simple, même quand c'était clair. Et bien sûr, l'intransigeante logique s'appliquait aussi dans le sens inverse : si vous sauviez votre peau, vous pouviez sauver aussi vos proches, ceux que vous aimiez. Et puisque vous auriez tout fait pour sauver ceux que vous aimiez, vous faisiez tout pour rester en vie. Et parce qu'il n'y avait pas le choix, il n'était pas possible non plus d'éviter la corruption morale ».

Chostakovitch sait qu'il n'est pas un héros. Il sait même qu'il est un lâche, mais il veut protéger sa famille. Alors il accepte les « remontrances bienveillantes » du Pouvoir mais écrit une musique ironique à double sens, accepte d'être vu comme une caution du Pouvoir et d'être cautionné par lui. Il fait profil bas mais son âme est rongée par une souffrance morale sans nom.

Aujourd'hui la musique de Chostakovitch a réussi à s'opposer au fracas de ce temps soviétique. C'est ce qu'il espérait : « ... que la mort libérerait sa musique : la libérerait de sa vie. le temps allait passer, et les musicologues auraient beau poursuivre leurs débats, son oeuvre commencerait à exister par elle-même. L'Histoire, comme la biographie, s'estomperait : peut-être qu'un jour le fascisme et le communisme ne seraient plus que des mots dans des livres scolaires. Et alors, si elle avait encore quelque valeur – et s'il y avait encore des oreilles pour entendre – sa musique serait ... juste de la musique ».

Au final, à qui l'art appartient-il ? « Ne pas pouvoir répondre était la réponse correcte. Parce que la musique, en définitive, appartient à la musique ».



Ce roman, qui rend parfaitement compte de la pression, du harcèlement, de la terreur distillés par le régime soviétique, est magistral. Comme dans les partitions des grands compositeurs où pas une note, une nuance, un accord, un silence n'est laissé au hasard, chaque mot est ici pesé, réfléchi, aucune phrase, aucune virgule n'est superflue ou gratuite, tout a du sens. Constitué de fragments plus ou moins longs, le roman est cependant très fluide. Il peut sembler répétitif, revenant en cercles concentriques de plus en plus serrés sur les événements, mais ce procédé traduit bien l'état d'esprit d'un Chostakovitch à la fois ironique et tourmenté jusqu'à la moelle, ruminant jusqu'à sa mort la justesse de ses choix. Même si on sent son empathie, l'auteur, qui fait preuve d'une grande finesse psychologique et politique, ne juge pas Chostakovitch et laisse ouverte la question impossible : qu'aurions-nous fait à sa place ?


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Une fille, qui danse

Tony Webster est un héros sympathique, qui prend conscience au bout d’une longue introspection, qu’il est peut-être passé à côté de sa vie. Il croyait avoir réussi, socialement dans son métier et dans son mariage, menant une vie rangée, à l’aise financièrement, le rêve de sa génération, dans les années soixante.



Il pensait avoir fait table rase du passé, et enfoui tout au fond de sa mémoire ce qui s’était passé avec son amour de jeunesse Véronica, croyant lui avoir réglé son compte après la fameuse lettre. C’était un jeune homme, puis un homme mûr, plutôt pragmatique : en tournant le dos au passé, il pensait le tenir à distance et maîtriser sa vie.



Mais le passé n’est jamais très loin, surtout quand on a éludé le problème au lieu d’y réfléchir. Quand il reçoit la lettre du notaire, lui annonçant que la mère de Véronica lui lègue cinq cents livres et le journal intime d’Adrian des questions vont se poser, l’obligeant à cheminer vers la vérité.



J’ai aimé le voir s’empêtrer dans ses sentiments, ses certitudes puis ses doutes, se attitudes maladroites avec Véronica qui ne va jamais lui donner le moindre élément pour qu’il y voit un peu plus clair. Il détricote le passé, revoit les évènements sous un autre jour, il a mûri depuis, il réfléchit différemment, il sait qu’il n’y a jamais de certitudes. Une phrase illustre très bien les choses : « Mais, je dois souligner de nouveau que c’est mon interprétation actuelle de ce qui s’est passé alors. Ou plutôt, mon souvenir actuel de ma façon d’interpréter ce qui se passait à ce moment-là. » P 61



Même si c’est douloureux, si parfois on a envie de le bousculer un peu pour qu’il aille plus loin, plus vite dans cette introspection, j’ai aimé aussi la manière dont Julian Barnes nous décrit les années soixante, l’éducation de l’époque, et aussi le quatuor de jeunes lycéens ambitieux, imbus d’eux-mêmes, persuadés qu’ils savent tout, une ambiance qui me rappelle « Le cercle des poètes disparus ».



Julian Barnes parle de fort belle manière des traumatismes, du suicide, l’hypocrisie de la société : « Mais, aux yeux de la loin si on se tue, on est par définition fou, du moins au moment où on commet l’acte. La loi, et la société, et la religion disent toutes qu’il est impossible d’être sain d’esprit et de corps et de se tuer ». P 70



C’est le premier roman de Julian Barnes que je lis et il m’a plu, malgré quelques longueurs car on sent la fragilité de cet homme et on le voit évoluer, progresser à tâtons, essayer de comprendre sa propre histoire, mais aussi celle de ceux qui l’entourent. L’auteur nous livre, dans ce roman, une réflexion profonde sur les imperfections de la mémoire.



Je ne sais pas si j’ai aimé ce roman ou si j’ai été séduite par certaines phrases, certaines réflexions sur la vie, la mort, le temps qui passe. « On croyait faire preuve de maturité, quand on était seulement en sécurité. On croyait être responsable, mais n’était que lâche. Ce qu’on appelait réalisme s’est révélé être une façon d’éviter les choses plutôt que de les affronter ». P 125 En tout cas, c’est un livre qui fait réfléchir, qui trouble, désarçonne, dérange car un brin moralisateur et que j’ai repris avec plaisir pour trouver des extraits significatifs.



Note : 7,6/10




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La seule histoire

"Préféreriez-vous aimer davantage et souffrir davantage ou aimer moins et moins souffrir ?" voilà commence " la seule histoire".

Cette question, on se l'est tous posée et je pense que la réponse varie en fonction du moment de notre histoire. Vous ne trouverez pas ici de réponse univoque mais bien plus une histoire d'Amour, une histoire singulière, une histoire intense, racontée dans un style et dans une forme qui empêche tout lecteur de se dire : voilà une histoire d'amour banale entre un jeune homme et une femme plus âgée comme on en a déjà lui tant d'autre.

Ne recherchez pas à tout prix une chronologie temporelle, laissez-vous porter par l'écriture de Julian Barnes. Ce roman demande un peu d'exigence mais il ne faut pas s'arrêter aux premières pages qui peuvent dérouter. Non, persistez, ce livre monte en intensité. Plus on avance dans ce livre plus on l'aime.

C'est une une histoire d'amour qui amène à réfléchir. Chaque partie change de pronom, on passe ainsi du "je" au "vous" et au "il". Ce "il" renforce la réflexion.

"Un coup de poing donné ne peut être repris. Des mots prononcés ne peuvent être gommés. Nous pouvons continuer comme si rien n'avait été perdu, ou fait, ou dit; nous pouvons prétendre oublier tout cela ; mais le tréfonds de notre être ne l'oublie pas, parce que nous avons été changé pour toujours."

Je terminerai sur cette phrase que je trouve terriblement juste.
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Elizabeth Finch

Certes érudit, ce livre est malgré tout comme tissé d'une sagesse apaisante. Le superbe portrait de femme que dresse le narrateur est ciselé, minutieux et féministe : Julian Barnes, à travers Neil, donne corps à une héroïne mystérieuse et inimitable, profonde et savante qui a une vision bien particulière de l'Histoire et de la religion. Il croise sa vie (fictive) et celle de Julien l'Apostat, mêle le destin du monde, celui d'un empereur romain et d'une femme qui était fasciné par cet auguste homme (plus de détails : https://pamolico.wordpress.com/2022/09/09/elizabeth-finch-julian-barnes/)
Lien : https://pamolico.wordpress.c..
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Elizabeth Finch

Pas facile de parler de « Elizabeth Finch » de Julian Barnes, un auteur anglais que j'apprécie énormément, au beau palmarès littéraire comme chacun le sait. Mais gros coup de cœur pour moi pour ce roman que j'ai relu deux fois – signe d'une belle complexité passionnante.





Le récit démarre alors que le narrateur, Neil – on comprend assez vite qu'il est étudiant – se tient face à une professeure étonnante du nom de Elizabeth Finch. On assiste en direct à l'un de ses cours, sur un sujet qui semble plutôt difficile : « Culture et Civilisation ».



Cette professeure n'est pas une femme comme les autres, on le comprend assez vite. Vu par les yeux du narrateur, un jeune étudiant fasciné par elle, le portrait vaut le détour.



« Elle portait des chaussures Oxford, noires en hiver, brun clair en automne et au printemps. Des bas ou des collants – vous ne voyiez jamais Elizabeth Finch les jambes nues. » Et assez vite, après un portrait des plus croustillants, on comprend aussi que notre narrateur s'intéresse beaucoup à sa professeure : « Malgré notre âge – de presque trente ans à déjà plus de quarante – nous, ses élèves, avons d'abord réagi comme des collégiens : nous nous posions des questions sur son passé et sa vie privée, nous demandions pourquoi elle ne s'était jamais – à notre connaissance – mariée. »



Les 190 pages suivantes vont être consacrées à en savoir plus sur Elizabeth Finch, et bien sûr, en creux, à en savoir plus sur notre narrateur.

Il faut dire qu'elle est vraiment fascinante cette Elizabeth Finch.

Libre penseur (dit-on libre penseuse ?), elle apprend à ses étudiants à penser par eux-mêmes. Une sorte de Keating (Le cercle des poètes disparus) au féminin, une éveilleuse de conscience, un peu hors du temps, originale à sa façon, totalement dégagée des questions de mode, et d'une érudition peu commune. Solitaire, mais pas esseulée, elle est « amorale » (et non pas immorale) et n'exerce jamais aucun apitoiement sur elle-même.



« La meilleure forme d'éducation » dit-elle à ses élèves, « comme les Grecs le savaient, est collaborative ».



Commence alors un roman d'apprentissage où Neil – fasciné, amoureux ? – par celle qui va devenir son mentor, mesure la chance qu'il a d'être en présence d'une personne aussi extraordinaire. Il éprouve le sentiment « obscurément que pour la première fois sans doute, il était arrivé au bon endroit ».

Mais Elizabeth Finch est tout à la fois aussi mystérieuse, indéchiffrable, et Neil n'a de cesse de percer le mystère, bien après la fin de ses études (il tente de vivre du théâtre en tant que comédien, se marie, a un enfant hors mariage, mais nous en dit très peu à ce sujet) et alors qu'il entretient une relation privilégiée avec son égérie.





Survient alors un évènement : le personnage d'Elizabeth Finch va disparaître – du moins en apparence, puisqu'elle meurt de façon précoce.



Lui qui se désespère de la perte de celle qu'il admirait tant, se voit convoquer chez le notaire à propos du décès. Il y découvre le frère d'Elizabeth, Christopher, avec qui il va sympathiser, et apprend aussi qu'il hérite de la bibliothèque personnelle de son ex-mentor. Elle lui a légué également ses carnets, dans lequel il se presse de plonger, dans l'espoir aussi d'y trouver quelque chose qui le concerne.



Commence alors la seconde partie du récit.



Si Marguerite Yourcenar a son Hadrien (voir les fameuses « Mémoire d'Hadrien" , un livre magistral), E.F. comme la désigne Neil a son « P.G », alias « Pâle Galiléen », alias Julien l'Apostat.



Nous découvrons alors avec Neil le personnage historique de ce Julien, qui fut nommé « César en Gaule de 355 à 361 par Constance II, puis proclamé empereur romain à part entière de 361 à 363. Vingt mois de règne laissent la place à une postérité remarquable, ses actes et ses œuvres inlassablement commentés et bien plus souvent honnis et vilipendés que loué », nous dit Wikipédia.



Mais Julien doit son surnom « d'apostat » à sa volonté de rétablir le polythéisme dans l'Empire romain, alors qu'il avait été élevé dans la religion chrétienne, nous dit-on encore.



Notre narrateur se passionne pour ce nouveau personnage, dans une sorte de roman dans le roman : Elizabeth Finch fait preuve encore d'une belle érudition en ayant étudié toute l'histoire de cet apostat, qu'elle semblait trouver fort intéressante. Notamment parce que - libre penseur lui aussi - il autorisait les Chrétiens à pratiquer leur religion sans les pourchasser, évitant le piège d'en faire de martyrs, ce qui aurait attiré l'attention sur eux, mais prônant un culte polythéiste, comme du temps des Grecs.



D'où cette question centrale que se pose E.F., puis Neil, et nous avec eux : et si Julien avait triomphé ? Est-ce que la religion chrétienne serait devenue aussi importante pendant deux mille ans ? Pure conjonction intellectuelle puisqu'on sait que la religion chrétienne a pris le dessus, étouffant les autres religions.



Neil poursuit donc son enquête pour mieux comprendre celle qu'il admirait tant, menant régulièrement des interviews auprès de Christopher, le frère (qui ne connaissait que partiellement sa sœur si intelligente), et allant à la fin du roman jusqu'à retrouver Anna, une autre étudiante hollandaise fascinée elle aussi par sa professeure, et confrontant leurs souvenirs de ressentis, partiellement divergents.



Grande spécialiste de l'histoire de Julien l'Apostat, Elizabeth Finch va néanmoins connaître une cruelle mésaventure. Souhaitant donner une conférence intitulée au départ « Tu as vaincu, ô pâle Galiléen », qui est devenu ensuite « D'où vient notre morale », elle fut alors la cible des médias qui torpillèrent ses propos par une redoutable simplification à outrance, lui faisant dire ce qu'elle n'avait pas dit. Un tabloïd titra même « PROF TOQUEE PRETEND QUE LES EMPEREURS ROMAINS ONT RUINE NOTRE VIE SEXUELLE ».



La dernière partie du roman verra un Neil interrogatif face à tout ce qu'il a appris des carnets et bibliothèque de son ex-mentor. Faut-il écrire sa biographie ? et « ramper sur toute votre existence » comme l'a dit l'auteur américain John Updike ?



Je vous conseille chaudement la lecture de ce roman de Julian Barnes.



Ma théorie personnelle ? Julian Barnes a connu une professeure comme celle qui décrit. Et a voulu lui rendre hommage. Et a écrit ce roman d'apprentissage, sorte de biographie originale pour un personnage hors du commun.



L'auteur du « Perroquet de Flaubert », de « England, England », ou de « La seule histoire » réussit ici un exploit. L'exploit de nous avoir fait rencontrer cette femme hors du commun, libre penseuse, qui agite les méninges de nous lecteurs, comme elle fit avec ses étudiants.



Bravo Mr Barnes, Julian Barnes.

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Le fracas du temps

Chostakovitch n’est pas un compositeur que j’ai l’habitude d’écouter. Je ne connaissais que la valse n°2 entendue dans un spot publicitaire.



Quand je suis tombée par hasard sur ce livre dans une bouquinerie, j’ai pensé que ce serait l’occasion de le découvrir et d’élargir ma playlist classique.



Julian Barnes nous offre ici un aperçu de la vie entière de Chostakovitch. Enfin, pas tout à fait puisqu’il s’agit d’une biographie fictive. Comme l’auteur l’a souligné à la fin (en citant ses sources) : «la vérité était une chose difficile à trouver, et plus encore à affirmer dans la Russie de Staline. »



Quoi qu’il en soit, il a été facile d’imaginer ce qu’a pu être le quotidien des compositeurs sous Staline : « l'action du pouvoir sur l'art, les limites du courage et de l'endurance, les exigences parfois intolérables de l'intégrité personnelle et de la conscience. » (A. Preston)



L’auteur revient souvent à l’opéra « Lady MacBeth du district de Mtsenzsk » (1934) basé sur le roman de Nikolaï Leskov (1865), lui-même basé – bien évidemment – sur le texte de Shakespeare. Celui-ci à fortement déplu à Staline qui a assisté à une représentation en 1936. Un éditorial dans la Pravda plus tard… sa musique était condamnée par le Parti.



Un excellent roman, même si j’ai parfois été déstabilisée par les aller-retours dans la chronologie.



Tout au long de ma lecture, j’ai écouté cette compilation en 9 CD

https://bit.ly/3B8Uvb3



Je terminerai en disant que j’ai beaucoup aimé l’écriture de Barnes et il n’est pas impossible que je lise d’autres livres cet auteur. En attendant, je vais enchaîner directement avec le texte de Leskov.









Challenge musical 2022-2023
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Le fracas du temps

« Cette première nuit près de l’ascenseur, il avait décidé de ne pas fumer. Il y avait trois paquets de Kazbeki dans sa mallette et il en aurait besoin quand viendrait le moment de son interrogatoire. Et, si cela devait suivre, pendant sa détention. Il s’était tenu à sa décision les deux premières nuits. Et puis ça lui était venu soudain à l’esprit : et s’ils confisquaient ses cigarettes dès qu’il serait dans la Grande Maison ? Ou, s’il n’y avait pas d’interrogatoire, ou seulement la plus brève procédure ? Peut-être qu’ils poseraient une feuille de papier devant lui et lui ordonneraient de la signer et ……. Son esprit n’alla pas plus loin. Mais, dans tous les cas, ses cigarettes seraient perdues. Et donc, il ne voyait aucune raison de ne pas fumer. Et donc, il fumait ».

Cet homme près de l’ascenseur, c’est Dmitri Dmitrievich Chostakovitch. Il attend d’être arrêté. Il s’installe sur le palier chaque nuit – c’est la nuit qu’ils viennent - afin d’éviter à son épouse et sa fille l’insoutenable scène de son arrestation par quelques miliciens méprisants. C’est la période des Grandes Purges, où les exécutions, d’une ampleur sans précédent, pour des raisons réelles ou imaginaires, n’ont de cesse de maintenir le peuple dans une frayeur constante, une angoisse profonde.

Qu’a-t-il fait ? Il a composé un opéra, remportant un succès immense tant en Union Soviétique que dans le monde entier ! Lady Macbeth de Mzensk ! Mais voilà, Staline décide de se rendre au théâtre du Bolchoï ! Pourquoi le Pouvoir s’était-il tourné vers la musique et vers lui alors que ce Pouvoir s’était toujours intéressé davantage aux mots qu’aux notes ? Staline, accompagné de Jdanov et de Mikoïan, va détester son opéra. Ils partiront au milieu de la représentation. Un article assassin paraîtra dans la Pravda sous les directives du Pouvoir où sa musique sera comparée à du FATRAS EN GUISE DE MUSIQUE : « une œuvre titillant le goût perverti des bourgeois avec sa musique agitée, névrotique ». Cette œuvre attendra plus de trente ans avant d’être de nouveau sur scène.

(Cela me rappelle l’art considéré par les nazis comme « dégénéré »).

A partir de ce dramatique épisode, Julian Barnes va emporter le lecteur dans un récit glaçant, dans une tragédie humaine qui va se dérouler en trois moments clés de la vie de Dmitri Dmitrievitch Chostakovitch, chaque chapitre commençant par cette phrase « Tout ce qu’il savait c’est que ceci était le pire moment ».

Chostakovitch sera considéré par le Pouvoir comme » récupérable » et de ce fait, il va bénéficier d’un tuteur politique qui va le rééduquer en la personne du Camarade Trochine ! Le Pouvoir ne le lâchera pas beaucoup. La plume efficace de Julian Barnes amène le lecteur à assister, avec effroi, à la destruction psychologique de Chosta.

Sous l’effet des mécanismes mis en place par le Pouvoir afin d’avoir une emprise diabolique sur les individus, la propagande, la peur, l’humiliation, la nécessité de protéger femme et enfants, la censure, la torture, la déportation, Chostakovitch ne pourra échapper à l’Histoire de l’Union Soviétique et sera plongé dans une véritable tourmente psychologique : collaborer puis la honte de collaborer. Il sera parjure à lui-même, lui qui était apolitique. Ainsi, Staline aura réussi à le détruire.

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Une fille, qui danse

« Tu ne piges pas, hein ? Mais tu n’as jamais pigé ». Ces quelques mots, Tony, le narrateur, se les entend dire à plusieurs reprises dans sa vie par Veronica, son amour de jeunesse.



Dans « Une fille, qui danse », Tony, le narrateur, se souvient de sa vie, et en premier lieu de son adolescence et des années qui ont suivi, quand il n’était qu’un jeune lycéen partageant son temps libre avec ses amis Alex, Colin, et Adrian, à l’intelligence exacerbée et aux nombreux questionnements philosophiques. Une fois à l’université, le petit groupe formé par les quatre garçons va se distendre quand Veronica, la petite amie de Tony, se met en couple avec Adrian quelques temps après sa rupture avec Tony, et achever de se briser quand Adrian met fin à ses jours…



Que s’est-il passé ? Pourquoi Adrian s’est-il suicidé ?



A la suite d’un héritage surprenant et inattendu venant de la mère de Veronica, qu’il n’avait vue qu’une fois à l’occasion d’un week-end qu’il se souvient avoir été désastreux, Tony finira par le comprendre, aidé en cela par une série d’indices distillés par Veronica d’abord, puis par ses propres recherches.



Allant au début de flashbacks composés de simples images à des bribes de souvenirs sans cesse plus étendus, la mémoire de Tony (re)devenant précise au fur et à mesure qu’il avance dans ses réflexions sur son propre passé, ce n’est pas seulement une vérité qu’il va saisir, mais le rôle qu’il a joué dans l’histoire d’Adrian et Veronica.



« Combien de fois racontons-nous notre propre histoire ? Combien de fois ajustons-nous, embellissons-nous, coupons-nous en douce ici ou là ? Et plus on avance en âge, plus rares sont ceux qui peuvent contester notre version, nous rappeler que cette vie n’est pas notre vie, mais seulement l’histoire que nous avons racontée au sujet de notre vie. Racontée aux autres, mais – surtout – à nous-mêmes ».



Ainsi Tony, qui a toujours souffert d’un certain manque de confiance en lui, pensé qu’il était transparent et peu acteur de sa vie, se rend compte de la fausseté de cette image qu’il avait de lui, et par conséquent des mensonges qu’il s’est raconté à lui-même. Et combien de petites actions, dont il gardait un souvenir bienveillant, ont pu en fait avoir en fait un impact terrible.



Roman imprégné de nostalgie, « Une fille, qui danse » est remarquable aussi bien par l’histoire racontée que la subtilité avec laquelle Julian Barnes l’a construite (on lit ce roman, dont les éléments font sens petit à petit, presque comme un polar). Qu’est-ce que la mémoire, l’histoire de nos vies par rapport à sa réalité ? De quoi choisit-on de se souvenir, ou d’oublier, pour coller avec les versions de nous-mêmes et des autres que l’on s’est forgées ?



Accompagnant le narrateur dans sa remise en question, le lecteur va ainsi être complètement perdu, manipulé (involontairement) par ce dernier, et se faire des images des personnages et des situations qui finiront, une fois la vérité comprise, être nuancées. Comme dans la vraie vie.

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Une fille, qui danse

Je me faisais une joie de lire ce petit roman encensé par la critique, je pensais que Julian Barnes était pareil à David Lodge, plein d’humour et de dérision.

Et bien non ! Quelle patience m’a-t-il fallu pour arriver au bout !



Ce roman aborde les thèmes du souvenir, de la projection que l’on fait sur le passé, de l’amour, de l’amitié et du suicide.

Pardonnez-moi l’expression, mais c’est de la masturbation intellectuelle.



Le narrateur est un homme dans la soixantaine, fade. Sa vie amoureuse a commencé de manière désastreuse à cause d’une jeune femme manipulatrice, puis il s’est marié, a eu une fille, a divorcé. Il faisait partie d’une bande de 4 amis, dont un particulièrement brillant, Adrian, puis ils ne se sont plus revus. Mais voilà que tout à coup, son passé ressurgit, d’une manière désastreuse, lui aussi.

C’est l’occasion pour lui de ressasser ses pensées, ses actions, ses omissions…et surtout une certaine lettre écrite à Adrian il y très longtemps.



Bon dieu que je me suis ennuyée ! J’ai quand même relevé des réflexions qui m’intéressaient, mais j’ai eu l’impression que le narrateur s’enfonçait dans le marasme le plus complet, qu’il se laissait porter par les évènements, et que la seule chose qu’il était capable de faire, c’est d’écrire des mails, sauf à la fin où il agit vraiment.

Parlons-en, ou plutôt n’en parlons pas, de cette fin, que j’ai trouvé brouillonne et peu claire.



Bref, cette fille, qui danse, ne m’a pas entrainé dans la valse des émotions.

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Une fille, qui danse

un avis mitigé, lourd et vide à la fois...au moins jel'ai terminé et la fin est intéressante, plus que tout le reste. l'auteur se perd un peu dans les détails et descriptions, c'est dommage . J'ai plus eu l'impression de remplissage, l'histoire est assez "bateau" , limite indigeste. Vite lu, vite oublié, pour moi.
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Une fille, qui danse

Le lecteur est invité à suivre les interrogations d'un paisible retraité ayant eût une vie assez banale.

La plongée dans les souvenirs de Tony, le lien avec le présent est fascinante et émouvante.

J'aime ces personnages fragiles, ces personnages en perpétuelle réflexion pour essayer de comprendre le sens de sa propre histoire.

Avec Tony, Julian Barnes évoque les thèmes de la subjectivité de l'histoire, de notre propre histoire, la véracité des faits à l'épreuve du temps, ce temps manipulateur qui ne conserverait que les versions de nos vies nous arrangeant.



La première partie du livre est quasi parfaite avec les souvenirs de Tony au lycée, le groupe de copains, les premières tensions amoureuses et sexuelles puis la séparation avec les promesses évidemment non tenues de conserver le lien. Certes c'est pas ultra original mais l'écriture de ces moments est brillante, concise, précise.

En plus, l'auteur évite de tomber dans le piège facile des retrouvailles 40 ans après. Non Tony ne reverra pas ses amis de jeunesse alors qu'on peut penser le contraire à un moment du livre.



Julian Barnes a largement recourt, pour mon plus grand plaisir, à l'humour noir notamment lorsque le groupe d'ami de Tony discute du suicide d'un élève :

"Je n'aurai jamais cru qu'il savait comment se pendre...

Il était en terminale scientifique.

Mais il faut une sorte de nœud spéciale.

Ca c'est seulement dans les films !"



Le lecteur fait également la connaissance d'Adrian à l'intelligence supérieure nous offrant quelques savoureux condensés de sa pensée notamment sur la place de l'histoire dans nos vies, sur la non responsabilité des hommes préférant chercher un coupable dans toute tragédie historique pour éviter d'évoquer leurs propres fautes.



La fin est moins intéressante, à partir du moment où Tony retrouve sa petite amie de ses années lycées, l'histoire bascule vers le grand classique enfant caché atteint de troubles psychologiques.

Mais cela n'a pas tellement d'importance au regard de l'authenticité qui se dégage du personnage de Tony tout au long du récit.

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La table citron

Première incursion avec ce recueil de nouvelles dans l’univers de Julian Barnes, et j’avoue avoir été séduit par ce ton doux amer qui caractérisent

ces tranches de vie. En prenant des personnages d’âge mur et en faisant de la vieillesse le cœur de ces nouvelles, on pouvait craindre une tristesse infinie nous tomber sur les épaules (le fameux citron synonyme de la mort chez les chinois). Mais l’élégant britannique nous fait partager ces instantanés avec ce qu’il faut de retenue, d’ironie, de tendresse, avec ce délicieux humour cher aux anglo-saxons. Tantôt insolent, lucide, pessimiste, Barnes décline sa partition avec un style remarquable. Onze nouvelles pour décrire le temps qui passe avec une plume talentueuse.

A coup sur, je reviendrai vers Julian Barnes.

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La seule histoire

La seule histoire, c'est d'abord et avant tout une histoire d'amour; mais ça va bien au-delà. C'est l'histoire d'un amour de jeunesse racontée par le narrateur bien des années après qu'il l'ait vécue. On est donc dans un passé d'abord assez lointain (à l'échelle d'une vie humaine) mais aussi dans le présent de l'homme qui la rapporte, qui nous livre a posteriori ses réflexions: comment son vécu de jeune adulte a façonné sa vie, ce qu'est l'amour dans un couple…

J'ai aimé la construction du récit en trois parties ainsi que l'alternance de proximité/distanciation de la relation que l'auteur nous fait vivre en jouant sur l'utilisation des pronoms personnels. En passant, j'ai lu ce roman dans sa V.O. (The Only Story) et je me suis posé beaucoup de questions relatives à la traduction, entre autres, sur justement ces pronoms personnels. «You» peut se traduire selon le contexte par le «vous» formel, par le «tu» convivial ou par le plus impersonnel «on». Comment rendre en français cette ambiguïté? Comment rendre des expressions telles que «fancy boy», «fine feathered friend» ou le faux-ami «village» qui, dans le contexte, désigne probablement plus une banlieue qu'un village au sens français du terme? J'ai aimé l'écriture de Barnes et je parierais fort que la traduction n'a pu rendre toutes les subtilités de son écriture.

Je n'ai pas d'autre mot: Julian Barnes est un magicien, à l'égal de son compatriote Ian McEwan, et d'autres anglophones qui occupent mon panthéon personnel tels Philip Roth, Timothy Findley et d'autres.
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Le fracas du temps

CHOSTAKO...ZZZzzzZZZzzzZZZ

Dire que je me suis ennuyée à la lecture de cette biographie est un euphémisme dans toute sa splendeur. Je me suis emmerdée comme un rat crevé serait plus juste !

(Pour ceux qui ne remettent pas Chostako, les pubs des assurances CNP, c'était sa valse numéro 2).

Pourtant le pitch était sympa. Une biographie sur Chostakovitch mais une biographie qui s'attarde sur les liens entre artistes et pouvoir communiste dans la Russie Stalinienne et post stalinienne. Et le Petit Père des Peuples, ce qu'il veut, c'est son Beethoven sauce Stroganov, une composition à la grandeur de l'URSS, mais pour le peuple (bref du tirelipinpon sur le Chihuahua version classique). Mais pas vraiment de musique dans cette bio. Que du politique.

Que dire, c'est décousu, très décousu. Pour une biographie, savoir où l'on se situe dans la vie de l'artiste est quand même la base, quelque chose qui doit ressortir. Sa vie privée est à peine effleurée. Non on se concentre vraiment sur les rapports entre le pouvoir et le compositeur... en sachant qu'au pouvoir s'y on s'y soumet, de gré ou de force et que même si c'est de gré, après on peut toujours dire que c'est de force. D'ailleurs la biographie traite aussi de la lâcheté du compositeur. Mais la lâcheté, c'est quoi ? C'est facile de rouspéter en démocratie, nettement moins en dictature.



En bref, J'ai descendu les 250 pages en un aller-retour train, mais cette bio est restée hermétiquement fermée pour moi, bien mieux qu'un tupperware ! Heureusement il reste sa musique. Pour ceux qui sont intéressés par Chostakovitch, il vaut mieux se tourner vers les clefs de l'orchestre de Jean-François Zygel https://www.youtube.com/watch?v=AW6e4EefpUM

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La seule histoire

Magnifique roman d'apprentissage, Julian Barnes, écrivain anglais de grand renom (David Cohen Prize, Man Booker Prize) nous livre un récit très épuré d'un premier amour qui va marquer à jamais la vie de Paul, le héros.

Nous sommes dans les années 70, dans la banlieue résidentielle de Londres. Paul a dix-neuf ans et rencontre, lors de parties de tennis, Susan McLeod, qui a quarante-huit ans.

Elle est mariée à un homme plutôt primaire et brutal et a deux filles adolescentes. Une relation va se nouer entre eux, d'abord discrète et ensuite de moins en moins discrète.

C'est lorsque Paul va trouver sa maîtresse frappée par son mari qu'il va décider de partir avec elle et s'installer à Londres, au grand scandale de ce petit monde bien feutré.

Leur vie commune durera dix ans, marquée par un sombre secret que Paul va découvrir: l'alcoolisme de Susan.

Dès lors, il s'agira pour lui de protéger celle qu'il aime, ce qui n'était pas ce qui était attendu compte tenu de leur différence d'âge.

C'est un très beau récit, plein de simplicité et d'émotion.

Julian Barnes donne plus accès que dans ses livres antérieurs au registre de l'émotion. Cette quête effrénée de l'amour pur fait parfois penser aux tourments du jeune Solal de "Belle du Seigneur" d'Albert Cohen.

Un grand écrivain britannique à découvrir et redécouvrir, si vous êtes attirés, comme moi, par la culture anglaise.

Le héros, Paul, va découvrir un amour fort, sans illusions et durable même s'il est terni par le quotidien.

« Un premier amour cautérise le cœur et tout ce qu’on pourra trouver ensuite, c’est une large cicatrice. »



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L'homme en rouge

Julian Barnes, avec son érudition mais son esprit léger et taquin, nous invite dans le monde brillant et suranné de la Belle Epoque, entre la guerre de 1870 et celle de 1914.



Son héros ? le docteur Pozzi, qui est LE médecin du tout Paris à l'époque, et même du tout Londres.

Ses amis : le comte Robert de Montesquiou (le modèle du baron de Charlus chez Proust et de des Esseintes chez Huysmans), le prince de Polignac, Adrien Proust (confrère médecin), Marcel Proust, Oscar Wilde,….

Ses patients : les mêmes et aussi Sarah Bernhardt…

Le point commun de tous ces hommes : le dandysme qui mène chacun de leur faits et gestes.

Leur quête : l'amour, hétérosexuel ou homosexuel. Mais celui-ci doit se conjuguer avec les normes sociales, la fortune et surtout la reconnaissance et l'admiration qu'il doit procurer.

Leurs portraits sont reproduits dans le livre grâce aux vignettes des tablettes de chocolat des magasins Felix Potin ! Imagine-t-on aujourd'hui, sur les vignettes Paninis, des portraits de Pierre Bourdieu, Régis Debray, Jacques Lacan, Michel Foucault ou Michel Houellebecq…..



Ce récit, un peu fourre-tout avouons-le, oublie un peu son sujet principal au profit d'anecdotes multiples sur les duels des uns, les ennuis judiciaires et les mésaventures conjugales des autres.

Mais je l'ai trouvé extrêmement attachant, riche de renseignements sur le tout-Paris de l'époque et il m'a donné très envie de lire « A rebours » que je n'ai jamais lu…

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Avant moi

Jalousie maladive aurait pu être le titre de ce roman. Graham quitte sa femme pour Ann et devient obnubilé par les anciennes amours de celle-ci. Il ne supporte pas l'idée que sa nouvelle femme puisse avoir connu d'autres hommes et paradoxalement il ne cesse de fouiller dans son passé pour les connaître.

Le portrait psychologique de Graham est assez bien décrit, on perçoit son mal-être qu'il alimente de façon obsessionnelle jusqu'au moment où tout bascule .

Ce livre aurait pu être plus intense si une analyse plus fine avait été faite de cette pathologie. Ici J. Barnes décrit plus qu'il analyse, mais en même temps c'est un roman donc normal :-)
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Quand tout est déjà arrivé

"Vous réunissez deux choses qui n’avaient encore jamais été mises ensemble. Et le monde est changé. Les gens ne le remarqueront peut être pas sur le moment, mais ça ne fait rien: le monde a quand même été changé."

Quand on «  réunit »,deux choses, ou deux personnes, quelquefois une fusion s’opère et c’est magique. C’est le bonheur.

Réunir l’aéronautique et la photographie, à l’époque de Nadar ,pseudonyme de Gaspard Félix Tournachon alliait mystère et magie .On connait la caricature de Daumier, intitulée" Nadar élevant la photographie à la hauteur de l’Art. " Après, dans ce «  péché d’élévation » quelquefois on a de la chance et on atterrit en Normandie comme Fred Burnaby , quelquefois on en a moins, c’est l’Essex. Ou la mort.



"Vous réunissez deux êtres qui n’ont encore jamais été mises ensemble; et parfois le monde est changé, parfois non. Ils peuvent s’écraser et brûler, ou brûler et s’écraser; mais parfois , quelque chose de nouveau est créé, et alors le monde est changé. Ensemble, dans cette première exaltation, ce premier sentiment grisant d’essor, ils sont plus grandis que leurs deux individualités séparées. Ensemble, ils voient plus loin et plus clairement."

Oui, mais la fusion ne se fait pas toujours. Prenez ce même Barnaby, amoureux fou de Sarah Bernhardt.. là, on peut dire que c’est la chute en piqué.. c’est "à hauteur de l’homme ", et on n’y plane pas toujours.



Toutes ces digressions, ces correspondances ( car il y en a entre tous les personnages des deux premiers chapitres), pour permettre au pudique Julian Barnes d’introduire le bouleversant troisième chapitre, "La perte de profondeur.":

"Vous réunissez deux êtres qui n’ont jamais été mis ensemble. Parfois, c’est comme cette première tentative d’associer un ballon à hydrogène et un ballon à air chaud: préfère-t-on s’écraser et brûler, ou brûler et s’écraser? Mais parfois cela marche, et quelque chose de nouveau est créé, et le monde est changé. Puis, à un moment ou un autre, pour telle ou telle raison, l’un des deux est emporté. Et ce qui est retiré est plus grand que la somme de ce qui était réuni. Ce n’est peut être pas mathématiquement possible, mais ça l’est en termes de sentiments et d’émotions. "



Ils ont vécu trente ans ensemble, il y a eu trente sept jours entre le diagnostic et la mort. Et le monde a changé.

C’est le deuil d’un être profondément aimé, c’est le deuil d’un couple. Avec la colère, le chagrin intense, l’envie de suicide,le manque et les autres.. Ah, les autres.. Et puis, au jour le jour , en la maintenant présente le plus possible, le plus longtemps possible. Et le temps qui estompe même les souvenirs :

"Ou, pour le dire autrement, les souvenirs de votre vie- votre vie d’avant- ressemblent à ce miracle ordinaire jadis observé par Fred Burnaby, le capitaine Colvile et Mr Lucy près de l’estuaire de la Tamise. Ils étaient au dessus des nuages, sous le soleil… Le soleil projetait sur l’étendue cotonneuse de nuages au-dessous l’ombre de leur ballon: l’enveloppe, la nacelle et, nettement profilées, les silhouettes des trois aéronautes. Burnaby compara cette image à une «  photographie colossale ». Et ainsi en est-il de notre vie: si nette, si sûre, jusqu’à ce que, pour une raison ou une autre-le ballon s’éloigne, les nuagees se dispersent, l’angle du soleil change- l’image soit perdue à jamais, disponible seulement dans la mémoire et transformée en anecdote."



Et enfin, pas après pas, jour après jour , on s’élève et on retombe, et puis on accepte? :

"Ce n’est que l’univers faisant ce qu’il a à faire, et nous sommes ce à quoi la chose est faite. Et ainsi en est-il, peut-être du chagrin. On imagine qu’on a lutté contre lui, avec détermination, surmonté l’affliction, fait partir la rouille de notre âme, quand tout ce qui s’est passé, c’est que le chagrin s’est déplacé, a changé de point de mire. Nous n’avons pas fait venir les nuages en premier lieu, et n’avons pas le pouvoir de les disperser. Tout ce qui s’est passé, c’est que quelque part- ou de nulle part- une brise inattendue s’est levée, et nous sommes de nouveau en mouvement.Mais vers où sommes-nous emportés? Vers l’Essex? La mer du Nord? Ou, si ce vent est un noroît, alors , peut-être, avec de la chance, en France."



Julian Barnes, je vous souhaite la Normandie. Et le dîner de Mme Delanray.







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Une fille, qui danse

Ah quel soulagement ! Ceux qui me font l’amabilité de suivre mes billets savent que je me relève tout juste d’un James. Henry James. Et que la cérébralité alambiquée de ses écrits m’avait pour le moins asséché le cerveau. Heureusement Une fille, qui danse était le prochain sur ma liste de lectures et c’est d’une humeur toute primesautière que je l’ai entamé.

La première partie m’a fait fondre de délice. Le narrateur y est confondant d’auto dérision amusée et la tendre nostalgie qui émane de cette évocation des années soixante rappelle assez d’autres récits, de Jonathan Coe par exemple, de David Lodge aussi, pour qu’on se love dans cette lecture comme au fond d’un bon vieux fauteuil au velours un peu râpé. Home sweet home. Enfin.

J’aurais été prête à faire un bout de chemin avec le narrateur, ce cher Tony, s’il n’en avait pas déjà accompli un bon paquet et… qu’il n’avait pas été si désespérément de papier. Mais je me régalais malgré tout de son récit qu’il adressait si généreusement à tout lecteur croisant sa route. Le seul scrupule qui venait ternir la félicité de ce tableau résidait dans le reproche que l’on aurait pu faire à Julian Barnes de nous livrer ainsi une histoire bien trop gentillette. Car si Tony a tout pour me plaire, il est incontestablement terne et moyen, ainsi qu’il le confesse lui-même. Et si le fauteuil est confortable, on est loin du sublime, des coupes d’or et du tragique.

C’était sans compter la deuxième partie. Je ne dirai rien de l’histoire, rien du lieu où se trouve même le mystère car ce serait là l’éventer en partie. Nous ne sommes pas sur un thriller et l’intrigue dévoilée n’a pas les ressorts puissants d’une machine très élaborée. En revanche, la réflexion sur l’histoire, la manière dont se forgent les souvenirs, l’opinion qu’on a de soi et la perception fluctuante que l’on a du réel sont au cœur de ce roman intelligent et subtil. Ah comme il est plaisant de se laisser mener par une plume tendre et ironique ! Comme cela me parle davantage que toutes les magnificences et les prétentions à faire acte d’esthétisme !

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