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Critiques de Kamel Daoud (344)
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Meursault, contre-enquête

Hurler que je suis libre et que Dieu est une question pas une réponse, et que je veux le rencontrer seul comme à ma naissance ou à ma mort.
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Meursault, contre-enquête

Je termine la lecture de « Meursault contre enquête » de Kamel Daoud et je dois dire que, ayant commencé le livre, je n’ai pu le lâcher qu’à la fin. Ecrit dans une langue superbe et il y a d’ailleurs, au passage, dans ce roman un bel éloge de la langue française, ce fameux « butin de guerre » que Kamel Daoud a su si bien exploité.

Mais c’est évidement le parti de l’écrivain qui intéresse et nul ne pourra désormais lire l’Etranger de Camus avec le même regard. Là ou Camus n’évoque que l « l’arabe » surgit un homme dont le frère, très jeune, au moment ou l’Arabe est tué passe sa vie a essayé de chercher ce frère et a le faire revivre. L’écrivain connaît très bien l’œuvre de Camus, l’Etranger, bien sûr, mais aussi la chute puisque ce frère de l’arabe fait son récit dans un bar sous forme d’une confession qui n’est pas sans rappeler La Chute.

« Songes-y, c’est l’un des livres les plus lus au monde, mon frère aurai pu être célèbre si ton auteur avait seulement daigné lui attribuer un prénom, H’med ou Kaddour ou Hammou, juste un prénom, bon sang ! »

« Ah, la plaisanterie ! Tu comprends maintenant ? Tu comprends pourquoi j’ai ri la première fois que j’ai lu le livre de ton héros ? Moi qui m’attendais à retrouver dans cette histoire les derniers mots de mon frère, la description de son souffle, ses répliques face à l’assassin, ses traces et son visage, je n y ai lu que deux lignes sur un arabe. Le mot « Arabe » y est cité vingt cinq fois et pas un seul prénom, pas une seule fois. »

Il y a, aussi, dans ce beau roman, des notations sur l’Algérie d’après l’indépendance, sur la place de la religion que le narrateur déteste, sur la régression des femmes dans ce pays. Le narrateur a connu et aimé une femme qui a résisté a la pesanteur sociale, une femme libéré comme il en existe, selon lui de moins en moins dans le pays. S’inspirant du dialogue de l’Etranger condamné a mort avec le prêtre, il y a de belles pages d’invectives, de cris contre cette religion qui veut s’insinuer partout.



Au total un magnifique roman qui a connu des critiques très positives et qui devraient connaître, je l’espère, une grande diffusion en France. Souhaitons, dès lors, que les Editions Barzakh fassent le nécessaire pour que ce récit puisse trouver son lectorat en France. Je me rends compte qu'il ne sera disponible sur Amazon qu'en mai 2014. J’espère vraiment qu'alors on reparlera de ce beau roman.
Lien : http://jpryf-actualitsvoyage..
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Meursault, contre-enquête

Le frère de l’Arabe raconte sa version des faits racontés dans "L'étranger", de Camus . Et il devient une sorte de Meursault lui-même !

Il en profite pour critiquer la colonisation et l’Algérie d’aujourd’hui.

C'est une exercice de style intelligent et bien fait. Mais il m’est un peu tombé des mains … Il faudrait peut-être le relire.

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Mon prof, ce héros

Un recueil de textes d'écrivains et non des moindres qui ont répondu à l'appel de la Fondation Egalité des chances pour parler du prof qui a éclairé leurs vies. Un texte posthume de d'Ormesson car, dit sa fille, il aurait voulu en être.

Vingt témoignages émouvants qui reconnaissent grandeur et servitude des profs, au moment où Samuel Paty vient d'être assassiné; ils disent aussi leur reconnaissance d'avoir été révélé à soi-même par un maître.
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Meursault, contre-enquête

Difficile d'écrire la critique d'un livre qui m'est tombé aussi rapidement des mains. Je me contenterai donc d'une rapide description de mon expérience de lecture : celle d'assister à une logorrhée vaine qui ne réussit jamais à saisir son objet.



On comprend le point de vue de Kamel Daoud (qui n'est pas sans intérêt et dont j'apprécie au demeurant certaines idées), on entend sa colère, on la voit même. Mais elle reste informe, comme celle d'un enfant qui frappe sa pelle contre le sable car son château s'est effondré, créant pour ses témoins davantage d'irritation que d'empathie.



Et puis je ne comprends toujours pas cette habitude de nombre d'auteurs français et francophones de tourner autour du pot pour nous dire qu'ils vont nous raconter une histoire, ou qu'ils sont en train de le faire, au lieu de tout bonnement la raconter. Cette distance artificielle, qui se donne des airs "méta" (méta-quoi, je n'en sais rien) ne semble avoir aucune raison d'être si ce n'est celle de l'auteur se regardant écrire et ne réussissant pas à s'immerger lui-même dans son récit, car ce plongeon demande une dissolution de l'ego dont il est incapable.



Tout cela est très paradoxal car on imagine Daoud admirateur de Camus. Pourtant, au-delà de la forme, rien ne semble plus éloigné de la poésie naïve de L'Étranger que Meursault contre-enquête. C'était sûrement l'objectif de Daoud. Mais cela méritait-il un roman ? J'avais lu à sa sortie un article de l'auteur présentant son livre et sa démarche. Il était excellent. J'aurais dû m'en contenter.
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Meursault, contre-enquête





L’enquête, Monsieur le commissaire ou mieux la contre enquête, repose sur un malentendu: L’auteur du livre « L’étranger « n’est pas Meursault, ce dernier est un des personnages du livre de Camus et rien ne dit que Camus entérine le meurtre d’un Arabe sur une plage à 14 heures de l’après midi.

Ceci dit, chef d’œuvre que ce roman écrit par le frère de Moussa l’assassiné ( ou par Kamel Daoud, allez savoir), qui d’abord donne un nom à son frère, contemple le deuil de la mère , deuil diabolique , surprenante comédie qu’elle joue à merveille et qu’elle négocie sans fin, en retirant définitivement ses regards du fils qui reste, et qu’elle traite come un mort, puis reste embarrassé dans la culpabilité d ‘être toujours vivant.

Ce roman, de plus, repose les bonnes questions sur la colonisation, pourquoi Daoud préfère parler la langue de l’oppresseur, pourquoi dans le procès de l ‘Etranger le meurtrier est condamné non pas pour avoir tué un Arabe, mais pour ne pas avoir pleuré sa mère et être allé au cinéma. L’absurde selon Camus.

Et aussi, son refus des minarets tonitruants, de la mauvaise foi et de l’hypocrisie de ceux qui se précipitent, par oisiveté, vers les ablutions , la récitation de versets , les invocations suppliantes, manière de demander tout à Allah en se défaussant de sa responsabilité propre.

Puis, heureusement, renversement: du drame vécu par le frère de Moussa, un roman a été écrit. Génial renversement ! Comme si Camus avait écrit selon un fait divers, qu’il n’avait été question que de ce fait divers dramatique, sans que les protagonistes connaissent l’existence de ce chef d’œuvre, bien que depuis le début l’existence d’un livre, avec ses inexactitudes par rapport à ce qui était réel, était connu de celui qui parle.

Magnifique jeu entre l’auteur, son refus des religions abrutissantes,

ses personnages, depuis la colonisation jusqu’à l’Indépendance et leur appropriation des maisons laissées vacantes par les colons, l’auteur non nommé ( Ah, ah !) du roman l’étranger, et Meursault, supposé être le meurtrier ET l’auteur du roman. Jeu que nous, nous ne pouvons ignorer et qui faisons l’aller/retour à chaque page, avec délices.

Magnifique aussi ce que dit Daoud de Camus, sans le nommer.

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Meursault, contre-enquête

L'Arabe abattu par Meursault vers 14 heures sur une plage trop ensoleillée dans L'étranger de Camus a un nom. Comment se fait-il que si peu de gens s'y soient intéressés? Il s'appelle Moussa. C'est son jeune frère Haroun qui nous le fait savoir dans ce roman-miroir, dans cette réponse, dans cette suite inattendue, dans cette réappropriation, dans cet hommage en forme de critique. Kamel Daoud donne la parole à Haroun qui, dans un long monologue, nous raconte les événements à sa manière, mais qui, aussi, nous laisse à savoir sa peine, son désarroi, son trouble face à l'absence, face au vide qu'a laissé Moussa dans sa vie et celle de sa mère. C'est en quelque sorte la confession d'un vieil homme qui, après plein d'années, sent le besoin de réagir, de se dire.



Cela aurait pu n'être qu'un exercice de style, il m'apparaît plutôt que Meursault, contre-enquête va plus loin, porte un discours, engage une lecture du réel qui constitue une oeuvre en soi.


Lien : http://rivesderives.blogspot..
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Meursault, contre-enquête

Réponse du berger à la bergère :

'Meursault contre-enquête' est une suite de 'l'étranger' de Camus.

Haroun poussé par sa mère : m'ma veut que son fils tué sur la plage en 1942 par Meursault sorte de son destin tragique car ni le nom ni la personnalité de 'l'arabe' n'ont jamais été cité nulle part.

Haroun vit depuis plus de 20 ans avec ce fardeau oppressant et étouffant.il aurait préféré être mort à la place de Moussa, l'arabe ignoré de tous sauf par m'ma qui n'arrête pas de lui rappeler cette folle disparition jusqu'à pousser Haroun à commettre un meurtre gratuit à son tour.

Nous voilà en plein cycle de l'absurde.

M'ma est aussi une allégorie de cette terre d'Algérie qui n'a de cesse de demander qu'elle soit reconnu par ces maitres successifs.

Dans la droite ligne de l'étranger ce livre aborde plusieurs thèmes :rapport à l'autre , identité,Croyances , reconnaissance.

Pendant la lecture on est asphyxié par cette écriture et ces propos coup de poing . vous voilà Prévenu.
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Meursault, contre-enquête

Le rythme est un peu déconcertant, en spirale, avec des retours en arrière, des ellipses et des répétition, et non linéaire. Donc forcément, l'intrigue avance lentement. En réalité, il n'y a pas d'intrigue, les souvenirs d'un homme, ou plutôt la plaidoirie d'un homme qui veut rendre hommage à son frère, celui qui a été oublié, l'assassiné, alors qu'on ne parle que de l'assassin, Meursault. L'écriture est belle, de l'intime à l'historique - l'évocation de la colonisation, mais aussi à l'universel - la douleur, la haine, la peur... A lire après avoir lu l'Etranger, en connaissant assez finement l'oeuvre de Camus.
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Zabor

Le ressenti de cette lecture est mitigé. Le contenu a tout pour me plaire. Le poids des mots, le pouvoir de l'écriture. L'écriture pour sauver des vies.

Zabor est un jeune homme marginalisé, rejeté par son père et ses frères, élevé par un tante célibataire (une honte pour la famille), en compagnie d'un grand père qui a perdu, lui, tous les mots avec l'âge et la maladie.

Zabor se découvre un don qui fait de l'écriture d'invention l'outil de la vie.

Donc un thème qui a tout pour me plaire, c'est pour cela que je me suis accrochée à la lecture, mais celle-ci fut laborieuse.

La narration est intégralement à la première personne, nous sommes dans la tête de Zabor, sans aucun dialogue pendant 329 pages. Et là, malgré le thème qui m'accrochait, je me suis ennuyée d'un bout à l'autre.



(Et comme dans Meursault contre enquête, des clins d'oeil à l'Algérie contemporaine. Je me souviens d'un passage dans le Meursault ou un homme déplorait l'interdiction d'aller au café comme il l'entendait. J'ai immédiatement pensé à ce passage en lisant l'allusion ''au bar des champs" dans Zabor)
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Meursault, contre-enquête

Kamel Daoud tout autant que Camus détonnent par leurs réflexions si éloignées de la bien-pensance et leurs personnages ( Haroun et Meursault ) sont tout aussi étrangers à leurs contemporains et incompris d'eux . Rien d'étonnant donc à ce que leurs articles de presse ou leurs livres donnent lieu à de virulentes polémiques . Comme le souligne la quatrième de couverture de " Meursault , contre-enquête " la question de l'identité dans le monde contemporain est un thème commun aux deux auteurs sans que l'un soit une suite de l'autre mais plutôt un contre-point .
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Mes indépendances. Chroniques 2010-2016

Au carrefour du journalisme, de l'analyse politique, et de la poésie...
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Meursault, contre-enquête

Un livre étonnant qui démarre de "l'intrique" de l'Etranger d'Albert Camus pour aborder différentes questions de société : l'histoire d'un pays (colonisation, indépendance), son évolution dans le temps, l'identité des individus vivant dans ce pays. Il montre les différences selon les époques mais démontre également qu'entre 1942 et 1962 il n'y a pas tant de différence que cela dans la lecture/l'interprétation des comportements et le poids des "conventions". Ce roman brillant remet à nouveau en lumière le roman d'Albert Camus. On y retrouve la même étrangeté, les mêmes rythmes, des similitudes entre les personnages, la même construction. Il me semble intéressant de relire "l'étranger"en parallèle de l'ouvrage de Kamel Daoud.
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Meursault, contre-enquête

"Meursault contre-enquête" de Kamel Daoud est une sorte de monologue, qui se veut une contre-enquête (ou contre vérité!!!) sur l'identité de L'Arabe assassiné par Meursault dans "L’Étranger" d'Albert Camus.



C'est Haroune le petit frère de L'Arabe qui, assit au comptoir d'un bar, soir après soir, raconte l'enquête de sa mère puis la sienne, suite au meurtre de son frère mais et surtout les conséquences qu'a eu ce meurtre sur sa mère et sur lui même.



L'idée de l'histoire m'a beaucoup séduite (contre enquête du meurtre commis dans l’œuvre de Camus!!!), mais dès le début j’étais déçue!!! récit tout en longueur, et beaucoup trop de répétitions, j'ai failli abandonné ma lecture, mais ma curiosité m'a poussé à le finir (sachant que le livre ne fait que 152 pages!!!!), et heureusement car j'ai un peu plus apprécié la deuxième moitié du livre où on apprend plus sur Haroune.



Au final, ce livre n'apporte rien à l’œuvre de Camus (n'en enlève rien non plus!!!), je n'ai pas adhérer du tout à l'histoire mais je ne regrette pas pour autant ma lecture.
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Meursault, contre-enquête

Soixante ans après, Haroun se souvient.

Son frère a été tué par un Français et cette histoire est racontée dans un livre.

Le nom de son frère, "l'Arabe", n'est même pas prononcé et son corps n'a jamais été retrouvé.

Lui et sa mère vivent avec ce fardeau depuis tout ce temps.

C'était en 1942, depuis l'Algérie est devenu indépendante mais entre Algériens et Français trop de crimes ont eu lieu et les plaies ne sont jamais refermées.

Redonner un nom à son frère, Moussa, et comprendre ce qui s'est passé ce jour-là sur la plage sera le fil conducteur de la vie de Haroun.





Présenté comme une "suite" de "L'étranger" de Camus, ce roman est plutôt une chronique de l'Algérie entre les années quarante et aujourd'hui.

L'auteur écrit un hymne à son pays et à toutes les victimes de la colonisation.

Ecrit dans un style lyrique, le roman donne une vision très personnelle de ces événements et l'âme algérienne vit intensément dans le personnage de Haroun.



J'ai toutefois été déçue de ne pas en savoir plus sur 'l'Arabe" tué par Meursault.

J'avais relu "L'étranger" (lu il y a bien longtemps...) juste avant pour être vraiment dans l'atmosphère, et j'avais envie qu'on me raconte cette histoire vue par "l'Arabe".

En même temps je ne peux pas demander à l'auteur d'écrire le roman que j'avais envie de lire... mais je crois ne pas être la seule à être certes admirative de cette belle écriture, mais déçue de ne pas en savoir plus...

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Meursault, contre-enquête

Je me doutais avant même de le commencer que j'aurai du mal à entrer dans ce livre. J'ai entendu Kamel Daoud en parler. Expliquer comment il avait construit ce livre. Et je me suis souvenue comme j'avais eu du mal à venir à bout de "L'étranger"... Le côté décousu des romans de Camus. Le questionnement permanent des personnages. Un peu à la manière des auteurs russes. Le déchirement. Le drame.

Et cette présence de l'absurde.

Plus que le problème du meurtre et de la vengeance, plus que l'anonymat de l'arabe, c'est cette présence obsédante de la mère, cette soumission de l'enfant et cette tyrannie maternelle... Camus a-t-il mis cela dans son roman ? A -t-il lui aussi voulu parler de cette mère omnipotente ?

Comment les hommes se débarrassent-ils de leur mère ? S'en débarrassent- ils un jour ? Je vais retourner lire L'étranger.
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Meursault, contre-enquête

Kamel Daoud propose une réécriture vivante, sensible et révoltée du célèbre roman « L'étranger » de Camus, en revisitant l'oeuvre à travers le regard d'un autre personnage proche de l'histoire, qui se fait narrateur et donne son point de vue et sa version des faits. Il est le frère de l'Arabe tué par Meursault dans le roman de Camus, il a vécu la tragédie et porte un regard critique, bien des années après, sur cette histoire fabriquée, sur les conséquences de ce meurtre et sur l'histoire de son pays. Daoud met en abîme le livre de Camus, dont l'histoire est présentée comme un événement réel, un fait divers qui a eu lieu sur une plage d'Alger un après-midi de 1942. Un livre en aurait été écrit quelques années plus tard par l'assassin lui-même, relatant sa version des faits à sa sortie de prison. Les frontières entre fiction et réalité sont brouillées, Camus, qui n'est jamais cité, se confond avec Meursault le héros du livre, personnages et lieux faisant sans cesse des bonds du livre à la réalité, sollicitant au passage la mémoire littéraire du lecteur.



Le narrateur, un viel algérien, s'adresse en le tutoyant à un interlocuteur invisible avec qui il partage un verre plusieurs jours de suite dans un bar d'Oran. Ce compagnon éphémère semble être un mystérieux enquêteur parti sur les lieux de « L'étranger », en quête de traces et d'indices. Mais le viel homme s'adresse à travers lui au lecteur lui-même, et à tous les lecteurs de « L'étranger » qu'il incarne, et peut-être aussi à tous les français. Il lui rappelle avec amertume ce qui s'est passé ce jour là et dans les mois et les années qui ont suivis, évoque son enfance et sa vie d'adulte menées en quasi huis-clos avec une mère endeuillée, dans un pays marqué par la guerre puis l'accès à l'Indépendance. Tout au long du récit il se réfère à l'histoire officielle sur un ton chargé de reproches, en lançant à son auditeur « ce qu'ont voulu faire croire […] ton héros », « ton auteur », « ton livre ». Mais il met en doute cette histoire, « une histoire fabriquée par ton héros », et livre à présent sa version des faits et sa vision des choses. Il donne corps aussi aux personnages, aux lieux, qui ne font parfois office que de figurants ou de simples décors dans l'oeuvre de Camus, pour les doter de vie, les colorer d'atmosphères particulières, ranimer les quotidiens et les relations humaines dans cette Algérie qui n'est alors plus figée par le soleil brûlant d'un après-midi de 1942.



Ainsi Daoud offre une description sensible et chaleureuse de son pays, un pays « inondé de soleil et de figuiers », qui emplit les yeux et les oreilles du lecteur. Il y découvre un pays entre ciel et terre, planté de cyprès et de citronniers, baigné d'un soleil écrasant, rythmé par les stridulations des insectes. Il sent le sel sur sa peau lorsqu'il se promène en bord de mer. Il arpente ses ruelles étroites dans lesquelles jouent les enfants, croise les habitants du quartier, pénètre dans les cours où flottent des odeurs de café.

Toutefois, lorsque le vieux narrateur évoque la ville, en particulier les villes d'Alger et Oran, son discours se durcit et déverse haine et mépris envers celles qu'il compare à des prostituées nostalgiques tournées vers l'Europe, des contrées étrangères dont personne n'est originaire, marquées par la perte des racines et des ancêtres, où la mémoire s'efface.



Le narrateur est donc un homme amer et révolté qui cherche à soulager son âme, à se débarrasser enfin de cette histoire et du cadavre qui le hante depuis des décennies, celui de son frère dont il dénonce la négation dans le livre de Camus. Cet arabe sans nom, sans identité, sans corps, un arabe « que l'on peut remplacer par mille autres de son espèce », à qui il rend justice soixante-dix ans après les faits en lui restituant un prénom, Moussa, une famille, une histoire, un caractère propre. A travers cette histoire particulière, il dit aussi les relations entre les colons et les populations locales dans l'Algérie colonisée, et questionne ce terme « Arabe » conféré par eux. Il n'y a que les blancs pour qui il y avait les Arabes. «  Arabe, je ne me suis jamais senti arabe, tu sais. C'est comme la négritude, qui n'existe que par le regard du blanc. Dans le quartier, dans notre monde, on était musulman, on avait un prénom, un visage et des habitudes. Point. ». Pour eux l'autre, l'étranger, c'était le blanc et non l'arabe, dont tous ici attendaient qu'il s'en aille.



Le vieillard octogénaire porte aussi un regard critique sur les cinquante dernières années de l'histoire de son pays. D'abord, il décrit l'Algérie du temps du drame : la cohabitation entre les populations autochtones et les colons, les « roumis », faite de rejet, d'indifférence, de mépris. Deux ensembles qui ne se mélangent pas et vivent dans des quartiers différents. De nombreuses allusions à l'Indépendance, l'avant et l'après, parcourent également le livre. L'homme évoque la guerre de libération : « Temps troubles, terres sans maîtres, départs brusques des colons, villas occupées », et la liesse qui s'en suivi . Puis les luttes de pouvoirs entre les chefs de guerre au lendemain de la libération. Et enfin l'état dans lequel les colons ont laissé le pays et ses populations, marqués par la ruine, l'abîme, le délabrement et la profonde désillusion.



Le récit de vie de cet homme tourne autour de la relation et du couple mère-fils, un couple étrange, méfié, moqué par les villageois, vivant en reclus, et dont le monde tourne autour d'un fantôme. Un couple écrasé par le deuil vécu comme une longue convalescence, pire, un enterrement interminable. Le narrateur décrit une mère brisée par un deuil éternel, rongée par la vengeance, vociférant, gémissant, déambulant dans la ville en quête d'indices sur la mort de son fils. Une mère qui bâtit un mythe autour du fils mort pour lui redonner vie, tout en niant son second fils, le narrateur lui-même, celui-ci bien vivant mais ignoré, rabaissé des années durant à l'état de fantôme. Cette mère dévorante qui impose au plus jeune d'incarner le défunt aîné, de le faire vivre à travers lui, d'alimenter le mythe.

Même le rapport qu'aura le narrateur à la langue et à l'écriture, à travers lequel l'auteur dévoile son attachement à la langue française, est entièrement tourné lui aussi vers la construction du mythe, vers la résurrection du mort, vers la conservation de la mémoire familiale : maîtriser la langue pour lire les indices, pour venger, pour dire à tous l'histoire de Moussa et perpétuer son souvenir.



Finalement, le narrateur de « Meursault contre-enquête » partage de nombreux points communs avec le héros de « L'étranger », dont il est comme le pendant algérien, qui font de lui aussi quelque part un étranger : étranger à sa propre vie et à son propre corps, simple objet de vengeance animé par sa mère ; étranger à son pays, en ne prenant pas part à la guerre de libération, ce qui lui sera reproché ; étranger à la religion et ses pratiques collectives, qu'il haït autant que ceux qui s'engluent dans sa pesanteur. Lui aussi aura une relation particulière à la mère, et un flirt éphémère avec une femme, Meriem, la Marie orientale. Enfin, il ôtera la vie d'un homme, un français, par un meurtre gratuit et sans motif, pour assouvir la vengeance maternelle et n'être plus ce seul instrument au service du spectre de son frère. Là aussi un procès absurde s'en suivra, à l'image de la « mascarade » qui caractérisa celui de Meursault.



Une véritable plongée littéraire dans l'Algérie contemporaine et dans l'oeuvre d'Albert Camus. A ne pas manquer !
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Meursault, contre-enquête

Pourquoi lire ce roman ?

Pour le sujet déjà ... Comment ne pas être au moins attiré, ne serait ce que par curiosité, par l'histoire annoncée de ce livre, qui trouve son ancrage dans une œuvre des plus lues (ou à defaut au moins connues !) des étudiants francophones, "L'étranger" de Camus. Difficile de s'imaginer que l'on puisse "faire face" a un tel momunent avec légèreté et je me suis dit que cela devrait forcément valoir le détour ... Une réflexion utile sur l'indifférence, puis la haine et la vengeance entre des peuples, la place et le sens d'un Dieu et d'une religion qui trouve un écho particulier dans le contexte actuel ...

Pour l'auteur, écrivain et journaliste algérien, menacé de mort dans son propre pays, engagé pour défendre la liberté d'expression : un acte nécessaire !

Pour la richesse de l'écriture enfin. Des passages à lire et relire pour se souvenir de leur rythme et de leur profondeur. Un beau livre aussi pour cette raison.
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Meursault, contre-enquête

A contrario de L’Etranger, Meursault, contre-enquête est le livre de l’incarnation contre celui de la désincarnation. Perte de sa mère, perte de son corps, perte de sa maîtresse, perte de Dieu qui a déserté l’église, tout est désincarnation pour Meursault, jusqu’à ce que la balle entre dans la chair d’un inconnu : s’in-carne pour tuer, paradoxalement.



70 ans ont passé et Haroun, le frère de l’Arabe, dont on ne connaît pas le nom, veut donner sa voix à celui qui s’est tu. Est-il pourtant bien le frère de l’Arabe ? Il nomme le défunt Moussa, mais sa mère peinerait à prouver son histoire, semble-t-il dire. « C’est ma parole à prendre ou à laisser. Je suis le frère de Moussa ou le frère de personne. Juste un mythomane que tu as rencontré pour remplir tes cahiers. »



Des cahiers écrits en français. Car Haroun, du nom du calife abbasside, contemporain de Charlemagne, pour qui Le Livre des Mille et une Nuits a été rassemblé, n’a « pas appris à lire [en français] pour pouvoir parler comme les autres, mais pour retrouver un assassin. » La langue comme manière d’incarner une histoire entendue, qu’il ne lira qu’après la rencontre avec Meriem, prénom arabe qu’en français on traduira par Marie : « Et Verbo caro factum est », « Et le Verbe s’est fait chair » par l’Incarnation. Curieuse interprétation chrétienne du livre de Kamel Daoud ? C’est que le texte en millefeuilles permet cette rencontre des cultures et des textes.



Moussa, le nom de son frère, est choisi sans hasard : c’est Moïse en arabe, comme Daoud, c’est David, des noms prophétiques communs aux trois religions monothéistes. « Qui sait quel fleuve l’a porté jusqu’à la mer qu’il devait traverser à pied ? » Parle-t-on du « sauvé des eaux » hébreux et de la Mer rouge, ou de l’Algérien qui aspirait à la France, de l’autre côté de la Méditerranée ? Une touche politique parmi d’autres, comme ce recours à la langue française pour trouver la vérité dans un pays qui s’est défait du colonisateur qui parlait cette langue.



On sent des comptes à régler avec une Algérie, celle de l’Islam des martyrs, celle des « frères » : « il n’y a pas eu meurtre, mais seulement insolation », comme pour tous ces fous de Dieu. L’insolation déshydrate ; on ne sauve pas des eaux un homme aveuglé par son soleil, assoiffé, sans eau. On dirait le psaume 42, 2-4, encore : « Comme une biche soupire après des courants d’eau, ainsi mon âme soupire après toi, ô mon Dieu ! Mon âme a soif de Dieu, du Dieu vivant : Quand irai-je et paraîtrai-je devant la face de Dieu ? Mes larmes sont ma nourriture jour et nuit, pendant qu’on me dit sans cesse : Où est ton Dieu ? » Voilà qu’Haroun répond : « Ha, ha ! Tu bois quoi ? Ici, les meilleurs alcools, on les offre après la mort, pas avant. » C’est ce qui est promis aux martyrs de l’Islam. Haroun, lui, boit durant une quinzaine de nuits successives pendant lesquelles il se confie à un interlocuteur qui demeure inconnu. Le lecteur devient Schahriar et Kamel Daoud, Shéhérazade.



« L’absurde, c’est mon frère et moi qui le portons sur le dos, ou dans le ventre de nos terres. » L’absurde, c’est le devenir de l’Algérie depuis 70 ans. Haroun revendique « la justice des équilibres », ce que les révolutions arabes recherchaient ; non pas la démocratie, qui s’en soucie ? Non, l’équilibre de la justice, la justice et la justesse pour tous. De l’eau pour tous ; pour tous ces assoiffés.



Haroun se moque du « ouled el bled » : le fils du pays. « Il y a de l’angoisse de bâtard. » ose-t-il dire. Parle-t-il de sa propre histoire, de celle de celui dont il dit être le frère, L’Etranger qui est au centre de son existence et qui se révèle à lui après la rencontre avec Meriem : « Tout était écrit. » ? Oui, c’est le « mektoub » arabe, la destinée à laquelle on n’échappe pas, mais c’est aussi ce livre qui l’obsède, presque une prophétie. Il ne croit pas en Dieu, lui non plus, comme Meursault : « Le vendredi ? Ce n’est pas un jour où Dieu s’est reposé, c’est un jour où il a décidé de fuir et de ne plus jamais revenir. » ! Il trouve d’ailleurs que « la mosquée est si imposante [qu’il a] l’impression qu’elle empêche de voir Dieu. » En d’autres temps que Kamel Daoud ne peut ignorer, on se demandait, à Jérusalem, si construire un temple pour YHWH n’était pas une insulte à Dieu : un temple, si beau et si grand fut-il, pouvait-il prétendre contenir la grandeur du Seigneur ? Si beau et si grand, futile ?



Meursault, contre-enquête ne peut donner entière satisfaction. 70 ans après, les preuves, les indices, les témoins, tout a disparu. Et l’Histoire s’est superposé à l’histoire, troublant la vérité. En mêlant enjeu littéraire et débat politique, Kamel Daoud nous perd parfois – sans doute se laisse-t-il emporter – dans ce que l’on pourrait appeler, par facilité, l’absurde des situations que l’on gagnerait pourtant à séparer pour mieux les comprendre. L’affaire Meursault – Moussa Ould el-Assasse n’est pas close.
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Meursault, contre-enquête

Haroun est un vieil homme qui, depuis soixante-dix ans vit avec le poids de la mort de son frère et l'obsession de ce roman balaie d'un revers de main le grand drame de sa vie.



C'est l'histoire d'un crime , mais l'Arabe n'y est même pas tué- enfin, il l'est à peine, il l'est du bout des doigts.



Sa mère ne s'est jamais remise de la mort de Moussa et elle a chargé son jeune fils d'un fardeau dont elle saura se libérer en le poussant au pire, mais lui ne s'en libérera jamais. Quand un universitaire lui demande de lui raconter son histoire, il peut enfin alléger un peu sa conscience en partageant ce qu'il a fait.



Quel riche roman que celui-ci, tant sur le fond que sur la forme ! J'ai adoré toutes les références à L'étranger et elles sont nombreuses et je recommande chaudement de se replonger dans le roman de Camus avant lire celui de Kamel Daoud qui est un vibrant hommage à L'étranger même si ce n'est qu'un versant de ce roman. Il y de nombreux jeux de miroirs entre les deux romans: les relations opposées qui unissent les mères et leurs fils, les femmes, Marie et Miriem, dont les prénoms se ressemblent tant alors qu'elles sont on ne peut plus dissemblables et puis ce roman L'étranger qui devient récit autobiographique. C'est aussi une description courageuse de son pays, qui ne pouvait être écrite que par un algérien. Critique donc d'un pays qui se perd dans la (pseudo) religion, des imams qui vociférent, magnifiée par une plume qui est très éloignée de celle de Camus :



La religion est pour moi un transport collectif que je ne prends pas. J'aime aller vers ce Dieu à pied s'il le faut, mais pas en voyage organisé.



C'est aussi un roman qui nous explique de l'intérieur les débuts de l'indépendance, pas celle des moudjahids, celle du commun des mortels, de ceux qui ont peu à peu occupé les villas abandonnées par les pieds-noirs, d'abord en vivant dans la cuisine, puis en investissant le reste de la maison. Un entrée sur la pointe des pieds dans un monde différent, dans lequel on tuait gratuitement. Comme Camus le fait dans L'étranger, Kamel Daoud joue avec l'absurdité des situations. Ici, l'absurdité est liée au meurtre et à l'instant mais je n'en dirais pas plus. Il y a de belles pages sur la mort:



Lorsque, penché à mon balcon, j'observe les jeunes enfants jouer, il me semble voir, en direct, les nouvelles générations, toujours plus nombreuses, repousser les anciennes vers le bord de la falaise.



Et sur les femmes, celles d'avant, representées par Miriem, belles, libres et conquérantes. Je ne sais pas si j'ai réussi à vous communiquer le plaisir immense que j'ai eu à lire ce roman mais je suis heureuse que les académiciens l'ait sorti de l'oubli dans lequel il a été plongé à sa sortie, en mai.
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