Citations de Laurent Binet (620)
Bayard demande à Simon Herzog de jeter un coup d'oeil aux fiches et à la bibliothèque. Simon Herzog, comme le font tous les littéraires du monde quand ils arrivent chez quelqu'un, même lorsqu'ils ne sont pas expressément venus pour ça, examine avec curiosité les livres de la bibliothèque ...
Respect pour ces hommes et ces femmes de bonne volonté, voilà à peu près ce que je voulais dire, ce que je ne voulais pas oublier de dire, avec toute ma maladresse, avec toute l'inhérente maladresse des hommages et des condoléances.
Profitant que leur attention est détournée de la meurtrière, un pompier se saisit de l'échelle au moment où l'un des occupants repoussait un tuyau pour la énième fois et parvient à la hisser à l'extérieur. Dehors, Frank applaudit. Le pompier sera récompensé pour son zèle (mais puni à la Libération).
Dehors, des hauts-parleurs répètent en boucle : "Rendez-vous et sortez les mains en l'air. Si vous ne vous rendez pas, nous allons faire sauter toute l'église et vous serez ensevelis sous les décombres". A chaque annonce, les occupants de la crypte répondent par une salve. La Résistance, bien que fréquemment dénuée de parole, s'exprime aussi avec une merveilleuse éloquence.
Il ne faut pas croire tout ce qu'on raconte, spécialement si ce sont des nazis qui le racontent : en général, soit ils prennent leurs désirs pour des réalités et se trompent lourdement, comme le gros Göring, soit ils mentent éhontément à des fins de propagande, comme Göbbels trismégiste, que Joseph Roth appelait "le haut-parleur personnifié". Et souvent, les deux à la fois.
Heydrich n'échappe pas à ce tropisme nazi. Lorsqu'il prétend avoir décapité et mis hors d'état de nuire la Résistance Tchèque, il le pense probablement sincèrement, et il n'a pas tout à fait tort, mais il se vante un peu quand même.
Beneš, reconnu par les patriotes tchécoslovaques comme le seul président légitime, veut former aussi vite que possible un gouvernement provisoire en exil. Un an avant l'appel du 18 juin, Beneš, c'est un peu De Gaulle + Churchill. L'esprit de Résistance est en lui.
Malheureusement, ce n'est pas encore Churchill qui tient les rênes de la destinée anglaise et mondiale, mais l'ignoble Chamberlain, dont la veulerie n'a d'égale que la cécité. Il a dépêché un employé des Affaires étrangères, d'un rang particulièrement subalterne, pour accueillir l'ancien président. Et, en fait d'accueil, le rond-de-cuir se montre immédiatement désagréable. Il notifie à Beneš, celui-ci à peine descendu du train, les conditions de son exil : la Grande-Bretagne n'accepte d'accorder l'asile politique au ressortissant tchèque qu'à la condition expresse que celui-ci s'engage à se tenir éloigné de toute activité politique. Beneš, déjà reconnu de fait comme le chef d'un mouvement de libération par ses amis et ses ennemis, encaisse l'insulte en faisant preuve de sa dignité coutumière. Lui plus qu'aucun aura dû endurer, avec un stoïcisme proprement surhumain, la bêtise méprisante de Chamberlain. Rien qu'à ce titre, sa figure historique me paraît presque plus imposante que celle de De Gaulle.
Toutes les synagogues brûlent, mais Heydrich, qui connaît son métier, a ordonné qu'on transfère toutes les archives qu'on pourrait y trouver au QG du SD. Des caisses de documents parviennent à la Wilhelmstrasse. Les nazis aiment brûler les livres, mais les registres.
Je me souviens d'une interminable digression d'au moins quatre-vingts pages, dans Notre-Dame-de-Paris, sur le fonctionnement des institutions judiciaires au Moyen Âge. J'avais trouvé ça très fort. Mais j'avais sauté le passage.
Je prends donc le parti de styliser quelque peu mon histoire. Ça tombe plutôt bien parce que, même si pour certains épisodes ultérieurs il me faudra résister à la tentation d'étaler mon savoir en détaillant trop telle ou telle scène sur laquelle je suis surdocumenté, je dois avouer qu'en l'occurrence, sur la ville natale d'Heydrich, mes connaissances flottent un peu. Il y a deux villes qui portent le nom de Halle en Allemagne, et je ne sais même pas de laquelle je parle en ce moment.
Demain à 6 heures, l'armée allemande pénétrera en Tchécoslovaquie de tous les cotés à la fois et l'aviation allemande occupera les aérodromes.
Simon ne dit rien. Ainsi c'était donc ça: un happy end. Le manchot avec l'unijambiste.
Ceux qui sont morts sont morts, et il leur est bien égal qu’on leur rende hommage. Mais c’est pour nous, les vivants, que cela signifie quelque chose. La mémoire n’est d’aucune utilité à ceux qu’elle honore, mais elle sert celui qui s’en sert. Avec elle je me construis, et avec elle je me console.
"Vous croyez en la justice, et vous croyez en la vengeance. Vous êtes valeureux, volontaire et doué. Vous êtes prêt à mourir pour votre pays. Vous devenez quelque chose qui grandit en vous et progressivement commence déjà à vous dépasser, mais vous restez aussi tellement vous-même. Vous êtes un homme simple. Vous êtes un homme. Vous êtes Jozef Gabčík ou Jan Kubiš, et vous allez entrer dans l’Histoire."
A Washington, le secrétaire de la Navy déclare : « Si les générations futures nous demandent pourquoi nous nous sommes battus dans cette guerre, nous leur raconterons l'histoire de Lidice. »
p.82
Heydrich, comme Sherlock Holmes, joue du violon (mais mieux que lui). Et, comme Sherlock Hlomes, il s'occupe d'enquêtes criminelles. Sauf que, à la différence du détective, lui ne cherche pas la vérité ; il la fabrique, c'est autre chose.
Il a fallu tricher, parfois, et renier ce en quoi je crois parce que mes croyances littéraires n'ont aucune importance au regard de ce qui se joue maintenant.
Il a fallu, au mépris de toute pudeur, m'associer à des hommes si grands qu'en regardant vers le sol ils n'auraient même pas pu soupçonner mon existence d'insecte.